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Vers une écologie spatiale ?

Publié le 22 décembre 2016 par Pnordey @latelier

Alors que le monde a les yeux rivés sur la conquête de l’espace depuis quelques mois, on évoque beaucoup moins les problèmes écologiques que pourrait entraîner cette course cosmique.

Le 21ème siècle sera celui de la conquête spatiale. Le développement et la démocratisation du tourisme spatial, la construction de nouveaux « taxis de l’espace », l’installation de base de recherches sur la Lune et la colonisation de Mars sont à notre portée. Et dans les starting-blocks, on trouve des entreprises privées comme SpaceX, Boeing, Blue Origin, que des agences comme la NASA, l’ESA  et le CNSA. Parallèlement, le 21ème siècle est également le siècle de l’éveil mondial des consciences face au problème environnemental. La COP21 et les accords de Paris ont montré qu’en 2016, les grandes puissances économiques mondiales prennent aujourd’hui au sérieux les perturbations climatiques. L’espace a d’ailleurs eu un rôle à jouer dans cette prise de conscience mondiale. Les images satellites ont rendu visibles les problèmes écologiques dont souffre l’ensemble de la planète : fonte des glaces, nuages de pollutions, assèchement de la Mer d’Aral…. Seul l’espace pourrait-on penser, est resté vierge de toute pollution humaine. C’est pourtant faux. Des morceaux de fusées, des satellites en fin de vie, et des objets oubliés par les astronautes volent en orbite autour de la Terre. A son tour, l’espace est-il devenu une vaste benne céleste ? Faut-il repenser notre rapport à l’espace dans une époque où la conquête spatiale est sur toutes les lèvres ?

Combien de débris dans l’espace ?

Depuis 1957, 5000 lancements ont été réalisés dans l'espace. Ces lancements ont occasionné une pollution importante de débris dont les causes sont diverses. Les débris sont principalement issus de la dégradation des satellites au fil des ans. Le phénomène est plus rare, mais ils résultent aussi de la collision entre deux objets spatiaux. Plus dommageable encore, la Chine en 2007 a testé ses armes antisatellites en détruisant un de ses satellites à l’aide d’un missile. 3000 débris sont venus s’ajouter au bilan. Aujourd’hui, on dénombre environ 23 000 débris de la taille d’une balle de baseball, 500 000 objets d’un centimètre et un milliard d’objets d’une taille inférieure. Ces débris spatiaux constituent la plus grande proportion des objets que l’on puisse trouver dans l’espace car seuls 1300 satellites en activités sont en orbite.

Fi de leur tailles, ces débris sont dangereux et tournent en orbite autour de la Terre : Kévin Favre d’Astroscale explique ainsi qu’ « un seul débris de quelques centimètres a la puissance nécessaire de détruire un satellite fonctionnel et la vitesse relative est si rapide dans l’espace qu’une collision comme celle de 2009 entre Iridium 33 et Kosmos 2251 a provoqué 2000 débris de plus de 10 cm qui peuvent aisément abattre un satellite. » De quoi mettre en péril les prochaines missions spatiales. Et on l’aura compris, ces chiffres ne sont pas près de voir leur seuil diminuer tant l’espace suscite rêves et convoitises. Or, ces débris ont une incidence sur notre vie sur terre puisque certains déchets quittent le champ gravitationnel et retombe sur la planète Terre, la polluant davantage. Dans une autre mesure, nous sommes dépendants des satellites pour le contrôle et la sécurité aérienne, les prédictions météo, les GPS, la surveillance terrestre. Autant les protéger.

Les “nettoyeurs” de l’espace

L’une des solutions apportées par la start-up Astroscale, basée à Singapour, est de nettoyer l’espace, par le scan des débris dans l’espace (via le microsatellite IDEA), leur catalogage et leur élimination. D’ici 2018, Astroscale prévoit également le lancement d’ADRAS, un microsatellite de 20 kg pour capturer et remorquer les débris orbitaux les plus dangereux. « Collecter tous les débris en orbite de la Terre est irréalisable. Mais ce que l’on peut et que l’on fera, c’est maîtriser la croissance de leur nombre. Les experts pensent que retirer entre 5 et 10 des objets les plus menaçants par an peut permettre de rendre plus durable un orbite saturé. » poursuit Kévin Favre.

« L’enlèvement des débris spatiaux n’est pas d’ordinaire une option pour de nombreuses raisons (le coût, la responsabilité, la technologie qui doit faire ses preuves). C’est pourquoi notre préoccupation principale se porte sur les satellites qui seront lancés dans l’avenir (…) Nous espérons ensuite proposer la récupération de vaisseau spatial comme un service. » La start-up s’insère dans un secteur vierge de l’économie où il n’y a pas encore de technologie développée, de business model, peu d’investissement et une conscience publique que l’entreprise essaye d'éveiller. Car si les gouvernements internationaux ont connaissance du problème, rares sont ceux qui veulent financer le nettoyage de l’espace. La raison est qu’on estime à 55% le nombre des débris qui appartiendraient à la Russie, 28% aux Etats-Unis, 11% à la Chine et 6% pour le reste du monde.  Avant de commencer le nettoyage de l’orbite terrestre, des avancées politiques et légales seront les enjeux de la conquête spatiale afin de réaliser l’ambition d’Astroscale.

