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« Maintenant que le président a changé, les gens sont moins motivés »

Publié le 10 juin 2012 par Jcgbb

11 heures, ce dimanche matin à la cité des 4000 de La Courneuve, on s’ennuie ferme dans le réfectoire du groupe scolaire Langevin-Wallon. Dix piles de bulletin aux noms de chacun des candidats de la quatrième circonscription de Seine-Saint-Denis ont été soigneusement alignées sur la table, le code électoral est à disposition, les assesseurs guettent la porte d’entrée… qui ne s’ouvre pas. Le 22 avril, au même endroit, à la même heure, nous avions vu de longues files d’attente s’étirer dans ce bureau de vote pour le premier tour de l’élection présidentielle. Malgré la pluie, c’était un véritable défilé : les électeurs se saluaient, discutaient entre eux. Il y avait dans l’air une sorte d’excitation. Ce matin, régnait surtout un silence pesant.

Bureau de vote n°11 à La Courneuve. A midi la participation est de 16,22%, contre 21,4 % à l'élection présidentielle. © E.R

Bureau de vote n°11 à La Courneuve. A midi la participation est de 16,22%, contre 21,4 % à l'élection présidentielle. © E.R

Dans le bureau voisin, même constat : la mobilisation n’a rien à voir avec celle qui avait enthousiasmé les mêmes assesseurs il y a trois semaines. « Les gens voulaient le changement, ils sont venus, ils l’ont eu. Maintenant ils sont moins motivés », estime Mohamed Aouichi, un des assesseurs, inquiet que la finale de Roland-Garros à 15 heures, puis le match de foot Espagne-Italie à 18 heures, aggravent encore la situation dans l’après-midi. « Je l’ai toujours dit, ici il n’y a que deux élections qui comptent : la présidentielle et les municipales, ajoute-t-il. En 2007, après une mobilisation record pour la présidentielle, l’abstention avait ici atteint 50,60 % au premier tour. « Les législatives, les gens ne voient pas en quoi ça touche leur vie de tous les jours. Ils le ressentent pour le président, pour le maire, mais pas pour le député. » Et le redécoupage électoral qui a vu rattacher La Courneuve à une nouvelle circonscription n’a fait que renforcer ce désintérêt, juge un autre assesseur. « C’est vrai, regardez la liste des candidats, on n’en connaît aucun! »

Bureau de vote n°10 à La Courneuve, 11h15. © E.R

Bureau de vote n°10 à La Courneuve, 11h15. © E.R

Le fait que le maire (PCF) soit suppléant de Marie-George Buffet, candidate Front de gauche, ou que le secrétaire de la section PS et ancien proviseur sur la ville soit suppléant de la candidate socialiste Najia Amzal, n’a en effet pas l’air de peser dans le choix des quelques électeurs qui finissent par arriver. Ils évoquent un parti ou une tendance, plutôt qu’un nom, et la plupart évoquent spontanément leur vote pour la présidentielle. « Je suis venue pour bien appuyer le choix que j’ai fait en mai. La vie devient dure, il faut que ça change », confie Najette, 32 ans qui après un licenciement économique et plusieurs années de chômage n’a retrouvé qu’un travail d’agent d’entretien à mi-temps. « J’ai choisi en fonction de ce qu’on a vécu pendant cinq ans et de ce que je veux vivre les cinq prochaines années », explique Myriam, 27 ans, contrôleuse de gestion.

Appuyé sur sa canne, un vieil homme, chapeau noir, avance à pas lents. Il a 85 ans. Il s’approche des bulletins, pose son doigt sur le premier qu’il lit difficilement en plissant les yeux pour aiguiser sa vue. Puis pose son doigt sur le second. Et sur le troisième. Et ainsi de suite jusqu’au dernier  : il peut prendre son temps, il n’y a personne derrière lui. Arrivé au dixième, il lève la tête vers la femme assise devant lui : « Je voudrais celui pour le président… » « Mais monsieur, là c’est les législatives… » « Ah…, » dit-il. Moment de flottement. « Alors celui du parti socialiste, s’il vous plaît ». Elle finit par indiquer la pile en précisant : « vous devez en prendre plusieurs, n’oubliez pas ».

Bureau de vote n°10 à La Courneuve. © E.R

Bureau de vote n°10 à La Courneuve. © E.R

Les heures passent. Les électeurs continuent d’arriver au compte-goutte. Mais ce qui nous frappe, nous comme les assesseurs, c’est l’absence des jeunes hommes. Démarche nonchalante, casquette sur la tête, casque autour du cou, ils formaient le gros des troupes le 22 avril. Ce dimanche, la moyenne d’âge est élevée, et dans les quelques jeunes, on remarque surtout des filles.

A quelques minutes à pied du bureau de vote, Nasreddine, 22 ans, et Nouredine, 27 ans, discutent devant la boucherie halal où le second est employé. Le premier n’a pas de travail. L’un et l’autre ont voté le 22 avril mais font une moue dubitative quant à l’idée de recommencer ce dimanche. « Moi je ne vote qu’une fois tous les cinq ans, dit Nasreddine. Que pour le président ! Et encore, c’est mon père qui m’avait forcé ! Moi je ne crois pas que ça change grand-chose. » Un peu plus loin, Dahbia, 20 ans, attend le tramway pour aller travailler dans la chaîne de restauration dont elle porte l’uniforme. Elle aussi avait voté le 22 avril mais ce dimanche, explique-t-elle, elle s’est « réveillée trop tard ». « Autour de moi, tous les amis qui s’étaient mobilisés la dernière fois ne vont pas se déplacer, ils pensent que ça ne sert à rien. On voulait surtout changer le président… » Elle réfléchit, comme interpellée par nos questions. « Je finis à 18 heures. J’irai peut-être ce soir en sortant du travail… » Puis, nous rattrape alors que nous repartons : « Dites, les bureaux, ils ferment bien à 20 heures ? » Une femme qui traîne son caddie de courses entend notre conversation : « Ah c’est aujourd’hui les élections ? »

A.L


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