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La chaise de Léonard Cohen

Publié le 27 décembre 2009 par Johanne Labbé @JRozonLabbe
Publié le par Rédaction Johanne Labbé

À SANDRINE, À TON COURAGE, À TA GUÉRISON, LÀ-BAS, DANS LE CLOS DU CHÂTEAU.

La chaise de Léonard CohenAu petit matin du 11 juillet, je me réveille maintenue par les pieds, tête en bas, et secouée au-dessus du vide. Elle me ballote et je virevolte, yeux exorbités, chauve-souris aux ailes maigrelettes battant au vent. La seconde chimio.

Et je m’étonne de conserver la conscience chaque fois que ma tête se fracasse contre le mur de brique.

Tiens, me dis-je, il existe finalement quelque chose après la mort? Ou est-ce la mort elle-même au présent…? Alors quoi? Pas de tunnel? Et la lumière chevrotante au bout? Que nenni! Balivernes!

Je m’agrippe au hasard, croyant grafigner le vide, et attrape plutôt la couette fleurie rabattue sur ma tête. Mes yeux, que je croyais déjà ouverts, s’entrouvent sur la chambre bleue. Qui bascule. Je me jette en bas du lit et rampe jusqu’au grille-pain. Des rôties disait maman. Contre la nausée, la fièvre, le mal de vivre, rien de tel qu’une tartine grillée dégoulinante de… Bon, un rien de beurre suffira.

Tout s’annonçait pourtant fort bien, hier, jour du 2e traitement. Mon amie Jo écarquillait les yeux en reluquant la seringue rouge plantée dans ma main gauche, mais quelques bonnes blagues des patients voisins ont suffi à la détendre. Incroyable cette athmosphère bon enfant des salles de chimio, on jurerait que tout le monde y reçoit un banal manucure en papotant et s’échangeant des recettes de biscuits. Le dernier solde de foulards colorés chez Simons et les meilleures marques de crayons à dessiner les sourcils y font fureur. Défiant les pronostics de l’infirmière, j’avais ensuite partagé un repas copieux en compagnie de Minoune Bébitte et N était venue passer le nuit, au cas-où. Tout juste si elle ne m’avait pas lu une histoire avant de m’endormir, mon enfant, ma grande fille.

Un miracle les rôties. Confinée sur une île déserte, réduite à choisir un objet, j’ai toujours cru opter pour un livre, sans arriver à déterminer lequel. Je déclare aujourd’hui ce voeu désuet: qu’on me laisse un grille-pain. Je trouverai bien une graminée pour faire du pain et deux-trois abeilles à qui voler du miel.

Gloire aussi à la pharmacienne en onco, laquelle a déployé tout son art pour coucher sur le papier les noms hyéroglyphiques des antinausées les plus branchés. Sans lésiner sur la posologie, elle m’avait prévenue d’ingurgiter ses granules à heures réglées comme un coucou suisse.

Du pain et des gellules, le combat du romain moderne.

Le mercredi 11 juillet, mon jogging quotidien sur le bord de la rivière s’est limité à 50 secondes chronométrées. Pas une de plus. Au moment de flancher, j’ai trouvé cette chaise¸avec une inscription gravée dans le roc:

Hold me close
and tell me what the world is like
I don’t want to look outside
I want to depend on your eyes and your lips

Leonard Cohen, This isn’t China

Je l’ai trouvée invitante et m’y suis reposée. J’aimerais bien dépendre de tes yeux et de tes lèvres moi aussi. Ajouté l’idée à ma liste d’objectifs. Ralentir le tourbillon, redevenir cette souris chauve qui s’accroche à ses 50 secondes d’envol, à ces visages tournés vers elle, à ces cartes postales, au petit canard jaune posé sur le bord du bain et à l’idée de dépendre de tes yeux et de tes lèvres.

Demain, je ferai de la marche rapide. Rien de plus, mais rien de moins. J’ai quelque part où aller.

Image: Merci Michèle pour la photo de la chaise de Leonard Cohen!

Ce contenu a été publié dans Le Récit épique et burlesque de ma traversée du cancer par Rédaction Johanne Labbé, et marqué avec Cancer du sein. Mettez-le en favori avec son

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