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Pourquoi les robots-recruteurs ne prennent pas la place des RH

Publié le 02 décembre 2016 par Pnordey @latelier

Sélection de CV, évaluation des compétences techniques ou non, entretien digitalisé... les intelligences artificielles prennent de plus en plus de place dans le processus de recrutement. Avantages et inconvénients d’un changement d’usages.

Depuis quelques temps déjà, les méthodes de recrutement ne se limitent plus au classique envoi de CV-entretien-embauche. Si cela reste souvent de mise, la sélection est désormais en partie automatisée et s’établit par d’autres canaux. LinkedIn en a fait une de ses raisons d’être. Facebook s’est tout récemment lancé dans la course avec un onglet « job » sur les pages des entreprises pour pouvoir poster leurs offres d’emploi et recevoir les candidatures des utilisateurs. Un autre géant de la tech a annoncé en septembre concevoir un outil spécialisé : avec IRIS by Watson, IBM souhaite utiliser le machine learning pour déterminer les priorités et la difficulté à pourvoir un poste. Même Google présentait il y a quelques jours son Cloud Jobs API créé pour « améliorer le processus de recrutement » en faisant correspondre demandes et offres d’emploi. La tendance dans le domaine est donc clairement à l’utilisation d’intelligences artificielles.

Confrontées à de nouvelles problématiques et de nouveaux usages, les ressources humaines s’en accommodent. Elles apprennent à revoir leurs modes de fonctionnement pour mieux s’adapter au changement : l’influence des nouvelles technologies sur le recrutement est désormais indéniable. Ces nouveaux outils permettent d’abord de s’adresser directement aux millennials, qui constituent déjà plus d’un tiers des travailleurs américains; 75% des actifs aux Etats-Unis en 2030 appartiendront à cette génération Y d’après une étude du Pew Research Center. Ces jeunes des pays développés, ces digital natives ultra-connectés, habitués à l’économie à la demande et à recevoir l’information plutôt qu’à la chercher, ont, au-delà de la technologie, d’autres attentes concernant le monde du travail, auquel les outils digitaux répondent.

Utiliser une intelligence artificielle dans le processus de recrutement est aussi plus efficace. Les algorithmes, base de l’IA, sont réputés prendre de meilleures décisions que les humains pour engager de nouvelles personnes. C’est la conclusion d’une étude de fin 2015 du National Bureau of Economic Research qui relève que les personnes interrogées restent 15% plus longtemps à leur poste quand elles ont été recrutées avec l’aide d’un algorithme que sans. Un constat qui mérite néanmoins d’être tempéré.

Quelles sont les technologies, et en particulier les intelligences artificielles, qui améliorent l’expérience des candidats et/ou facilitent la tâche aux RH ? Quelle est leur valeur ajoutée ? Plusieurs start-up américaines proposent désormais des plateformes, logiciels, chatbots ou encore questionnaires de recrutement pour faire gagner du temps aux deux parties et améliorer le processus. Tour d’horizon.

Quand les intelligences artificielles dépassent les préjugés

L’un des points positifs associé aux intelligences artificielles est leur capacité à être dénués d’émotion et d’idées reçues. Un moyen d’être plus juste au moment du recrutement. En effet, les discriminations à l’embauche persistent, en France comme aux Etats-Unis, et sont attribuées à des préjugés souvent inconscients des recruteurs, qui ont tendance à engager des personnes qui leur ressemblent.

Ainsi d’après le 8e Baromètre DDD/OIT de perception des discriminations dans l’emploi qui date de 2015, 85% des demandeurs d’emploi estiment que les discriminations à l’embauche sont fréquentes en France. Aux Etats-Unis aussi, les préjugés raciaux et de genre perdurent, comme l’explique le chercheur à Harvard Sendhil Mullainathan, auteur d’une célèbre étude sur le sujet. Les entreprises de la Tech en particulier sont connues pour ne pas être représentatives de la diversité de la population. Même si les bienfaits de cette diversité en entreprise sont prouvés.

Le robot Mya de FirstJob (que L’Atelier a déjà évoqué) fait partie de ces intelligences artificielles qui aident les recruteurs à être moins biaisés. Le chatbot discute avec le candidat, répond à ses questions et quantifie ensuite sa motivation et ses compétences. Il l’accompagne pour être mieux repéré dans la phase de sélection des CV et mesure la probabilité qu’il accepte le poste, en se basant sur les données recueillies au cours de la conversation. Mya a pour objectif d’automatiser 75% du processus de recrutement et par la même occasion de le rendre mieux immunisé face aux discriminations inconscientes.

Les intelligences artificielles ont la réputation d’être objectives mais rien n’empêche de les programmer pour repérer un mot-clef ou exclure un type de candidat… à moins qu’elles n’apprennent d’elles-mêmes des pratiques de l’entreprise. C’est la raison pour laquelle le National Science and Technology Council américain prône la transparence dans son rapport d’octobre 2016 intitulé « Se préparer au futur de l’intelligence artificielle ». Leur utilité n’y est pas niée. Elles font notamment gagner beaucoup de temps aux RH.

Les AI accélèrent le processus de recrutement

Les intelligences artificielles accélèrent le processus de recrutement. Droit d'auteur : alphaspirit

Des technologies qui accélèrent le processus de recrutement

Certains outils visent à moderniser le processus de recrutement sans le disrupter. Ainsi, les candidats sont jugés sur les même critères et passent par les mêmes étapes qu’il y a 20 ans... la technologie en plus. La start-up HireVue, propose de digitaliser les entretiens. Sur sa plateforme, les candidats sont filmés et répondent aux questions. HireVue analyse ensuite les réponses et s’attarde sur le choix des mots, le niveau de stress dans la voix, les micro-expressions, la vitesse d’élocution etc. pour déterminer quel est le meilleur profil et lui faire passer des tests complémentaires en fonction du métier. La jeune pousse se vante sur son site d’avoir réduit le temps de recrutement de 6 semaines à 5 jours pour une entreprise internationale dans le secteur de l’hôtellerie.  

