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Vu la désertion de l’état, quel avenir pour le service public ferroviaire ?

Publié le 26 novembre 2016 par Blanchemanche
#SNCF
MARDI, 11 OCTOBRE, 2016L'HUMANITÉ
Vu la désertion de l’état, quel avenir pour le service public ferroviaire ?
(Photo Kenzo Tribouillars / AFP)
Avec les contributions de Rémi Brouté, Économiste du comité central du groupe public ferroviaire; Jean Finez, Sociologue à l’Institut français des sciences et technologies des transports et membre du réseau Ferinter; Laurent Quessette, Docteur en droit, membre du réseau Ferinter (1) et Pierre Mathieu, Membre du secrétariat de l’Association nationale des élus communistes et républicains.Replacer la SNCF sur de bons rails  par Rémi Brouté Économiste du comité central du groupe public ferroviaire Rémi Broutéccgpf cheminots pas de créditAvec un pas de recul, la menace de fermeture du site de fabrication de locomotives d’Alstom à Belfort met en lumière l’aversion du capitalisme rentier français pour l’industrie. Mais elle témoigne aussi d’un renoncement au service public ferroviaire, de l’abandon du chemin de fer comme mode de transport privilégié par la puissance publique pour assurer, sur l’ensemble du territoire et dans les meilleures conditions sociales, écologiques et de sécurité, les déplacements des voyageurs et des marchandises.En 1982, la loi d’orientation des transports intérieurs (Loti), en affirmant le droit au transport, faisait du service public le véhicule d’une ambition. Selon les mots du ministre Charles Fiterman, le texte marquait « la volonté de l’État de mener un effort prolongé et tenace pour améliorer et développer les transports collectifs (…) et de permettre progressivement à chacun d’y avoir accès ». Le rôle d’opérateur principal fut confié à la Société nationale des chemins de fer (SNCF).Trois décennies et demie plus tard, la volonté de l’État s’est muée en désertion. Faute d’investissements publics suffisants, notamment pour assurer la construction des lignes à grande vitesse, la SNCF se trouve lestée d’un fardeau de 50 milliards d’euros de dettes, qui lui coûte – mais rapporte aux banques et aux marchés – 1,7 milliard d’euros par an en frais et intérêts. Soit autant de ressources qui font défaut pour entretenir et moderniser un réseau dégradé, renouveler les matériels roulants et assurer des prestations de qualité à des prix acceptables. Doit-on souligner, quand certains dénoncent la prétendue inflation salariale à la SNCF, que ces frais représentent un surcoût, par cheminot, de 5,5 euros par heure travaillée ?À ce jour, les dirigeants de l’exécutif rejettent toute solution de traitement de cette dette. Pour seule réponse, l’État accentue les réductions de crédits au rail, mise sur la libéralisation du secteur, décrète l’arrêt ou le transfert aux régions de plusieurs trains nationaux (Intercités), installe la concurrence low cost des sociétés d’autocars, brade des tronçons du réseau ferré français à des conglomérats du BTP, souvent les mêmes qui ont mis la main sur les concessions d’autoroutes. Ceux-ci, après s’être imposés en sous-traitants de la SNCF, deviennent des exploitants copieusement rémunérés, comme sur la future LGV entre Tours et Bordeaux.De son côté, la SNCF, qui, depuis l’an 2000, supprime chaque jour en moyenne six emplois de cheminot, accélère sa mutation en multinationale de la mobilité. Le groupe, constitué de centaines de filiales privées, se (re)déploie dans les transports routiers et urbains, le car, la logistique, le covoiturage, les parkings, l’immobilier, etc. Pour financer cette croissance externe, principalement à l’international, des apprentis Messier n’hésitent pas à mobiliser les ressources de l’établissement public. Ce fut encore le cas en 2015, lors du rachat par la filiale Geodis de la firme américaine OHL pour environ 750 millions d’euros… un montant trente fois supérieur au budget consacré à l’innovation et à la recherche par la SNCF.Des alternatives à ces dérives existent. L’enjeu est de replacer, au cœur des missions de la compagnie