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Que ceux qui ne peuvent pas mourir lèvent la main – #3

Par Artemissia Gold @SongeD1NuitDete

J’espère que vous appréciez le duo improbable Gabriel/Rose. Dans ce chapitre, quelques éléments de plus pour comprendre comment il s’est constitué. Bonne lecture à vous😉

Que ceux qui ne peuvent pas mourir lèvent la main – #3

Gabriel attendit que la porte du rez-de-chaussée claque pour se lever de son fauteuil. De derrière la vitre trouble du salon, il suivit du regard la silhouette noire qui s’éloignait comme un spectre dans la rue à peine éclairée. Ce ne fut que lorsque la nuit l’engloutit complètement qu’il céda à la curiosité d’aller voir dans quel nouveau guêpier ses très saints employeurs allaient encore l’envoyer. Mais à peine avait-il fait un pas dans le couloir qu’il se figea. Une faible lumière filtrait sous la porte de son bureau. La moutarde lui monta au nez. Pas besoin de don de voyance pour comprendre. Furieux, il déboula dans le bureau en envoyant claquer la porte sur les étagères bien garnies qui tapissaient tous les murs. L’arrivée presque théâtrale de son maître fit sursauter Rose qui referma aussitôt le dossier de cuir dans lequel se trouvait un document qu’elle ne savait pas déchiffrer. Face à son mécontentement manifeste, elle jugea bon de quitter également le fauteuil du bureau pour s’en servir de bouclier entre Voltz et elle.

— Alors comme ça je ne suis qu’une « domestique idiote » ? lança-t-elle malgré tout, sans se laisser impressionner. Dois-je vous rappeler que l’idiote a sauvé votre derrière de ce « simple vampire peu remarquable » qui vous a étalé comme une crêpe ?

Devant le culot de l’adolescente, Gabriel sentit les veines de son cou tripler de volume de colère.

— Espèce de bourrique inconsciente ! Te rends-tu compte de ce qui serait advenu de toi si Varga t’avait surprise ici, consultant ces documents !

De sombres  images qu’il aurait préféré étouffer à jamais lui revinrent en tête. La peur de voir La Sainte-Vehme s’en prendre à cette gamine pour laquelle il s’était pris d’affection prit le pas sur son courroux. Mais hors de question de le lui montrer.

— Disparais de ma vue avant que je ne tanne le cuir pour t’apprendre à rester à ta place ! explosa Gabriel.

Peu habituée à voir ce gentilhomme plus cynique qu’autoritaire s’emporter de la sorte, Rose ravala ses protestations. Le moment était peut-être venu de faire profil bas. Elle sortit sans demander son reste, laissant Gabriel plus accablé par la culpabilité que réellement hors de lui. Jamais il n’aurait dû la laisser le suivre jusqu’à Paris. « Le secret doit être maintenu coûte que coûte», telle était la règle d’or de la Sainte-Vehme, même si elle signifiait l’assassinat pur et simple des témoins des manifestations surnaturelles, quels qu’ils fussent. Rose avait tout perdu la nuit où ce vampire avait fait irruption dans l’auberge familiale : parents, foyer, innocence. Le bras armé de la Confrérie n’avait pu sauver ses parents, mais était arrivé à temps pour empêcher la créature de finir son carnage avec la jeune fille. Mais le vampire s’était avéré bien plus fort que ce que Gabriel avait laissé entendre devant Varga et effectivement, l’aide complètement inattendue de la demi-portion aussi hargneuse qu’inconsciente lui avait tiré une épine du pied … ou plutôt deux crocs  de la gorge. Elle avait embroché la chose dans le dos à l’aide d’un tisonnier brulant. Elle avait atteint le cœur du premier coup comme s’il s’agissait de la chose la plus naturelle du monde. C’était peut-être cette audace qui l’avait empêché de la tuer comme le stipulait la règle… Ou le désarroi de la gamine en réalisant qu’elle venait de perdre sa famille… Gabriel se posait cette même question depuis des mois sans trouver de réponse. Même s’il rechignait à s’en prendre à des humains innocents, les enjeux étaient bien trop importants pour risquer de voir son existence et celle de l’Ordre de Sainte-Vehme révélées au grand jour. Lui était une aberration et la Confrérie censée être dissoute depuis le début du siècle. Il n’y avait aucune place pour une quelconque improvisation. Et Rose en était bel et bien une.

