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Le mystère du pic de carbone 14 de l’an 994

Publié le 11 décembre 2016 par Annegaellerico
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Aurore boréale en Norvège. © Frank Olsen.

C’EST une jolie histoire de science, celle d’un mystérieux événement survenu il y a plus de mille ans, détecté par les sciences physiques et compris grâce aux sciences humaines. L’histoire de cette belle collaboration est racontée dans une étude japonaise à paraître dans Solar Physics. Tout est parti d’arbres. En 2013 est publié dans Nature Communications le travail d’une autre équipe nippone qui a identifié, dans les anneaux de croissance de cèdres du Japon, un net surplus de carbone 14 (14C) pour l’année 993-994 de notre ère. Isotope radioactif du carbone, le 14C est formé dans l’atmosphère suite à une réaction nucléaire déclenchée par l’arrivée de rayons cosmiques venus de l’espace. Ces particules chargées (protons, électrons, noyaux d’atomes), très énergétiques, entrent en collision avec les noyaux des atomes de l’atmosphère, ce qui libère des neutrons qui vont à leur tour réagir avec les noyaux de l’azote, le gaz le plus commun dans l’air. Au terme de cette réaction nucléaire, l’azote 14 se transforme en carbone 14, qui est ensuite absorbé et stocké par la végétation.

La détection de cette anomalie dans les cernes d’arbres – mais aussi dans des carottes de glace où l’on a retrouvé un surplus de béryllium 10 et de chlore 36, deux autres radio-isotopes dits cosmogéniques – indique que, peu de temps avant l’année 994, un ou plusieurs flux importants de rayons cosmiques ont atteint la Terre pendant une courte période. Restait donc à déterminer leur origine. Deux possibilités existent : soit une origine galactique ou extra-galactique, soit une origine solaire. Or, si notre étoile a été responsable de cette arrivée de particules chargées, l’éruption solaire a dû avoir d’autres conséquences notables sur Terre, à savoir des aurores boréales particulièrement spectaculaires.

D’où l’idée qu’ont eue ces chercheurs japonais de demander de l’aide à l’Histoire, d’avoir recours à des chroniques médiévales antérieures à l’an mil pour y rechercher d’éventuels témoignages d’époque. Aiguillés par de précédents travaux, ils se sont essentiellement plongés dans des annales allemandes (saxonnes), irlandaises et coréenne. Après épluchage minutieux de ces textes, ils ont découvert huit références correspondant à trois événements rapprochés, un de l’automne 992 et deux de l’hiver 992-993.

« Le ciel était rouge sang »

Le premier date du 21 octobre 992. Deux chroniques saxonnes signalent que, cette nuit-là, « tout le ciel s’est teint en rouge trois fois ». Le second événement survient deux mois plus tard, le jour de la Saint-Etienne qui tombe le lendemain de Noël, le 26 décembre. Cette fois, il est signalé non seulement dans les textes allemands mais aussi dans deux annales irlandaises. L’auteur d’une des chroniques saxonnes évoque un « miracle inouï » : « Soudain, aux alentours du premier chant du coq, venant du nord, une telle lumière brilla que beaucoup crurent que le soleil s’était levé. Cela continua pendant une heure. Après quoi, le ciel légèrement rougi retourna à sa couleur normale. » Un manuscrit irlandais, moins loquace, dit simplement que « le ciel était rouge sang ». La troisième et dernière occurrence se trouve dans un texte coréen. La datation est plus floue puisque les auteurs de l’étude parlent d’une période allant du 27 décembre 992 à la mi-janvier 993. La chronique dit : « Pendant une nuit, la porte du ciel s’ouvrit. » Cela peut sembler à la fois poétique et mystérieux mais l’étude d’autres textes montre que les Asiatiques avaient parfois recours à cette formulation pour parler d’une aurore boréale.

Etant donné que la latitude de la Corée est assez basse, 37° nord pour la capitale de l’époque Kaesong (actuellement en Corée du Nord), l’étude japonaise estime que l’orage géomagnétique qui a engendré cette aurore boréale devait être plus important que n’importe lequel des événements de ce genre enregistrés depuis 1957, mais pas aussi puissant que l’éruption solaire de 1859, dont les effets se virent jusque dans les Caraïbes. Quoi qu’il en soit, la survenue de ces trois aurores boréales remarquables en moins de trois mois suggère une intense activité solaire en cette fin d’année 992. Et explique probablement le mystère du carbone 14 absorbé par les vénérables cèdres du Japon.

Pierre Barthélémy (suivez-moi ici sur Twitter ou bien là sur Facebook)

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