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Eddy Bellegueule alias Edouard Louis, Riadh.B alias Reda et le féroce juge Bourla

Publié le 18 mars 2016 par Culturabox

On annonçait un passionnant débat juridico-littéraire, vendredi 18 mars devant le juge des référés à Paris. Il devait opposer l’écrivain Edouard Louis, alias Eddy Bellegueule, à celui qui l’accuse d’atteinte à la vie privée et à la présomption d’innocence, Riadh B, alias « Reda », le personnage décrit par l’écrivain dans Histoire de la violence (Seuil) comme l’ayant violé et tenté de l’étrangler une nuit de décembre 2012. Le jeune homme, un Marocain sans papiers, a été arrêté en janvier 2016 dans une autre affaire, quelques semaines après la publication du livre. Il est actuellement détenu et mis en examen pour « viol » et « tentative d’homicide » après que son ADN a été identifié comme correspondant à celui prélevé au domicile d’Edouard Louis, qui avait porté plainte trois ans plus tôt.

En l’absence des deux hommes, représentés par leurs avocats, le seul vrai personnage de cette audience a été le juge Alain Bourla, qui ressemble à s’y méprendre à Anton Ego, le terrifiant critique gastronomique du film Ratatouille. La leçon ne fut pas de cuisine mais de droit et s’est abattue avec férocité sur les deux jeunes conseils du plaignant, dont une présomption d’inexpérience justifierait qu’ils bénéficient du même anonymat que leur client.

Première salve : le juge observe que, dans une lettre adressée au Seuil avant les poursuites, les défenseurs de Riadh B. ont d’abord tenté d’obtenir de l’éditeur l’insertion d’un encart dans chaque exemplaire de l’ouvrage, informant les lecteurs que ce récit « porte atteinte à la présomption d’innocence et à la vie privée de… ». Suivaient, en toutes lettres, le nom et le prénom du plaignant.

Le juge :

– Donc, si le Seuil avait obtempéré, le public aurait été informé du nom de votre client…

Les deux avocats baissent la tête.

– C’est une erreur de plume, plaident-ils.

Le juge poursuit en relevant que, lors de son arrestation, Riadh B. a donné aux enquêteurs quatre alias distincts et que, dans leurs écritures, ses avocats évoquent eux-mêmes deux identités différentes, ce qui dans une procédure pour atteinte à la présomption d’innocence et à la vie privée est en effet fort ennuyeux.

Donc, je m’interroge : qui est véritablement le demandeur ? Qui est votre client ?

Me Emmanuel Pierrat, l’avocat d’Edouard Louis renchérit :

Comment un livre pourrait-il rendre identifiable quelqu’un dont même ses avocats ignorent la véritable identité ?

Le juge Bourla se saisit alors des quatre attestations versées par les avocats à l’appui de la plainte. Signées de proches de Riadh B., elles affirment qu’il est parfaitement identifiable dans Histoire de la violence. Nouvelle épreuve pour les deux conseils : ces attestations ne sont pas conformes aux règles, elles sont tapées à la machine alors qu’elles devraient être manuscrites. « Je remarque d’ailleurs que deux d’entre elles sont d’ailleurs tapées sur la même machine », dit le juge. Aucune de ces attestations ne comporte en outre la mention obligatoire relative au risque encouru en cas de faux témoignage. En matière de droit de la presse et de l’édition, la procédure est implacable. Exit donc les attestations.

Le juge examine maintenant les demandes de réparation des avocats : 50 000 euros de dommages et intérêts, modification du prénom « Reda » dans toutes les rééditions de l’ouvrage et insertion d’un encart en première page de chaque exemplaire du livre.

Alain Bourla fronce les sourcils :

Vous écrivez, je cite, que « la seule possibilité de faire cesser les atteintes manifestes à ses droits est l’insertion d’un encart ».

Il a appuyé sur ces deux mots, « faire cesser « . Il enchaîne :

Je m’interroge à nouveau : en quoi la teneur de cet encart peut-elle  faire cesser les atteintes ?

Les deux avocats bafouillent. L’un tente :

Eh bien, le lecteur lira ce livre de façon différente…

Faire cesser, avez-vous écrit, répète le juge.

L’affaire semble donc déjà fort mal engagée. Quand s’ouvre le débat au fond, le jeu de massacre continue. Les avocats exposent les raisons pour lesquelles leur client est identifiable. Comme le  Reda de Histoire de la violence, le plaignant a des fossettes, des yeux marron, des sourcils noirs, un visage lisse de type maghrébin, il est homosexuel, consomme du cannabis, travaille de temps à autre comme plombier au noir, fréquente la place de la République et son père immigré a vécu dans un foyer Sonacotra à son arrivée en France. La défense a beau jeu de répliquer qu’une telle description est susceptible de concerner beaucoup de monde à Paris aujourd’hui.

La seule réalité, c’est que l’identification de Riadh B. ne s’est pas faite sur le livre d’Edouard Louis, mais sur son ADN, conclut Me Pierrat.

L’écrivain et Le Seuil demandent l’euro symbolique pour procédure abusive. Le jugement a été mis en délibéré au 15 avril.


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