Gabriel s’installa derrière son bureau et ouvrit le dossier de cuir orné de la croix rouge cerclée, emblème de l’Ordre. Il ne contenait qu’une lettre cryptée que seuls les initiés pouvaient déchiffrer. L’expéditeur était un certain Père Anselme, curé de la paroisse de Primel Trégastel, un petit village sur les côtes nord du Finistère. Le courrier datant de deux semaines était directement adressé à Barnabas Varga. Une seule conclusion s’imposait : Anselme faisait partie de la Confrérie. Gabriel soupira d’agacement. Il préférait travailler seul, sans la surveillance pesante d’un des membres qui ferait un rapport sur tous ses faits et gestes. Le contenu de la missive était des plus maigres. Le prêtre faisait mention des corps à moitié dévorés de trois hommes dans les environs du village. On avait attribué les deux premiers morts à une meute de loups sévissant dans la région. Après plusieurs battues, les animaux avaient été abattus, mais les meurtres ne s’étaient pas arrêtés pour autant. Le dernier avait créé un fort émoi chez les villageois puisqu’il s’agissait du fils d’un notable, Le Kerdaniel, maire de la petite bourgade. L’enquête menée par les autorités locales n’avait rien donné. L’ecclésiastique craignait que les superstitions –tout à fait légitimes la plupart du temps –finissent par mettre en lumière un tueur qui avait peu de chance d’être humain si l’on considérait les blessures infligées.

En dehors de ces éléments, il n’y avait aucune autre information digne d’intérêt. Épuisé, Gabriel chiffonna la lettre en forme de torche et l’approcha de la chandelle apportée en douce par sa protégée. Il laissa le papier se consumer et ne le lâcha que lorsque la chaleur de la brulure se fit sentir sur ses doigts. Puis, à pas de loup, il monta l’escalier grinçant jusqu’au deuxième étage où se situaient les chambres sans s’y arrêter et poursuivit l’ascension vers les combles. Les ronflements de Madeleine se faisaient entendre dans tout l’étage. Au moins, elle, elle savait ne pas s’immiscer dans ses affaires. Une question d’âge sans doute. Gabriel poussa la porte entrebâillée de la chambre de Rose. La petite pièce mansardée était faiblement éclairée par une lampe posée près du lit. L’endroit était meublé simplement : une commode, une table avec une seule chaise, pas de tapis, pas de tentures à l’unique fenêtre de toit, pourtant en voyant son nouvel univers quelques mois plus tôt, Rose avait trépigné comme une enfant devant la devanture d’un confiseur. La jeune fille, allongée sur le lit, tournait le dos à son visiteur. Sa masse de cheveux roux bouclés recouvrait entièrement l’oreiller. Elle ne daigna pas se retourner en entendant son visiteur entrer ni quand ce dernier s’assit sur le bord du lit en faisant grincer les ressorts.

— Je vais devoir partir quelque temps, lui annonça-t-il sans préambule.

L’annonce lui fit l’effet d’une gifle. Rose se redressa aussitôt sur son séant, les traits de son visage tendus par une anxiété soudaine. Ses yeux gris manifestaient une réelle appréhension.

— Vous n’allez pas me laisser ici avec cette goule de Madeleine ?!

— Pour la centième fois, Madeleine n’est pas une goule.

Gabriel ravala un sourire moqueur. La gamine était plus impressionnée par la vieille gouvernante que par l’hideuse Marse qui leur était tombée dessus pas plus tard que la semaine passée sous les arcades de la rue Rivoli. Rose avait tout juste sursauté en voyant apparaître la chose décharnée aux longs cheveux noirs et aux yeux rouges. En revanche, quelques jours avec la gouvernante la mettaient dans tous ses états.  Il fallait croire que Madeleine avait des dons que ne possédait pas la fée maléfique à l’insatiable appétit charnel.

— Il est inutile de discuter. Je ne peux pas t’emmener. C’est l’affaire de deux-trois semaines tout au plus.

— Mais…

Gabriel leva un doigt autoritaire pour la faire taire et abrégea la discussion en se levant aussitôt. Ayant atteint la porte sans être assailli de protestations ou de questions au sujet de leur visiteur, il s’imagina stupidement pouvoir se défiler.

— Qui est cet homme ? l’interpella Rose tandis qu’il avait posé un pied hors de la chambre.

— Quelqu’un qu’il te faut éviter comme la peste.

Il ne se retourna pas pour ne pas l’encourager à continuer. Autre erreur de calcul.

— Il sait que vous êtes immortel ? Parce que ça doit tout même pas mal perturber un cureton ce genre de bizarrerie.

Inconsciente des enjeux, la jeune fille bouffa de rire. Gabriel se crispa de la tête au pied.

