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My Favorite Things

Publié le 23 juin 2008 par Maitrechronique
Ma première galette…
Ou comment, après pas mal d’années durant lesquelles j’avais reporté l’achat de ce qui fut en réalité mon premier vrai disque de jazz, je suis entré alors dans un univers qui reste, aujourd’hui encore, la source de toutes les émotions.
Ce texte est la troisième livraison du "Z Band", ce collectif de blogueurs ayant choisi de publier à intervalles réguliers un texte portant sur un thème choisi. Aujourd'hui, le premier disque de jazz.
Les autres contributions sont ici :
- Belette et jazz
- Jazz à Paris
- Jazz Frisson
- Jazzques
- Ptilou's Blog
Remontons un peu la terrible machine du temps. Nous sommes le 9 septembre 1985 et j’entre chez mon disquaire favori de l’époque, «La Parenthèse» à Nancy pour ne pas le nommer. On y trouve toute une variété de disques, chanson, rock et jazz pour l’essentiel, ce dernier vivant là ses dernières semaines avant qu’une opération de recentrage économique ne le fasse disparaître de la boutique, me contraignant par la suite à effectuer mes achats dans un magasin concurrent (qui existe toujours en tant que disquaire, mais dont les bacs se font de plus en plus maigrichons… époque oblige). En entrant, j’ignore totalement ce que je vais acheter, je ne suis même pas certain d’y dépenser le moindre franc. Je furète, joue des doigts avec célérité pour faire défiler les pochettes des 33 tours, encore nombreux malgré la présence de ces jeunes CD qui restent coûteux et ne couvrent qu’une partie des catalogues. Mes goûts de l’époque sont marqués par une certaine incertitude ; j’ai connu bien des bonheurs musicaux durant les années 70 à 80 mais la période qui vient de s’écouler me laisse un peu sur ma faim. En consultant aujourd’hui la liste de mes disques, je m’aperçois d’ailleurs qu’il n’existe aucun mouvement musical dominant depuis l’entrée dans les années 80 : Magma est en sommeil malgré la publication d’un drôle de «Merci» et Christian Vander ne nous a pas encore offert le premier disque de sa nouvelle formation, «Offering», qui déjà se produit sur scène ; la troisième mouture de King Crimson semble avoir vécu ; même mon bon vieux Grateful Dead ne donne plus beaucoup de nouvelles depuis quatre ans, son leader Jerry Garcia n’étant pas au mieux de sa forme, parce qu’emprisonné dans les griffes de la drogue. Il y a quelque part chez moi comme une forme de déshérence qui m’entraîne à choisir sans choisir un disque de temps en temps, par habitude mais aussi sans grande conviction. Alors, c’est peut-être ce soir-là le moment de me remémorer les nombreux interviews du même Christian Vander qui, à chaque fois que la possibilité lui était offerte, dressait dix ans plus tôt dans les revues spécialisées – Best ou Rock’n’Folk – un portrait passionné et intrigant d’un saxophoniste dont la musique semblait être la source de toutes ses inspirations : John Coltrane. Vander se plaisait à raconter comment, alors qu’il avait une douzaine d’années, il avait écouté sans fin le disque «My Favorite Things» et la version obsédante que Coltrane avait créée à partir d’une chanson a priori anodine tirée d’une comédie musicale, «La mélodie du bonheur». Il disait aussi que la disparition de Coltrane, le 17 juillet 1967, l’avait presque anéanti avant qu’il ne décide de réagir et de mettre sur pied cette formation à nulle autre pareille dont il reste, quarante ans plus tard, l’âme et le moteur surpuissant. Alors, Coltrane, enfin ? N’était-ce pas le moment d’en savoir un peu plus et de découvrir celui qui me semblait un peu comme un magicien ?
Nous étions les 9 septembre 1985 : étrangement, c’était le jour anniversaire de mon frère, celui qui m’avait tellement appris en musique. Ce soir-là, j’investissais un nouveau monde, dont il ne m’avait jamais parlé, étant de son côté emporté par d’autres passions, transatlantiques elles aussi mais d’une toute autre coloration. On peut y voir un symbole, pourquoi pas…
Une valse, tourbillonnante, répétitive, un saxophone soprano au son dense et habité, instrument que je croyais jusque là voué pour l’éternité à jouer «Petite fleur» ou «Les oignons». Une batterie foisonnante, subtile, omniprésente (Elvin Jones) et un piano enchanté (Mac Coy Tyner) qui évoque un carillon. Pendant près d’un quart d’heure, sans que jamais la lassitude ne gagne. «My Favorite Things»… mais aussi «But Not For Me» et «Summertime» de George Gershwin, interprété au saxophone ténor, ou encore «Everytime We Say Goodbye» de Cole Porter. Une sacrée manière de revisiter un répertoire déjà consacré ! Coltrane vous laissant même l’impression qu’il était le compositeur de ces thèmes tant il avait su se les approprier et les relire d’une voix si originale qu’il y avait là quelque chose comme de la transfiguration.
Un drôle de tour de magie en réalité et le début d’une longue aventure pour moi.
