Magazine Humanitaire

L’attentat d’orlando donne à réfléchir sur la virulence de l’homophobie

Publié le 27 août 2016 par Frédéric Joli

NEWS NEWS NEWS Le 12 juin 2016, à Orlando (Floride, USA) une tuerie de masse perpétrée aux dans le club LGBT le . Quarante-neuf personnes ont été assassinées. Il s'agit du plus lourd bilan pour un massacre par arme à feu commis en temps de paix aux Etats Unis. Visant spécifiquement un lieu fréquenté par la communauté gay cet attentat est considéré comme le plus grave crime homophobe de l'histoire américaine. Le tueur a déclaré agir au nom de l'organisation autoproclamée Etat Islamique, qui a revendiqué le crime. Daniel Borrillo, maître de conférences à l'université Paris-Ouest-Nanterre-La ­Défense, chercheur au CNRS, auteur du Que sais-je ? L'Homophobie (PUF, 2013), revient sur ce drame. Entretien (publié dans Le Monde IDÉES)

Après l'attentat dans le club gay d'Orlando, on a associé l'acte homophobe à l'islamisme. Mais l'homophobie n'est-elle pas très largement partagée ?

Après la tuerie d'Orlando, l'instrumentalisation politique de l'émotion a été générale. Donald Trump a accusé ­Barack Obama de ne pas avoir anticipé cette nouvelle forme de terrorisme, et Marine Le Pen a développé une logique d'affrontement avec un islam homophobe. Ces manipulations sont dangereuses. Ce drame devrait être l'occasion de réfléchir sur ce qu'est l'homophobie.

Le terme est apparu dans les années 1960, il a été présenté pour la première fois en 1971 dans la revue américaine Psychological ­Report. D'autres analyses ont suivi - sociologiques, philosophiques, politiques... Elles décrivent une forme d'antipathie agressive envers les homosexuels, une volonté irrépressible de les expulser du corps social étayée par l'idée qu'ils défient " l'ordre naturel ", mais aussi attentent à l'ordre divin défini par les grandes religions du Livre.

Quelles sont les formes de l'homophobie dans les grands textes judéo-chrétiens ?

On trouve de nombreux textes dénonçant avec virulence les pratiques homosexuelles chez les théologiens juifs et catholiques. Cette homophobie avant l'heure se manifeste par une théorisation sur la nécessité d'extirper les impuretés du corps prétendument pur de l'humanité. Selon elle, une part de la population contredirait la destinée collective voulue par Dieu.

Dans l'Ancien Testament, cette volonté de purification s'exprime dans l'épisode de la Genèse où les deux anges qui visitent Loth sont pris à partie par des habitants de Sodome. Le lendemain, Dieu fait pleuvoir sur la ville des " sodomites " une " pluie de soufre et de feu ". Dans le Lévitique [le troisième des cinq livres de la Torah], l'acte charnel entre personnes du même sexe est décrit comme " une abomination " et appelle à mettre à mort les fautifs. Ces condamnations furent par la suite reprises par saint Paul, par Jean Chrysostome, puis, tout au long du Moyen Age, par les études en scolastique (saint Thomas d'Aquin) et en patristique (saint Augustin), jusqu'à faire force de loi. Sous l'Inquisition, de nombreux homosexuels ou " bougres " sont castrés, amputés, torturés et brûlés.

" Les représentations érotiques, artistiques et littéraires de l'Antiquité polythéiste révèlent une homosexualité répandue, parfois célébrée. "

Et dans l'islam ?

Dans le Coran, le " peuple de Loth " est puni pour avoir commis " des actions abominables ", et l'homosexualité est dénoncée comme un " péché " dans la sourate des " normes ". Aucune punition n'est édictée, mais dans plusieurs hadith [les paroles de Mahomet], la sodomie est explicitement sanctionnée par la lapidation et le bannissement. Par la suite, de grandes discussions théologiques ont lieu pour savoir s'il faut sanctionner ou pardonner.

Aujourd'hui, dans de nombreux pays musulmans - l'Arabie saoudite, l'Iran, la Mauritanie, le Soudan, le Yémen, sans oublier les territoires contrôlés par l'organisation Etat islamique -, l'homosexualité est punie de bannissement, de flagellation, parfois de mort. Pourtant, dans le monde musulman, à l'époque du califat des Abbassides [Bagdad, 750-1258] comme d'Al-Andalus [l'Andalousie musulmane, 711-1492], il existait une tradition homo-érotique vivace.

Que ce soit dans le monde chrétien ou musulman, a-t-on assisté à une rupture avec ­l'homo-érotisme de l'Antiquité ?

Les représentations érotiques, artistiques et littéraires de l'Antiquité polythéiste révèlent une homosexualité répandue, parfois célébrée. Un homme " actif " pouvait avoir un rapport sexuel avec un homme " passif " ou avec un éphèbe sans être soumis à l'opprobre. L'homo-érotisme entre adultes et adolescents faisait partie de l'initiation à la virilité comme à la vie militaire. A Sparte, à l'instar d'Achille et de Patrocle à Troie, les couples d'amants combattants sont courants. La rupture avec cette tradition date de la conversion de l'empereur ­Constantin et de l'Empire romain au christianisme, qui devient religion d'Etat. Pour la première fois, des lois condamnent la prostitution et les hommes qui se comportent " comme des femmes ".