— Bien sûr qu’il est au courant. En revanche, toi, tu n’aurais jamais dû le savoir.

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J’espère que vous appréciez le duo improbable Gabriel/Rose. Dans ce chapitre, quelques éléments de plus pour comprendre comment il s’est constitué. Bonne lecture à vous😉

Que ceux qui ne peuvent pas mourir lèvent la main – #3

Gabriel attendit que la porte du rez-de-chaussée claque pour se lever de son fauteuil. De derrière la vitre trouble du salon, il suivit du regard la silhouette noire qui s’éloignait comme un spectre dans la rue à peine éclairée. Ce ne fut que lorsque la nuit l’engloutit complètement qu’il céda à la curiosité d’aller voir dans quel nouveau guêpier ses très saints employeurs allaient encore l’envoyer. Mais à peine avait-il fait un pas dans le couloir qu’il se figea. Une faible lumière filtrait sous la porte de son bureau. La moutarde lui monta au nez. Pas besoin de don de voyance pour comprendre. Furieux, il déboula dans le bureau en envoyant claquer la porte sur les étagères bien garnies qui tapissaient tous les murs. L’arrivée presque théâtrale de son maître fit sursauter Rose qui referma aussitôt le dossier de cuir dans lequel se trouvait un document qu’elle ne savait pas déchiffrer. Face à son mécontentement manifeste, elle jugea bon de quitter également le fauteuil du bureau pour s’en servir de bouclier entre Voltz et elle.

— Alors comme ça je ne suis qu’une « domestique idiote » ? lança-t-elle malgré tout, sans se laisser impressionner. Dois-je vous rappeler que l’idiote a sauvé votre derrière de ce « simple vampire peu remarquable » qui vous a étalé comme une crêpe ?

Devant le culot de l’adolescente, Gabriel sentit les veines de son cou tripler de volume de colère.

— Espèce de bourrique inconsciente ! Te rends-tu compte de ce qui serait advenu de toi si Varga t’avait surprise ici, consultant ces documents !

De sombres  images qu’il aurait préféré étouffer à jamais lui revinrent en tête. La peur de voir La Sainte-Vehme s’en prendre à cette gamine pour laquelle il s’était pris d’affection prit le pas sur son courroux. Mais hors de question de le lui montrer.

— Disparais de ma vue avant que je ne tanne le cuir pour t’apprendre à rester à ta place ! explosa Gabriel.

Peu habituée à voir ce gentilhomme plus cynique qu’autoritaire s’emporter de la sorte, Rose ravala ses protestations. Le moment était peut-être venu de faire profil bas. Elle sortit sans demander son reste, laissant Gabriel plus accablé par la culpabilité que réellement hors de lui. Jamais il n’aurait dû la laisser le suivre jusqu’à Paris. « Le secret doit être maintenu coûte que coûte», telle était la règle d’or de la Sainte-Vehme, même si elle signifiait l’assassinat pur et simple des témoins des manifestations surnaturelles, quels qu’ils fussent. Rose avait tout perdu la nuit où ce vampire avait fait irruption dans l’auberge familiale : parents, foyer, innocence. Le bras armé de la Confrérie n’avait pu sauver ses parents, mais était arrivé à temps pour empêcher la créature de finir son carnage avec la jeune fille. Mais le vampire s’était avéré bien plus fort que ce que Gabriel avait laissé entendre devant Varga et effectivement, l’aide complètement inattendue de la demi-portion aussi hargneuse qu’inconsciente lui avait tiré une épine du pied … ou plutôt deux crocs  de la gorge. Elle avait embroché la chose dans le dos à l’aide d’un tisonnier brulant. Elle avait atteint le cœur du premier coup comme s’il s’agissait de la chose la plus naturelle du monde. C’était peut-être cette audace qui l’avait empêché de la tuer comme le stipulait la règle… Ou le désarroi de la gamine en réalisant qu’elle venait de perdre sa famille… Gabriel se posait cette même question depuis des mois sans trouver de réponse. Même s’il rechignait à s’en prendre à des humains innocents, les enjeux étaient bien trop importants pour risquer de voir son existence et celle de l’Ordre de Sainte-Vehme révélées au grand jour. Lui était une aberration et la Confrérie censée être dissoute depuis le début du siècle. Il n’y avait aucune place pour une quelconque improvisation. Et Rose en était bel et bien une.

