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« L’Univers sans l’homme », de Thomas Schlesser

Publié le 22 décembre 2016 par Savatier

schlesser« L’Univers sans l’homme »… L’expression est de Baudelaire qui, dans son Salon de 1859, regrettait une approche positiviste de l’art d’où l’imagination était absente. L’historien de l’art Thomas Schlesser se réapproprie le mot dans un passionnant essai, bien entendu intitulé L’Univers sans l’homme (Hazan, 288 pages, 56 €), qui questionne la relation de l’homme et l’univers dont il fait partie. Le propos s’attache moins à la disparition de l’imagination dans les créations artistiques qu’à l’effacement progressif de la figure humaine dans cette production.

Nul doute que l’art occidental, du paganisme greco-romain à l’ère chrétienne, fut longtemps anthropocentré. La hiérarchie des genres établie par André Félibien en 1667, qui reléguait le paysage et la nature morte aux places les plus mineures pour privilégier la peinture d’histoire, le portrait et les scènes de genre où la présence humaine s’imposait, n’avait fait qu’officialiser un état de fait bien plus ancien. L’homme, pensait-on depuis le début du christianisme, devait sa supériorité à son statut de créature de Dieu. Ce texte fondateur allait pourtant devenir un chant du cygne. Car Thomas Schlesser situe en 1755, c’est-à-dire au terrible séisme qui détruisit entièrement Lisbonne, l’origine d’un changement dans le rapport de l’homme et de son environnement. L’événement opposa violemment Rousseau à Voltaire – l’opinion de ce dernier, qui remettait en question la notion de « divine providence », étant, comme très souvent, plus juste que celle de son adversaire.

Les conséquences de ce tremblement de terre ne tardèrent pas à émerger. Durant le XVIIIe siècle, la peinture s’empara des catastrophes naturelles les plus diverses, démarche qui remettait en cause la primauté de l’homme face à la puissance dévastatrice de la nature, laquelle ne se confondait plus avec un supposé châtiment divin.

On aurait pu croire le XIXe siècle plus apaisé, mais la profusion de paysages romantiques, vides de tout personnage, et des thématiques animalières, de l’Ecole de Barbizon aux Impressionnistes, ne faisait qu’annoncer l’effacement de l’humain, comme en témoignent bien des toiles de Théodore Rousseau, Corot ou Rosa Bonheur. Chez le réaliste Gustave Courbet, surtout dans ses scènes de chasse, l’absence de hiérarchie dans le traitement de l’homme, de l’animal et de la nature allait encore davantage marquer la fin de toute référence métaphysique – son athéisme radical n’y était pas étranger.

Le siècle suivant, qui fut celui de la mécanisation, des guerres meurtrières et des grands génocides sur fond d’idéologies, vit apparaître la sombre perspective d’une dislocation de la figure humaine avec le Cubisme, puis sa synthétisation et enfin sa dissolution progressive dans l’Abstrait, comme le montre notamment l’évolution de la peinture de Kandinsky.

La question de notre temps et de son évolution devient alors pour l’auteur le pivot de ses réflexions. Entre catastrophes écologiques, robotisation et transhumanisme, le futur ne semble guère offrir d’issue réjouissante. C’est, en tout cas, ce que suggère la production angoissante des artistes contemporains qui devrait nous inquiéter dans la mesure où ceux-ci proposent une succession de désolations post-apocalyptiques, de destructions totales, de catastrophes technologiques ou de réification de l’individu. Or, l’histoire nous montre que les artistes bénéficient d’une assez belle faculté de préscience.

A l’appui de son propos, Thomas Schlesser ne convoque pas seulement la peinture. Sculptures, installations, photographies, littérature et cinéma étayent cette fresque historique aussi colossale qu’érudite où se croisent Turner et Jacques Tati, Odillon Redon et Stanley Kubrick. La très abondante iconographie qui accompagne le texte contribue à faire de ce livre un ouvrage de référence et, à l’évidence, un utile support de réflexion.


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