Faire gagner du temps aux RH, est aussi l’un des objectifs de Talentoday, d’après Allie Powers, responsable marketing. La start-up se développe autour d’un « algorithme qui utilise la psychologie pour comprendre [via un test] les traits de personnalité du candidat et ce qui le motive au travail ». Au-delà du fait d’aller plus vite pendant la procédure, c’est aussi le fait de trouver le bon candidat pour le poste qui est source de gains pour l’entreprise. « L’un des buts de Talentoday est de les aider à économiser du temps et de l’argent sur le long terme. Parce que voir partir des employés est très onéreux. Si un employé quitte l’entreprise, cela coûte environ 9 mois de salaire de recruter quelqu’un de nouveau sur le poste. Or, les Millennials changent de travail plus fréquemment que ne l’ont fait leurs parents. Les RH doivent trouver des moyens de les retenir. » Talentoday en propose un : « mieux comprendre qui sont les recrues et les candidats, ainsi que leurs motivations, qu’elles soient pécuniaires, philanthropiques ou liées à un besoin de reconnaissance sociale ». Ainsi, l’employeur pourra s’adapter aux besoins de son employé pour le garder : « si ce dernier accorde plus de valeur à son temps personnel qu’à sa rémunération, il préfèrera un jour de télétravail plutôt qu’une augmentation par exemple », et c’est important de le savoir. Plus encore pour une start-up dont la survie est limitée aux fonds levés. Elle a moins le droit à l’erreur et « doit embaucher la bonne personne du premier coup ».

L’intelligence artificielle évalue également l’intelligence émotionnelle

La spécificité de Talentoday réside dans l’évaluation des compétences non techniques, les soft skills. Le candidat, l’employé ou l’étudiant qui voudrait mieux cerner son profil et ses forces peut faire le test en ligne conçu par un psychologue et un data scientist. Cela prend un quart d’heure : plusieurs questions s’enchaînent avec à chaque fois deux réponses possibles complètement différentes.

Extract du questionnaire Talentoday

Capture d'écran d'une question du test Talentoday. Source : Talentoday

« Outre la personnalité et la motivation, on propose aussi une analyse prédictive de la façon dont les candidats vont se comporter dans certaines situations professionnelles sur la base de leurs résultats au test », précise Allie Powers. « Les recruteurs ont accès à un portail dédié qui leur permet d’avoir accès à une analyse détaillée des résultats (un rapport de 10 pages) et de comparer les traits de personnalité de plusieurs candidats à ceux nécessaires pour le poste », en superposant les profils notamment. « Par exemple, si vous cherchez un vendeur, vous pouvez vous baser sur les caractéristiques de votre vendeur le plus performant et voir s’il correspond à celui des candidats ou bien vous baser sur les caractéristiques recommandées par Talentoday. » Une façon objective de juger des compétences relationnelles, « parce qu’en entretien, la personne essaie toujours de montrer le meilleur d'elle-même, mais le test reflète ce qu’il en sera la plupart du temps ».

L’analyse de ces compétences non techniques intervient en principe après que les compétences techniques aient été évaluées. C’est justement ce que propose une autre start-up américaine. Pomato. Elle aide à vérifier les capacités techniques que les candidats disent avoir sur leurs CV mais que les recruteurs IT n’ont pas forcément. Le logiciel effectue plus de 200 000 calculs sur le CV d'un candidat en quelques secondes et le rend intelligible pour un non-initié. Il extrait les données pertinentes pour créer des graphiques et des représentations visuelles facilement compréhensibles et montrer aux RH quelles sont les forces et les faiblesses du candidat. L’outil élaborera ensuite un entretien technique personnalisé. La technologie est donc un outil précieux pour le recrutement, mais il ne remplace pas l’être humain. C’est encore à ce dernier que revient le dernier mot.

 

Le dernier mot revient au recruteur humain

Le recruteur humain a une intuition que n'a pas l'intelligence artificielle. Droit d'auteur : Infinityy

L’humain reste l’indispensable dernier rouage

L’intelligence artificielle ne fait pas tout. « C’est une technologie extrêmement utile aujourd’hui placée sur le devant de la scène par un effet de mode. Mais à Talentoday nous pensons que les données et la connaissance qu’elle apporte peut aider le recruteur à faire confiance à son instinct. On n’impose pas un candidat, on produit des informations pour que le RH soit plus confiant vis-à-vis de sa décision. C’est lui le professionnel ». Allie Powers considère également que trop s’appuyer sur la data peut être une erreur, « nos données deviennent plus intelligentes que nous mais je crois aussi qu’en tant qu’humains, nous avons des habiletés spéciales qui nous rendent capables de sentir et de juger d’une situation, il ne faudrait pas le perdre de vue ».

Aujourd’hui, d’après le Pew Research Center, au moins 28% des Américains ont utilisé leur smartphone pour trouver un emploi en 2015 et la moitié d’entre eux l’a fait pour remplir une candidature. Le processus de recrutement du futur est déjà en marche et il passe par la technologie.

Les intelligences artificielles pourraient même poursuivre leur conquête en investissant un secteur connexe au recrutement : celui du bien-être en entreprise, comme a vocation à le faire la jeune pousse Lucid aujourd’hui en bêta.


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