Gabriel s’installa derrière son bureau et ouvrit le dossier de cuir orné de la croix rouge cerclée, emblème de l’Ordre. Il ne contenait qu’une lettre cryptée que seuls les initiés pouvaient déchiffrer. L’expéditeur était un certain Père Anselme, curé de la paroisse de Primel Trégastel, un petit village sur les côtes nord du Finistère. Le courrier datant de deux semaines était directement adressé à Barnabas Varga. Une seule conclusion s’imposait : Anselme faisait partie de la Confrérie. Gabriel soupira d’agacement. Il préférait travailler seul, sans la surveillance pesante d’un des membres qui ferait un rapport sur tous ses faits et gestes. Le contenu de la missive était des plus maigres. Le prêtre faisait mention des corps à moitié dévorés de trois hommes dans les environs du village. On avait attribué les deux premiers morts à une meute de loups sévissant dans la région. Après plusieurs battues, les animaux avaient été abattus, mais les meurtres ne s’étaient pas arrêtés pour autant. Le dernier avait créé un fort émoi chez les villageois puisqu’il s’agissait du fils d’un notable, Le Kerdaniel, maire de la petite bourgade. L’enquête menée par les autorités locales n’avait rien donné. L’ecclésiastique craignait que les superstitions –tout à fait légitimes la plupart du temps –finissent par mettre en lumière un tueur qui avait peu de chance d’être humain si l’on considérait les blessures infligées.

En dehors de ces éléments, il n’y avait aucune autre information digne d’intérêt. Épuisé, Gabriel chiffonna la lettre en forme de torche et l’approcha de la chandelle apportée en douce par sa protégée. Il laissa le papier se consumer et ne le lâcha que lorsque la chaleur de la brulure se fit sentir sur ses doigts. Puis, à pas de loup, il monta l’escalier grinçant jusqu’au deuxième étage où se situaient les chambres sans s’y arrêter et poursuivit l’ascension vers les combles. Les ronflements de Madeleine se faisaient entendre dans tout l’étage. Au moins, elle, elle savait ne pas s’immiscer dans ses affaires. Une question d’âge sans doute. Gabriel poussa la porte entrebâillée de la chambre de Rose. La petite pièce mansardée était faiblement éclairée par une lampe posée près du lit. L’endroit était meublé simplement : une commode, une table avec une seule chaise, pas de tapis, pas de tentures à l’unique fenêtre de toit, pourtant en voyant son nouvel univers quelques mois plus tôt, Rose avait trépigné comme une enfant devant la devanture d’un confiseur. La jeune fille, allongée sur le lit, tournait le dos à son visiteur. Sa masse de cheveux roux bouclés recouvrait entièrement l’oreiller. Elle ne daigna pas se retourner en entendant son visiteur entrer ni quand ce dernier s’assit sur le bord du lit en faisant grincer les ressorts.

— Je vais devoir partir quelque temps, lui annonça-t-il sans préambule.

L’annonce lui fit l’effet d’une gifle. Rose se redressa aussitôt sur son séant, les traits de son visage tendus par une anxiété soudaine. Ses yeux gris manifestaient une réelle appréhension.

— Vous n’allez pas me laisser ici avec cette goule de Madeleine ?!

— Pour la centième fois, Madeleine n’est pas une goule.

Gabriel ravala un sourire moqueur. La gamine était plus impressionnée par la vieille gouvernante que par l’hideuse Marse qui leur était tombée dessus pas plus tard que la semaine passée sous les arcades de la rue Rivoli. Rose avait tout juste sursauté en voyant apparaître la chose décharnée aux longs cheveux noirs et aux yeux rouges. En revanche, quelques jours avec la gouvernante la mettaient dans tous ses états.  Il fallait croire que Madeleine avait des dons que ne possédait pas la fée maléfique à l’insatiable appétit charnel.

— Il est inutile de discuter. Je ne peux pas t’emmener. C’est l’affaire de deux-trois semaines tout au plus.

— Mais…

Gabriel leva un doigt autoritaire pour la faire taire et abrégea la discussion en se levant aussitôt. Ayant atteint la porte sans être assailli de protestations ou de questions au sujet de leur visiteur, il s’imagina stupidement pouvoir se défiler.

— Qui est cet homme ? l’interpella Rose tandis qu’il avait posé un pied hors de la chambre.

— Quelqu’un qu’il te faut éviter comme la peste.

Il ne se retourna pas pour ne pas l’encourager à continuer. Autre erreur de calcul.

— Il sait que vous êtes immortel ? Parce que ça doit tout même pas mal perturber un cureton ce genre de bizarrerie.

Inconsciente des enjeux, la jeune fille bouffa de rire. Gabriel se crispa de la tête au pied.


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