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Le magicien qui fait aimer les maths aux ados

Publié le 11 juin 2012 par Ethiqueemois

C’est un secret que l’on se transmet entre mères et que l’on ne tient pas trop à ébruiter. Il y a, non pas dans mais face à la cité scolaire Lakanal, un professeur qui donne aux adolescents le goût des mathématiques. Un magicien qui peut amener le plus réfractaire d’entre eux, le plus bloqué, celui dont les notes sont aussi basses qu’est haute la détestation de cette matière parfois aride, à déclarer un beau jour à ses parents ébahis: « Avec lui, en fait, j’aime bien faire des maths ».

Le magicien qui fait aimer les maths aux ados

Gérard Giacone, professeur très particulier © Antonin Sabot / LeMonde.fr

Gérard Giacone réussit ce petit miracle avec la quinzaine de jeunes qu’il suit en cours particulier une ou deux heures par semaine, pour la plupart élèves du lycée Lakanal auquel son appartement fait opportunément face. Et tout cela grâce à un changement de vie opéré il y a six ans, la mi-quarantaine venue. Diplômé de gestion, consultant puis responsable informatique pendant un peu plus de 20 ans, Gérard Giacone, un beau jour, a regardé la (grosse) entreprise qui l’employait avec la lucidité de celui qui ne s’y voit pas vieillir. «C’était devenu un monde de suspicion, valide moi ça, confirme moi ça par mail. Un monde de pression et de compétition, dans lequel on ne pouvait plus avoir de relations amicales entre collègues ».

Que faire de sa vie alors ? Son père, passionné de maths, lui en a donné le goût. Dans sa carrière, il a aimé former les autres. Le voilà donc en 2006 qui se lance dans les cours particuliers. Très vite, les élèves affluent grâce au bouche-à-oreille, mais les revenus dégringolent. Tant pis, le logement est payé. « J’ai fait un choix de vie. J’ai le temps de courir au parc de Sceaux. Je n’aurai pas de Ferrari, mais ce n’est pas grave! Je ne regrette rien. C’est génial de transmettre !»

Ce plaisir, les adolescents le ressentent. Les parents en constatent le résultat. Le dégoût des maths qui peu à peu s’efface, les notes qui enfin décollent alors qu’on n’y croyait plus guère. Quand ils évoquent Gérard Giacone, c’est un peu le Messie redressant le paralytique qu’ils décrivent : « Jamais mon fils n’a dit que cela le soûlait d’aller faire des maths avec lui… », s’émerveille un père. « Il les amène à trouver la clé des maths sans jamais les brusquer », admire Isabelle, professeur des écoles. «Quelqu’un d’extraordinaire ! », pour Noëlle, enseignante elle-aussi. « D’un grand professionnalisme, il voit là où ça pêche et sait débloquer. Il prend son boulot à cœur, il est d’une grande disponibilité et d’une grande générosité. D’ailleurs, pour certains élèves, il prend trois fois rien… Il développe une relation particulière avec les ados, il montre qu’il a envie de se battre pour eux. Et il ne s’énerve jamais. Toutes qualités qu’un professeur devrait avoir ! ».

Les adolescents complètent le tableau. Car le pédagogue, aussi modeste que réservé, ne goûte guère l’autocélébration. Tout juste évoque-t-il la « satisfaction égoïste et personnelle » qu’il éprouve à voir ses élèves comprendre et réussir. Les Sms reçus après un contrôle, ou le bac, qui annoncent de bonnes notes et lui donnent « la banane». Kevin, en terminale STG, avait « vraiment horreur des maths » : « Des profs particuliers, j’en ai eu 5 ou 6 autre. Franchement, c’est le seul qui est vraiment là pour moi, pas pour gagner de l’argent. Il est joignable dès qu’on a une question. Il est proche de nous, on n’est pas là que pour les maths, on rigole un peu, on se raconte des blagues, il est assez jeune dans sa tête. Et il ne lâche pas tant qu’on n’a pas compris».

Pendant les cours, Sophie, en terminale S, a l’impression qu’on lui dit d’appliquer des formules, mais qu’on ne lui explique pas vraiment « d’où ça vient et pourquoi il faut faire ça ». « Avec lui, on comprend les mécanismes. En classe, on est 36. On peut demander quand on n’a pas compris, mais si à la deuxième explication on n’a toujours pas compris, c’est tant pis. Le niveau de la classe est assez élevé, les autres s’ennuient si on s’attarde trop. »

Le magicien qui fait aimer les maths aux ados

Jules, en fin de troisième, a l'impression d'avoir pris un nouveau départ. "Les maths, même pour moi, c'est possible"... © Antonin Sabot / LeMonde.fr

Jules, l’élève le plus jeune de Gérard Giacone, encore en troisième, a repris confiance. « Avant je pensais que les maths, je ne pouvais pas réussir, que j’étais arrêté là, c’est tout. Maintenant je sais que je peux avoir des notes correctes comme tout le monde. Avec Gérard Giacone, je ne me sens jamais idiot comme devant le prof quand je pose une question. Lui il dit « Oui, je comprends ce que tu veux dire mais ce n’est pas tout à fait ça ». Il n’est jamais négatif. Les maths, ça devient beaucoup moins désagréable quand t’es avec quelqu’un de super gentil, de réconfortant, qui t’aide ».

