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Littérature jeunesse : Copé accuse à tort le gouvernement sur « Tous à poil »

Publié le 10 février 2014 par Marie38

Après deux semaines d’intox autour des « études de genre », c’est au tour de Jean-François Copé de faire rebondir la polémique. Cette fois c’est la littérature jeunesse qui est accusée de véhiculer des notions à même de pervertir les plus jeunes, si l’on en croit la sortie du président de l’UMP.

Ce qu’il a dit : M. Copé a fustigé, dimanche 9 février sur RTL, un livre pour enfants, selon lui « recommandé aux enseignants » :

« Ça vient du centre de documentation pédagogique, ça fait partie de la liste des livres recommandés aux enseignants pour faire la classe aux enfants de primaire », a-t-il dénoncé. Titre de l’ouvrage : Tous à poil. Et M. Copé d’expliquer : « Quand j’ai vu ça, mon sang n’a fait qu’un tour. »

Le maire de Meaux a ensuite lu quelques titres : « A poil le bébé, à poil la baby-sitter, à poil les voisins, à poil la mamie, à poil le chien… A poil la maîtresse… Vous voyez, c’est bien pour l’autorité des professeurs ! » Avant de s’énerver : « Il y a un moment où il va falloir qu’à Paris on atterrisse sur ce qui est en train de se faire dans ce pays. »

Et M. Copé de conclure que « le rôle des responsables de l’UMP c’est de dire ‘ça suffit’«  face à « un gouvernement pétri d’idéologie ».

>> Lire : Jean-François Copé s’emporte contre le livre pour enfants « Tous à poil »

Pourquoi c’est très exagéré ?

1. Un livre qui a gagné des prix de littérature jeunesse

Tout d’abord, de quel livre parle-t-on ?

Tous à poil est un livre de Claire Franek et Marc Daniau d’une quarantaine de pages, paru en 2011. Il figure des gens qui se déshabillent les uns après les autres pour aller se baigner dans la mer. A chaque page, donc, un nouveau personnage est dessiné en train de se déshabiller.

Littérature jeunesse : Copé accuse à tort le gouvernement sur « Tous à poil »

En regardant les commentaires des lecteurs de plusieurs sites qui proposent ce livre à la vente, on constate qu’il est plutôt bien noté, et que personne, du moins jusqu’à ce matin, ne s’offusquait de la thématique ou du contenu de l’ouvrage.

Tous à poil a d’ailleurs gagné en 2011 le prix Libbylit du meilleur album pour enfants, décerné par la section belge de l’Union internationale pour les livres de jeunesse. Les illustrations du livre ont été l’objet d’une exposition à Aubervilliers en 2013.

Si le livre a fait bondir M. Copé, on peut déjà remarquer qu’il est le premier à réagir ainsi et à s’offusquer à propos de cet ouvrage.

[Ajout : Le Figaro revient sur le livre, qu’il juge « drôle », aux dessins « explicites sans êtes malsains » et rapporte l’étonnement des auteurs et de l’éditeur quant à cette polémique. Sur Le NouvelObs.com, l’un des auteurs du livre explique également qu’il ne « comprend pas » la polémique]

2. Un livre qui n’a jamais été vraiment recommandé pour la classe

Ce livre est-il donc « recommandé aux enseignants pour faire la classe aux enfants de primaire », comme l’affirme M. Copé ? Pas vraiment.

Il suffit d’aller sur le portail Eduscol pour avoir la liste des livres officiellement proposés aux enseignants par le ministère. Tous à poil n’y figure pas.

L’histoire est en réalité plus complexe. Il existe depuis 2008, des délégués régionaux et départementaux à l’égalité entre les femmes et les hommes qui ont pour mission de mettre en place des politiques visant à assurer cette égalité.

En 2009, la chargée de mission pour l’égalité hommes-femmes en Drôme-Ardèche a découvert le travail effectué par une association de la petite ville ardéchoise du Teil, L’Atelier des merveilles. Cette structure, qui organise des « goûters lecture » pour les enfants a réalisé une bibliographie « pour l’égalité filles et garçons », présentant une sélection d’ouvrages jeunesse pouvant aider à poser cette question aux enfants. La déléguée a donc demandé à l’association si elle pouvait utiliser cette bibliographie.

Comme l’explique une librairie participante, « cette bibliographie est unique en son genre par sa méthodologie, puisqu’elle a été établie par les familles qui ont plébiscité leurs titres préférés, en ont défini l’organisation par chapitres (identité ; des mamans et des papas ; la claque aux clichés…) et en ont rédigé les notices ». La liste ne vient donc pas de pédagogues militants, mais de parents d’élèves.

A partir de septembre 2009, cette liste a été diffusée nationalement, via les délégations aux droits des femmes. Mais elle n’a aucun caractère officiel. Il s’agit d’un « outil d’aide aux choix de lecture », qui a bénéficié d’une aide des préfectures de la Drôme et de l’Ardèche. Tous à poil y a été ajouté en 2012.

Le livre n’est donc absolument pas « recommandé » aux enseignants de primaire officiellement. Il fait partie d’une liste de cent ouvrages qu’une association locale a réalisé.

La seule reprise de cette liste sur un site institutionnel est ici, au Centre régional de documentation pédagogique de Grenoble. Et encore faut-il aller la chercher, car elle n’est pas du tout mise en avant.

[Ajout, 10/2/14 : Comme le relève le site « Le Lab » d’Europe 1, on trouve un lien vers cette bibliographie sur le site officiel des « ABCD de l’égalité« , ces outils destinés aux enseignants pour mieux enseigner l’égalité entre les sexes en classe, et qui sont également dénoncés par les « anti-gender ». Néammoins, ce lien, qui figure parmi  six autres bibliographies, est à destination des enseignants, non des élèves]

En résumé : le livre , qui a remporté des prix, date de 2011. Il figure depuis 2012 sur une bibliographie indicative d’une centaine de livres, réalisée par une association ardéchoise, mais n’a jamais été recommandé officiellement par l’éducation nationale, sinon parmi d’autres listes d’ouvrages, dans le cadre spécifique des « ABCD de l’égalité ». Il ne s’agit donc pas d’un choix « pétri d’idéologie » opéré par le gouvernement. Ce livre n’est pas recommandé officiellement, et aucun enseignant n’est tenu de s’en servir.

En revanche, on peut se demander pourquoi M. Copé a soudain jugé nécessaire de dénoncer un ouvrage vieux de trois ans et qui n’avait, jusqu’ici, traumatisé personne.

Samuel Laurent

>>  Lire aussi : 

Cinq intox sur la « théorie du genre »

Les élucubrations d’Eric Zemmour


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