Fusées réutilisables et moteurs écologiques

Vers une écologie spatiale ?

En plus des débris spatiaux, la pollution terrestre est également liée au lancement des fusées. Le carburant des fusées a un impact écologique sur l’atmosphère de la Terre et a accentué le phénomène d’amincissement de la couche d’ozone, en rejetant dans l’atmosphère des gazs à effet de serre. Tout comme le secteur de l’aviation, l’industrie aérospatiale tente donc de trouver des carburants alternatifs plus écologiques. Toutefois, le problème des biocarburants, comme l’expliquait Stephan Cueille de l’entreprise SAFRAN au sommet international Hello Tomorrow, est de trouver un juste équilibre entre coût, impact écologique et sécurité des passagers, un équilibre qu’il n’est pas toujours aisé de trouver surtout lors de voyages dans l’espace. En août 2016, des scientifiques russes ont pour leur part mis au point et testé un moteur-fusée à ondes de détonation pulsées, plus écologiques que les moteurs traditionnels. Ces moteurs nouvelle-génération utilisent un mélange de kérosène-oxygène moins nocif pour l’environnement, grâce à une consommation plus réduite en combustible. Construit par l’entreprise Energomasch, le moteur selon les scientifiques constitue une « véritable percée dans l'élaboration de nouveaux lanceurs spatiaux»  puisque les moteurs sont de surcroît bien plus puissants.

Dans la même optique, la société Blue Origin, du fondateur d’Amazon Jeff Bezos,  a été la première à avoir mis au point une fusée réutilisable, la New Shepard. Suivie de près par Space X ou encore l’ESA. Auparavant, les lanceurs après leur virée dans l’espace étaient inutilisables, voire partiellement utilisables mais impliquait des dépenses colossales. Aujourd’hui, l’utilisation de fusée réutilisable permettra une réduction de ces déchets. En outre, le développement de telles fusées  limiterait les coûts de production, puisqu’on estime à titre d’exemple à 150 millions d’euros, le lancement d’une fusée Ariane5. Si le développement de telles fusées répond à des enjeux scientifique, technologique, écologique et économique, mais sera-t-il suffisant pour développer le commerce spatial et la potentielle colonisation de Mars et de la lune ?

De la Terre à Mars : une colonisation écologique ?

Vers une écologie spatiale ?

En effet, depuis qu’Elon Musk a annoncé publiquement vouloir installer d’ici une centaine d’années une cité autonome d’un million de personnes sur Mars, la sphère médiatique n’a d’yeux que pour Mars. Les premiers colons, selon ses projets, quitteront ainsi la Terre à horizon 2025 pour un aller simple. Le risque, selon l’astrophysicien Hubert Reeves, est de reproduire les mêmes modèles en matière de pollution : « Si on ne résout pas nos problèmes ici, on ne fera que les transporter sur une nouvelle planète. Il est illusoire de penser qu'en arrivant là-bas, les gens se distingueront par un comportement différent. ». Pourtant, cette conquête de l’espace n’est-elle pas la conséquence, déjà, d’une problématique écologique : trouver de nouvelles ressources quand celles de la terre s’épuisent.

Morgan Irons, chercheuse à l’université de Duke et fondatrice de Deep Space Ecology, s’est lancée dans le développement de Closed Ecological System sur Mars qui produiraient de façon autosuffisante, eau, nourriture, énergie, oxygène et recyclages des ressources. En tant que biologiste, sa vision de l’écologie repose sur les interactions qu’ont les organismes entre eux et avec leur environnement physique et sur les  conditions d'existence et des comportements des êtres vivants en fonction de l'équilibre biologique et de la survie des espèces. La chercheuse souligne ce point essentiel : « Quand nous commencerons à vivre sur Mars, nous générerons des déchets. C’est inévitable. Nous ne pouvons briser les lois de la physique. La question est de savoir si nous pouvons recycler ces déchets en quelque chose d’utile. La rudesse de l’environnement martien nous forcera à être plus efficace et à moins gaspiller. Ou nous ne serons pas capables d’y vivre de façon autonome. »

L’originalité de Deep Space Ecology réside dans sa double ambition : étudier l’écologie de la Terre et ses endroits les plus hostiles pour résoudre les problèmes que la planète rencontre et créer des écosystèmes viables sur Terre comme sur Mars : « Le manque d’accès à l’eau et l’énergie, est un problème similaire dans beaucoup d’endroits sur Terre. La sécurité alimentaire et les difficultés croissent à mesure que les populations croissent et bougent à cause du climat et de l’épuisement des ressources. Notre but est de devenir expert de la sécurité alimentaire sur Terre pour trouver la solution de cette sécurité sur Mars et ailleurs. »

Indubitablement, les acteurs de l’industrie spatiale ont donc pris un virage écologique dans un souci environnemental certain, mais surtout dans un souci stratégique : être le premier à franchir la ligne d’arrivée de la course à l’espace.


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