Quelqu’un qui offre une tasse de thé ou un petit café à l’arrivée chez lui. Qui commence pas parler sport, musique ou téléphone portable histoire de se décontracter avant d’en venir aux choses sérieuses. Qui invite les plus âgées à partager une soirée foot ou un tennis. Et organise même des révisions collectives d’avant bac sur fond de Roland Garros… Bref, qui dédramatise les maths, « ce mot qui fait peur », sait-il parfaitement. « Parce qu’on sélectionne dessus. Et que si l’on n’acquière pas certaines bases en quatrième, c’est fini, on traîne ces lacunes comme un boulet. Contrairement à l’histoire, on ne peut pas se rattraper sur la Renaissance si on a raté le Moyen-Age. Il y a un effet cumulatif, les difficultés deviennent de plus en plus importantes ».

Comment s’y prend-il pour dépasser ces difficultés ? La relation amicale tissée avec les élèves prime. Tous nous ont confié vouloir progresser pour eux-mêmes, bien-sûr, mais aussi pour faire plaisir à celui qui les soutient à bout de bras et qui, au fil des leçons, devient pour eux un ami. Gérard Giacone a par ailleurs l’art de s’adapter. Au langage du professeur, à ses attentes. A l’élève. « Quand il arrive chez moi, je tente d’abord de saisir ce qu’il a compris, et pourquoi il a mal compris. Parfois, je fais exprès de prononcer des phrases alambiquées pour voir s’il est capable de me dire qu’il ne suit pas. Car l’école inhibe, on ne peut pas se tromper. Ici, il a le droit de dire toutes les conneries qu’il veut, c’est le lieu ».

Le professeur particulier explique ces propriétés mathématiques apprises par cœur un jour et oubliées le lendemains parce qu’elles ne font pas sens. D’une, deux, trois manières différentes, jusqu’à ce que cela passe, en s’appuyant dès que possible sur des exemples concrets. « Je ne dis jamais « C’est comme ça », il faut qu’ils aient compris pourquoi et comment on fait. Charge à eux ensuite de le figer dans leur tête et de bosser ». A chaque élève, des explications différentes. L’an dernier, M.Giacone faisait cours à huit lycéens de la même classe de terminale ES qui s’étaient donné le mot. « Huit cours qui variaient en fonction de leur psychologie et de leur niveau de compréhension ».

Un luxe, que cette approche individualisée. Gérard Giacone en est bien conscient. «J’ai le beau rôle. Je ne sais pas comment font les profs de Lakanal avec 36 élèves par classe! Moi je ne pourrais pas. Le problème est là, ils doivent faire énormément de discipline, et ils ne peuvent pas s’adapter à chaque élève, ils s’adaptent à un niveau de compréhension moyen ». Plutôt élevé dans cet établissement réputé. « Or ce que me rapportent les parents, c’est que pour ceux qui peinent à suivre, c’est un peu marche ou crève, on ne va pas beaucoup les aider, ils couleront tranquillement ».

A travers les lycéens qu’il suit, M.Giacone a constaté le peu de goût donné des maths, au lycée, ainsi que les énormes disparités au sein du corps professoral. « Certains enseignants sont excellents. Il y a notamment un professeur qui est ma Bible, j’apprends beaucoup avec ses cours ! Mais il y a aussi des catastrophes, sans aucune pédagogie, qui corrigent les copies n’importe comment. Tout le monde le reconnaît, mais ils restent…». Même s’il en vit, l’inflation de cours particuliers pris par les lycéens, notamment en maths, l’interroge. « Cela concerne peut-être 50% d’entre eux ? Ce n’est pas normal. C’est une dérive, une pratique socialement discriminante» – compter 30 euros de l’heure, chez lui, sans les charges. Une pratique qui n’est pas non plus sans effets pervers. Au lycée, en cours de maths, les élèves de Gérard Giacone ont tendance à s’endormir. Ils savent que les explications seront plus limpides l’heure suivante lorsqu’ils traverseront la rue.


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