nationale, la satisfaction des besoins en transport ferroviaire qui s’expriment dans les territoires, et pas seulement dans les grandes métropoles. En Allemagne, la Deutsche Bahn a interrompu son aventure dans l’autocar pour se recentrer sur le train. En France, des moyens peuvent être dégagés pour relancer le service public ferroviaire. Prélèvement sur les dividendes des sociétés d’autoroutes, écotaxe repensée et élargie aux gros chargeurs, utilisation de l’épargne réglementée… les pistes ne manquent pas. Mais rien ne bougera si la question demeure confisquée par un cercle de décideurs à Bercy, dans les hôtels de région ou au siège de la SNCF.Défendre un service public des transports  par Jean Finez Sociologue à l’Institut français des sciences et technologies des transports et membre du réseau Ferinter  Laurent Quessette  Docteur en droit, membre du réseau Ferinter (1)Jean Finezdr  Laurent QuessetteIl est vrai que l’Union européenne a permis de mieux définir la notion de service public ferroviaire, cette meilleure délimitation étant censée favoriser l’établissement de contrats entre les collectivités publiques et l’exploitant du réseau, donc renforcer le service public. Les dernières décennies ont cependant montré que la SNCF a de manière progressive intensifié la soumission du rail à l’économie de marché, quoique à des degrés divers selon les activités de l’entreprise. Si une telle dynamique fut évidemment portée par une partie du management de l’entreprise, l’État n’est pas étranger à ce mouvement. À l’instar des dynamiques à l’œuvre dans les industries de réseaux historiquement proches de la puissance publique (énergie, postes, télécommunications…), la patte de l’État actionnaire est de plus en plus prégnante dans les chemins de fer ; au point parfois que le service public semble n’être plus qu’un lointain souvenir. Ainsi en est-il du fret ferroviaire, en dépit de son impact favorable sur l’environnement et malgré la multiplication des programmes en faveur du report modal. Le transport national de voyageurs suit le même chemin : les stratégies de modulation temporelle des prix (yield management), la multiplication des dispositifs commerciaux de type low cost (Ouigo, TGV Pop) et la filialisation des activités (iDTGV) en sont les aspects les plus saillants. Encore ne faudrait-il pas réduire la politique de l’entreprise à sa stratégie sur le rail, car le groupe SNCF est aujourd’hui un opérateur de transport multimodal, qui loue des voitures, exploite des autocars et gère une plateforme de covoiturage.Que reste-t-il du service public ferroviaire ? Pas grand-chose, si on compare la situation actuelle à celle des années 1930, au moment de la création de la SNCF. Mais il ne faut pas enjoliver le passé, car, déjà durant le Front populaire et plus encore pendant les Trente Glorieuses, les nombreuses fermetures de lignes ont enterré le principe de continuité du service sur le territoire. La régulation marchande, impulsée par les institutions européennes et relayée par la France – même sous des gouvernements de gauche –, éloigne l’émergence d’un grand service public ferroviaire européen avec coordination des compagnies nationales. Mais la question actuelle est peut-être moins celle du service public du rail que celle d’un service public des transports en général, regroupant toutes les modalités, y compris celles favorisées par le développement de la digitalisation. À l’heure de la réappropriation citoyenne des communs et des biens publics, la problématique du service public demeure essentielle, d’autant que l’histoire nous rabâche suffisamment ce que provoque politiquement l’abandon de certaines couches sociales.(1) Auteur d’Au croisement de l’État, du service public et du marché. Éditions PUAM, 2013.Un atout précieux à démocratiser et sécuriser  par  Pierre Mathieu Membre du secrétariat de l’Association nationale des élus communistes et républicains Tours (Indre et Loire) - Le 15 avril 2015 - Pierre Mathieu, vice président du GART. Onziémes rencontres nationales sur le transport regional.