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Hwages : jeune génération et révolution en Arabie saoudite

Publié le 11 janvier 2017 par Gonzo

Telle une idée obsessionnelle qui ne vous quitte plus, les articles dans toutes les langues se succèdent pour chanter les louanges de la dernière pépite saoudienne, une vidéo où, sur fond de chant traditionnel relooké (on y reviendra), une bande de jeunes saoudiennes se moquent joyeusement des hommes dont, nous disent les paroles, elles rêvent d’être débarrassés tellement ils leur prennent la tête !

« Idées obsessionnelles » (Hwages هواجيس), ça tombe bien, c’est le titre de cette vidéo, que la presse choisit souvent d’interpréter en fonction de ses propres hantises ! Comme on a décidé qu’il s’agissait d’un « manifeste féministe » et même d’une « révolte contre la société patriarcale » (celle des autres, hein, pas la nôtre !), les chroniqueurs traduisent par « problèmes » (concerns en anglais, au sens d’inquiétude) ou même « barrières » voire « interdictions » (mais dans ce cas il s’agit visiblement d’une confusion avec un autre mot en arabe).

Fidèles à leur marotte, les commentateurs déclinent par conséquent les couplets obligés sur l’oppression (bien réelle, je le précise) que subissent les femmes saoudiennes privées, pour commencer – ça tombe bien c’est le premier plan de la vidéo – du droit de conduire. Ce faisant, ils oublient souvent, me semble-t-il, un élément important dans ce clip, c’est qu’il y a de l’humour, et même de la dérision (vis-à-vis des hommes représentés dans le clip mais aussi, peut-être, vis-à-vis des femmes, toujours susceptibles de « retomber » dans leurs travers passés, celui de la soumission au désir masculin : voir le clip : 1’52). À ce niveau, Hwages est moins un manifeste politique qu’une parodie, même sympathique.

Toujours hantés par les mêmes idées fixes, les commentaires sont d’autant plus dithyrambiques que le clip en question renvoie, par sa critique des mâles saoudiens, une image très positive de l’Autre qui regarde, à savoir, nous, les bons occidentaux. Selon un schéma éprouvé de longue date, et qui a fait particulièrement florès durant ledit « Printemps arabe », la révolte de la jeunesse arabe est d’autant plus audible qu’elle est « vendable » et « photogénique », dès lors qu’elle emprunte, dans sa critique, à nos codes occidentaux, en quelque sorte valorisés par antithèse.

Pour une fois, et c’est vraiment un des intérêts de ce clip à mes yeux, on en a la preuve parce qu’il en existe en réalité deux versions : la version d’origine (ci-dessous), passée totalement inaperçue depuis qu’elle a été mise en ligne (juillet 2014, 250 000 visionnages), copie conforme, y compris dans les paroles, de celle qui cartonne dans les médias sur YouTube avec bientôt 5 millions de vues en moins de trois semaines (et que vous trouverez tout en bas de ce billet). Mais la seconde est beaucoup plus « sexy », avec ces jeunes saoudiennes qui expriment leur révolte avec les codes de la street culture globale (rollers, basket, snickers et j’en passe).

Ce relookage, il a été effectué avec un talent certain par Majed Alesa (ماجد العيسى), un jeune réalisateur saoudien, à la tête de 8IES, une société de production très branchée de Riyad. Comme on peut le voir sur son compte Twitter (désormais inactif), il se passionne pour le patrimoine culturel bédouin. D’ailleurs, son travail consiste très souvent – comme dans Hwages en l’occurrence  – à remixer à la sauce du moment des éléments de la culture traditionnelle, une démarche, qu’on pourrait appeler le « collage hybride » et que l’on retrouve chez de très nombreux jeunes créateurs arabes actuels (vous n’avez qu’à feuilleter ce blog pour en trouver toutes sortes d’exemples).

Humour, dérision, second voire troisième degré, collage, remix, hybridité : tous les ingrédients de la jeune génération arabe sont réunis, ce qui ne rime pas forcément avec révolution ! Il me semble qu’on s’enthousiasme un peu trop rapidement pour cette « bombe » capable de faire exploser les carcans de la morale à la saoudienne. À en croire l’impayable Huffington Post, on n’avait pas vu cela depuis les Pussy Riots et leur Straight Outta Vagina !!! Une véritable hallucination ! Une vidéo n’a jamais fait le printemps (arabe) et, d’ailleurs, Majed Alesa est aussi un très fidèle sujet de son roi dont il retransmet fièrement – toujours sur son compte Twitter – les prodigieuses manœuvres militaires (ces mêmes forces qui bombardent à tout-va, avec l’aide de notre savoir-faire, au Yémen).

Non, la révolution n’a pas commencé en Arabie saoudite avec la vidéo de Majed Alesa. En revanche, après avoir été soutenu par le quotidien Al-Bilad, le jeune réalisateur a été salué par la princesse Ameera Al-Taweel, un ancienne épouse du milliardaire Al-Walid bin Talal. Il y a quelques jours, Al-Hayat a présenté à ses lecteurs la désormais célèbre vidéo, sans rien cacher des critiques qu’elle adresse à la société saoudienne. En soulignant le talent de cet excellent représentant de la jeune génération, le très libéral quotidien à financement saoudien l’enrôlait – ce qu’il accepte sans doute bien volontiers – dans la lutte qui oppose les plus modernistes des élites locales aux représentants des milieux conservateurs religieux. Une lutte pour le contrôle du pouvoir, avec d’énormes enjeux économiques et financiers, et qui, sur le terrain saoudien, s’exprime à moindre frais sur le terrain de la culture et des pratiques cultuelles (voir cet article en arabe).

Là encore, les images nous disent bien des choses, pourvu qu’on les fasse parler. Inévitablement, on a beaucoup commenté la séquence où la vidéo nous montre le visage de Trump (à partir de 1’15), considérant que le « presque-président » symbolisait la figure la plus détestable du pouvoir masculin en général. Certes, mais c’est oublier (ou plutôt ignorer, mais on peut lire cet article, en arabe, du défunt Al-Safir) qu’il y a aussi une allusion très directement politique à cette caricature machiste, dans la mesure où la jeunesse saoudienne libérale, prête à prendre la relève du pouvoir avec l’héritier de l’héritier du Royaume (MBS, Mohammed ben Salmane Al Saoud), a pris fait et cause pour Hillary Clinton (dans la vidéo, on voit d’ailleurs des pancartes à sa gloire).

Oublions donc les questions que l’élection de Trump fait peser sur les destinées de l’Arabie saoudite pour applaudir, sans arrière-pensées trop compliquées, cette amusante illustration de la révolte féministe saoudienne (les paroles viennent après).

جعل الرجاجيل الماحي
حطوا بنا أمراض نفسية

يا عل مافيهم صاحي
كل واحد فيهم جنيه

حظي عجاج و الحبايب قراطيس
و من يمسك القرطاس وقت العجاج

Puissent les hommes disparaître / Ils ne nous apportent que des maladies mentales
Qu’il n’y en ait pas un qui reste sain / Chacun d’eux est possédé par un démon femelle
(Reprise d’un traditionnel)
Mon sort, c’est d’être une tempête, et ceux que j’aime des feuilles au vent
Qui va tenir les feuilles dans sa main quand souffle la tempête ?


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