Parce qu’en même temps que je découvrais la musique de John Coltrane, je mesurais à quel point ce musicien majeur avait – en peu de temps finalement – marqué son époque et accumulé une impressionnante discographie au beau milieu de laquelle je me sentais un peu perdu. Oui, perdu et ce malgré de nombreux allers retours vers les boutiques pour tenter d’y voir plus clair (pas d’Internet à cette époque, pas de Google ni même de Wikipedia…). Mais par où fallait-il donc commencer ? Pourquoi Impulse ? Pourquoi Prestige ? Pourquoi Atlantic ? J’avais entendu dire – par qui, je ne me souviens plus – que certains disques étaient inaudibles, comme un certain «Live in Japan, 1966» ou «Om» en 1965… Je comprenais que le saxophoniste avait connu une évolution foudroyante entre le milieu des années 50, époque à laquelle il travaillait avec Miles Davis et son décès en juillet 1967 alors qu’il n’avait pas encore 41 ans et que sa musique s’apparentait plus que jamais à un cri. Mais comment donc s’y prendre pour démêler les fils de ce drôle d’écheveau ?
J’étais fatigué de toutes ces questions et je me rappelle le jour où je décidai de soumettre mes interrogations à Jazz Magazine. Alors que je croyais avoir été oublié, je reçus une longue et belle lettre, plusieurs pages, de François-René Simon, qui reste l’un des grands spécialistes de Coltrane. D’une élégante écriture manuscrite (les ordinateurs étaient hors de prix et peu répandus encore, même dans les salles de rédaction), cet éminent journaliste me dressait un fort utile et très documenté portrait discographique en me conseillant de procéder avec méthode. Je crois que je ne le remercierai jamais assez…
La porte s’entrouvrait…
Je crois avoir mis depuis cette époque un point d’honneur à me procurer tout ce que j’étais en mesure d’acheter. Accumulation de CD, de coffrets (somptueuse intégrale des années Prestige, de 1956 à 1958, soit seize disques regorgeant de musique), au nom de Coltrane ou des leaders des formations avec lesquelles ils évoluait (Miles Davis, Thelonius Monk, Cecil Taylor, Paul Chambers, …). La belle créativité des années Atlantic de 1958 à 1960 avant que John Coltrane ne signe avec Impulse, un label auquel il restera fidèle jusqu’à la fin. Et cette évolution foudroyante de l’inspiration d’un homme pour qui la musique était tout, qui ne vivait que par elle. Ceux qui l’ont côtoyé disent que John Coltrane était un inlassable travailleur, qu’il ne délaissait que très rarement son instrument. Et si les interviews sont très rares, c’est aussi parce qu’il consacrait tout son temps à la musique. Jusqu’au dernier souffle.
En témoignent ses multiples interprétations de «My Favorite Things», qu’il portera à un niveau d’incandescence dont le feu n’a pas fini de nous dévorer. Parce que finalement, si Coltrane enregistra beaucoup de disques, il joua finalement assez peu de thèmes sur scène : «My Favorite Things» bien sûr, mais aussi «Impressions», «Afro Blue» ou «Naima» pour citer les compositions les plus renommées. Mais il les réinventait à chaque fois, trouvant toujours une nouvelle histoire à raconter, de nouveaux territoires à défricher. Une quête de l’absolu qui reste aujourd’hui encore unique et exemplaire.
Je regarde ce 33 tours acheté depuis près de 23 ans… Les informations qu’on y trouve sont parfois cocasses : on nous présente les musiciens, ce qui paraît un minimum, mais dans une autre rubrique, on nous dit «Ce qu’il faut savoir» avant de porter à notre connaissance «Ce qu’il faut tout particulièrement apprécier» avant de nous livrer les ultimes «Observations» nous expliquant que «My Favorite Things» est une œuvre marquante et obsédante qu’on aime ou qu’on n’aime pas mais que les critiques de jazz considèrent unanimement comme l’une des plus émouvantes réussites de John Coltrane. On est bien loin des livrets savants qui accompagnent désormais les rééditions de la discographie du saxophoniste, avec leurs analyses approfondies, les détails précis qui nous indiquent le jour, voire l’heure de chacune des prises de chacun des titres.
«My Favorite Things» est en tous les cas un disque phare, lumineux et visionnaire, qui portait très haut, en 1960, l’étendard de la mélodie et de l’intensité de son interprétation. Un sacré guide pour, ensuite, partir à l’assaut de la montagne jazz et découvrir sa richesse.
Je pouvais difficilement espérer meilleure initiation à cette musique dont on nous annonce régulièrement la fin et qui, malgré les menaces, malgré les attaques constantes portées par un système économique soumis aux exigences de la rentabilité immédiate, malgré le mépris affiché par ceux qui nous gouvernent et s’affichent avec la lie de l’art, continue de rugir et se tient debout. Il faut beaucoup de force aux artistes pour ne pas abdiquer, gageons que bon nombre d’entre eux ont beaucoup appris de John Coltrane et de son incroyable «Resolution».
En écoute : les premières minutes de "My Favorite Things", enregistré le 21 octobre 1960 avec John Coltrane (saxophone soprano), McCoy Tyner (piano), Elvin Jones (batterie) et Steve Davis (contrebasse).

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