- Photo Patrick NussbaumPour résoudre les défis auxquels notre pays est confronté, le service public ferroviaire est un atout précieux. Il faut le démocratiser et lui donner les moyens de remplir ses missions au service de tous les citoyens, de tous les territoires. Nous sommes très loin de cette volonté. Les débats en cours pour 2017 ignorent cette question qui concerne pourtant la vie quotidienne de millions de nos concitoyens. Le récent bricolage gouvernemental pour éviter la fermeture immédiate du site d’Alstom à Belfort ne peut masquer le désengagement massif de l’État en faveur du service public ferroviaire et de la filière industrielle. Celle-ci est une des plus performantes au monde. Mais pour combien de temps encore au train où vont les choses ?Pourtant tout devrait conduire à redonner toute sa place au rail et au service public. Atteindre l’objectif fixé par la COP21 lors de l’accord de Paris de contenir le réchauffement climatique à 2 °C (voire mieux encore, à 1,5 °C) d’ici à 2100 exige un autre mode de développement, une autre politique des transports. Les transports représentent 34 % des émissions de CO2 et 27 % des gaz à effets de serre (GES). Le transport routier de marchandises est de très loin le principal émetteur de pollutions. En vingt ans, la part des transports non routiers de marchandises a chuté fortement. En 1995, 25 % des marchandises étaient transportées autrement que par la route. En 2013… 15 % dont seulement 9,4 % par le rail, et la baisse continue…Les politiques menées ont jeté des millions de camions sur les routes. Le quinquennat qui s’achève aura été marqué par la priorité donnée aux cars plutôt qu’aux trains. C’est aussi la suppression des trains de nuit, le désengagement des trains Intercités, la poursuite de l’abandon du fret ferroviaire. C’est encore le refus de l’État de prendre en charge la part qui est la sienne dans l’endettement de la SNCF, 50 milliards d’euros. Une dette qui étouffe littéralement la capacité d’investissement de l’entreprise publique, avec 1,7 milliard d’intérêts à verser chaque année. C’est enfin l’annonce d’une réduction de 28 000 emplois cheminots dans les sept ans à venir !Assurer un avenir au service public ferroviaire exige de rompre avec ces orientations. Dans le cadre d’une approche multimodale, redonner toute sa place au rail et au service public doit être une priorité nationale à décliner dans toutes les politiques publiques. Les transports du quotidien, par exemple, devraient être reconnus comme un service de première nécessité et bénéficier du taux de TVA le plus bas. Quelques points essentiels : l’État doit reprendre la main et assumer ses responsabilités : désendettement du système ferroviaire (comme l’a fait l’Allemagne), moyens financiers plus importants à mobiliser par la mise en œuvre de nouvelles sources de financement pérennes, dynamiques et dédiées.Les collectivités territoriales assurent l’essentiel de l’offre du transport ferroviaire : trains régionaux et interurbains, métro, trams… Elles doivent disposer des moyens de financer leur compétence transport dans la durée. Il faut rétablir la vérité des prix entre les différents modes de transport en intégrant notamment les coûts externes et s’engager dans une reconquête audacieuse du fret ferroviaire. La loi doit reconnaître le « wagon isolé » comme service d’intérêt général. À tous les niveaux, il faut faire le choix de la coopération et non de la concurrence. Les besoins des citoyens et des acteurs des territoires, qui sont aussi les financeurs du système (billets et impôts), doivent enfin être pris en considération. Les élus, représentants associatifs et syndicaux doivent disposer de droits et pouvoirs nouveaux, participer à la définition des choix à mettre en œuvre. Le service public ferroviaire est malmené depuis trop longtemps. Il est en très grave danger. Sa reconquête, l’amélioration de son efficacité exigent de se rassembler et d’agir sans attendre.http://www.humanite.fr/vu-la-desertion-de-letat-quel-avenir-pour-le-service-public-ferroviaire-617515

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