L'homophobie ne se ­manifeste-t-elle pas aussi par un rejet de tout ce qui relève de l'efféminé chez les hommes et du masculin chez les femmes ?

L'homophobie ne concerne pas que l'acte sexuel " contre-nature ", mais certains comportements dénoncés comme non conformes. Au Moyen Age, la mollitia, la " mollesse ", est considérée comme indigne d'un homme. Saint Jérôme le dit très bien, à la suite de saint Christophe : comment l'homme, la consécration de la création, peut-il agir comme une femme, considérée comme un être inférieur ? Comment peut-il autant déchoir et trahir la destinée de son genre ? Il y a dans cette homophobie une misogynie féroce. Tout comme dans le profond mépris où est tenu le saphisme.

Ne peut-on parler également de l'homophobie comme ­d'une survalorisation du modèle hétérosexuel ?

L'hétérosexisme, qui est une forme de certitude brutale de la supériorité morale, juridique et anthropologique de l'hétérosexualité sur l'homosexualité, est un préalable à l'homophobie, qui en est une forme violente. L'hétérosexualité domine la hiérarchie des valeurs sexuelles du fait qu'elle défend la sexualité reproductive, pas celle du plaisir. En plus d'une doctrine religieuse, elle est rapidement devenue une idéologie d'Etat qui se doit de garantir la famille et la continuité des sociétés. L'homosexualité, la sodomie et même la masturbation ont ainsi été condamnées en Occident jusqu'au milieu du XX e siècle.

L'hétérosexisme tourne à l'homophobie dès lors qu'il dénie aux homosexuels le droit à une vie normale. Aujourd'hui encore, vous avez beau aligner les études rapportant l'absence de problèmes des enfants élevés dans l'homoparentalité, l'idéologie hétérosexiste résiste : seuls les couples des deux sexes seraient habilités à élever des enfants. La dépénalisation de l'homosexualité date de 1982, mais les arguments moraux, biologiques et même psychanalytiques des opposants à l'homosexualité perdurent chez les opposants au mariage gay et à l'adoption par les couples homosexuels.

Longtemps, la pression sociale était telle que l'homophobie a été intériorisée par les homosexuels eux-mêmes. Pourquoi ?

L'homosexuel méprisé intègre l'idée qu'il est inférieur et qu'il ne mérite pas d'exister, ce qui produit des déchirements psychologiques. La littérature française est riche de ces personnages torturés : voyez Jouhandeau, Proust, Genet, Rimbaud. Jean-Paul Sartre montre, dans Saint Genet, comédien et martyr, que le poète pense qu'il est un traître à son genre et à la société.

Aujourd'hui, certains avancent que le tueur d'Orlando est un homosexuel qui se déteste. C'est possible, mais ces explications négligent la dimension idéologique de l'acte. La déportation des homosexuels par le III e Reich a été vue insidieusement comme un règlement de compte des homosexuels nazis, mais c'est oublier que les homosexuels payaient leur crime contre " la race supérieure " du fait qu'ils prenaient leur plaisir sans se reproduire.

Les terroristes islamistes ne tiennent-ils pas de propos proches ?

Quand ils revendiquent de s'en prendre aux salles de concert ou aux clubs gay, ils s'attaquent à la tolérance des mœurs en Occident, conquise de haute lutte, notamment par les mouvements féministes et homosexuels. Ils veulent aussi détruire un art de vivre millénaire, l' ars erotica, qui remonte, comme l'a montré Michel Foucault, au monde gréco-romain et oriental. On voit l'importance symbolique de ces attaques pour les islamistes, qui détestent autant l'Occident qu'ils renient leur propre histoire et les mouvements LGBT musulmans.

La prochaine Gay Pride défendra les droits des transsexuels et des transgenres. A l'homophobie, faut-il ajouter la transphobie ?

Bien que le combat politique des personnes gay, lesbiennes, trans, bi et ­inter-sexe soit commun, on constate dans plusieurs pays, musulmans compris, une forme de tolérance des personnes transgenres. En Iran, les chirurgies de réassignation sexuelle sont légales alors que l'homosexualité est punie. Le transsexualisme peut apparaître comme conforme à l'ordre sexuel quand il correspond à une apparence d'hétérosexualité. Cette conformité explique que le mariage des personnes transsexuelles soit mieux accepté que le mariage gay. En revanche, en France, les questions de filiation et d'état civil demeurent compliquées, ce qui explique les revendications de la Gay Pride.

Lire la tribune : " Il devient urgent de repenser la relation entre l'islam, l'homosexualité et la société civile " Signaler ce contenu comme inapproprié

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Frédéric Joli 39938 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte