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Orlando, loin de l’Euro

Publié le 14 juin 2016 par Santamaria

Ce fut presque une surprise : aucun geste, minute de silence en particulier, n’aura été consacré aux victimes du massacre d’Orlando sur les terrains de l’Euro 2016 [1]. Le football est pourtant enclin aux hommages et aux cérémonies marquant les deuils ou leurs commémorations. L’UEFA s’est retranchée derrière un usage selon lequel, à l’en croire, seuls les drames concernant le football, le pays organisateur ou l’une des deux équipes peuvent faire l’objet de tels gestes. Ainsi qu’exceptionnellement, « des événements tragiques de grande ampleur ayant conduit à la mort de milliers de personnes, comme des catastrophes naturelles par exemple », a expliqué l’instance à Marianne.

Le premier cas de figure avait été illustré, en novembre, par les minutes de silence qui avaient marqué les lendemains des attentats de Paris (commis en partie aux abords du Stade de France lors de France-Allemagne) ainsi que le spectaculaire hommage de Wembley lorsque, la semaine suivante, l’Angleterre avait reçu la France. Le second lorsqu’en mars 2011, la confédération avait décidé que tous les matches européens suivant le séisme au Japon seraient précédés d’une minute de silence. Mais en mars dernier, des matches internationaux comme Pays-Bas-France et Allemagne-Angleterre avaient été précédés de minutes de silence, tandis que les joueurs portaient des brassards noirs, en hommage aux victimes des attentats de Bruxelles…

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L’EMPATHIE ET LA DISTANCE

On peut donc s’interroger sur ce qui a présidé à la décision de l’UEFA, son invocation du caractère « irréaliste » d’un hommage étant battu en brèche [2]. La première explication qui vient à l’esprit est celle d’un ethnocentrisme européen qui considérerait que les événements sont trop lointains. Ce serait manifester une piètre réciprocité, tant les récents drames européens avaient été salués outre-Atlantique. Et exprimer une conception kilométrique de la distance aussi peu justifiée que possible : l’ennemi est le même, le mode opératoire similaire à celui du Bataclan, le bilan humain supérieur à celui de Bruxelles… [3]

Est-ce alors la cible qui fait la différence ? Car en l’espèce, le crime est explicitement homophobe. On peut avancer l’explication que lorsqu’une communauté particulière est visée, l’empathie est moins spontanée et moins vive. Cela avait été perceptible à l’occasion des meurtres de Mohamed Merah, ou dans les impacts différents de la fusillade à Charlie Hebdo et de la prise d’otage à l’Hyper casher – l’identification aux victimes paraissant moins aisée. Mais l’antisémitisme avait alors été clairement mis en avant. Or, lundi, de nombreux observateurs ont déploré que la couverture médiatique française et les réactions politiques éludaient notablement le mobile homophobe du tueur et le fait que ses victimes soient des homosexuels [4]. Comme s’il restait difficile d’évoquer frontalement cette communauté-là, de la nommer en une des journaux en même temps que la haine particulière dont elle est l’objet.

GRANDES VALEURS ABSTRAITES

L’attitude de l’UEFA procède certainement d’un embarras analogue, renforcé par le contexte propre au football. Ce dernier est d’abord vu, souvent avec raison, comme un creuset de l’homophobie – au moins ordinaire au travers des insultes à caractère sexuel entendues dans les tribunes, chez certains joueurs, entraîneurs ou dirigeants. C’est ensuite un milieu au sein duquel les coming-out des joueurs sont aussi risqués que rarissimes, favorisant une invisibilité de la question elle-même.

Très sensible aux enjeux d’image, à plus forte raison au lendemain d’un très dommageable week-end de hooliganisme à Marseille, l’UEFA a sans doute envisagé l’éventualité que les minutes de silence soient perturbées et que l’Euro alimente encore l’actualité avec des turpitudes dont elle aurait à répondre. Mais indépendamment de ces considérations, l’épisode fait aussi prendre conscience de la contradiction entre la communication de l’UEFA et sa gestion de la réalité. Les campagnes institutionnelles de la confédération font appel à des grandes valeurs consensuelles et abstraites pour proclamer des messages génériques et indolores, comme dans la campagne « Non au racisme ». Une abstraction de même sorte que le mot d’ordre majeur de l’UEFA, « Respect ».

HOMOPHOBIE : UN ENGAGEMENT TRÈS RELATIF

Sur son site institutionnel (uefa.org), à la rubrique « responsabilité sociale », l’UEFA présente comme « une priorité majeure » ses « efforts pour éliminer le racisme, la discrimination et l’intolérance dans le football ». Le terme homophobie, même s’il apparaît régulièrement, n’est pas d’usage très courant, et l’acronyme LGBT est rarissime. Sur son site public (uefa.com), les occurrences des deux termes sont encore plus exceptionnelles [5]. Autant dire que l’opposition de l’organisation sportive à l’homophobie est très théorique, et que la question ne fait pas l’objet d’une démarche spécifique. C’est peut-être finalement, cette indifférence qui a le plus profondément déterminé ce qui est en fait une non-décision : il aurait fallu à la fois plus d’empathie et de volontarisme pour se saisir d’un événement aussi puissant afin de faire avancer cette cause particulière.

Enfin, le choix de l’UEFA relève de l’ambiguïté globale des instances du football envers les expressions de nature « politique », théoriquement proscrites. Une proscription qui consiste le plus souvent à sanctuariser les stades pour n’y laisser s’exprimer que l’idéologie des sponsors, à censurer les expressions critiques envers la gouvernance et les évolutions de ce sport, et à rester hermétique à d’autres formes de mobilisation [6]. Or la défense des droits des minorités est une lutte éminemment politique, qui implique de s’engager bien au-delà de déclarations de principe qui n’engagent à rien.


[1] Une minute de silence a été observée dans les fans zones, sur décision de l’association des villes hôtes.
[2] Dont un porte-parole a déclaré à Marianne, sur le mode « On ne peut pas accueillir toute la misère du monde : « Il y a malheureusement des événements tragiques qui se déroulent presque quotidiennement partout dans le monde, et il serait tout simplement irréaliste de rendre hommage à toutes les victimes ».
[3] On objectera que les attentats au Proche et au Moyen-Orient, dont les bilans sont tragiquement lourds, sont ici banalisés, vus de très loin. La remarque est juste, mais elle indique aussi toute la difficulté d’un traitement équitable : on peut à l’inverse trouver logique voire légitime une plus grande sensibilité à ce qui est proche.
[4] Lire les articles d’Acrimed, Arrêt sur images, Politis et Les Inrocks, ou la tribune de Didier Lestrade.
[5] Le plus souvent dans des documents PDF (rapports, comptes rendus).
[6] Et qui n’empêche évidemment pas la politique (ou la géopolitique) de rentrer par la fenêtre avec l’instrumentalisation des compétitions de sélection par les gouvernements et les élus. Les expressions religieuses bénéficient pour leur part d’une tolérance notable.


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