Magazine Beaux Arts

« Histoires de points » : la revanche de Pénélope

Publié le 15 décembre 2016 par Pantalaskas @chapeau_noir

« Histoires de points »

La plus vieille aiguille à chas au monde a été découverte il y a quelques années dans une grotte de Russie. Elle serait datée d’environ cinquante mille ans, soit deux fois plus ancienne que celles connues à partir du Solutréen. C’est dire si l’aventure de nos civilisations s’inscrit symboliquement dans celle de cet objet si anodin et pourtant tellement décisif. Que deux jeunes femmes artistes s’emparent de cette aiguille pour revisiter nos rapports à l’humain et au monde ne réduit pas leur envie de coudre aux fonctions du quotidien auxquelles les pesanteurs historiques et sociales ont longtemps assigné leur statut. C’est peut-être même l’envie d’en découdre qui réunit ces deux artistes dans l’exposition « Histoires de points » présentée actuellement à la galerie Laure Roynette à Paris.

Anne Paris-Cindric

cindric-lui

« LUI » Anne Paris-Cindric 2015 Encre et fil de soie sur papier à grain

On connaît le travail d’Anne Paris-Cindric dans cette relation qu’entretiennent les images avec l’histoire des hommes, à travers ce rapport au pouvoir que toile, tissu, tissage révèlent. Après « Missing in action » où le  « Déjà peint »  associait l’imagerie désuète de la toile de Jouy et la violence toujours actuelle des clichés de guerre, après l’implication des Dutch wax, ces tissus imprimés multicolores accédant au statut de drapeaux vivants du panafricanisme, Anne Paris-Cindric propose la nouvelle série « LUI », figurant des torses masculins dont la puissance physique se trouve fixée dans un enchevêtrement de fils de soie rouge, corps presque épinglés comme les papillons de l’entomologiste sur le plan de papiers découpés et dessinés. Faut-il voir de la malice dans cette présentation languide d’une virilité soumise, à son corps défendant, au bon vouloir d’un regard féminin brocardant, avec l’art raffiné de la broderie, la domination masculine inscrite au cours des temps ? Ces trophées d’Anne Paris-Cindric, sans aller jusqu’à les regarder comme les tableaux de chasse d’un rituel Vaudou, témoignent peut-être néanmoins de cette volonté de renversement d’une trop longue histoire de domination.

Brankiça Zilovic

Changement d’échelle avec ce que présente Brankiça Zilovic dont le recours aux matériaux textiles embrasse un vaste regard sur le monde. La planisphère, envisagée comme un patchwork instable, révélateur d’un monde déchiré comme l’ont été durablement dans l’histoire contemporaine les Balkans dont l’artiste est originaire, serait-elle condamnée à cette entropie mortelle ?
« La Pangée », image de cette planisphère native en dérive permanente, devient chez  Brankiça Zilovic une planète couturée de fils blancs tissant une toile dont le réseau, pourrait préfigurer cette « Noosphère » que Teilhard de Chardin décrivait comme une «pellicule de pensée enveloppant la Terre, formée des communications humaines». La fibre n’est pas encore numérique, la toile n’est pas encore internet mais ce que révèle l’artiste pourrait laisser entrevoir une telle destinée.

« Sartre La Nausée » Brankica Zilovic 2015 livre et broderies sur papier

Chez Brankiça Zilovic texte et textile se fondent dans une approche de la trame mise au premier plan sur des œuvres littéraires que l’artiste capture dans ce réseau serré de fils. Là encore les matériaux textiles se muent en instruments aptes à regagner le terrain sur un monde où masculin et féminin n’ont jamais été conjugués à égalité.
En défaisant chaque nuit la toile qu’elle avait tissé le jour, Pénépole à la fois contestait sa soumission aux tâches auxquelles son statut de femme la réduisait et dans le même temps reprenait, avec ces mêmes outils, son pouvoir de décision sur les hommes qui voulaient écrire à sa place son propre avenir. Les deux artistes femmes qui dialoguent dans l’exposition « Histoires de points » participent à cette reconquête à partir des outils qu’on leur avait historiquement confiés. Toile, tissu, fils, trames réinventent ici une autre histoire, une histoire au féminin.

Photos: Galerie Laure Roynette

Histoires de Points
Anne Paris-Cindric  Brankiça Zilovic
Du 18 novembre 2016 au 14 janvier 2017 
Galerie Laure Roynette
20 rue de Thorigny.
75003  Paris


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Pantalaskas 3071 partages Voir son profil
Voir son blog