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Philippe Cognée : loin de la foule solitaire

Publié le 14 janvier 2017 par Pantalaskas @chapeau_noir

Lors de sa dernière exposition parisienne à la galerie Daniel Templon il y a trois ans, Philippe Cognée présentait, avec un montage de centaines de morceaux parallélépipèdes en marbre, la maquette d’une cité imaginaire, hommage à la créativité de ses amis architectes dont les portraits peints par l’artiste occupaient les murs de la galerie. Cette proposition s’inspirait de ce constat : « Les images de villes que montre Google Earth sont inimaginables puisque ce sont des vues prises par satellite : on peut jouer à en saisir des plans très rapprochés vraiment impressionnants qui frisent l’abstraction ».

Cellular tower 2.016 Philippe Cognée

Cellular tower 2016 Philippe Cognée

Avec sa technique très personnelle de peintre   Philippe Cognée prolonge cette recherche avec deux thèmes dans les espaces de la galerie. Il utilise toujours une peinture à l’encaustique faite de cire d’abeille et de pigments de couleur qu’il dispose sur la toile. Puis il recouvre cette application par un film plastique sur lequel un fer à repasser, qui chauffe et liquéfie la cire, enfouit le sujet dans la matière. Décollé, le film plastique produit des effets d’arrachage, et l’image semble prise dans une surface glacée : d’où l’impression de flou, de trouble, de rupture avec une réalité nette.
Les villes imaginaires, cette fois envisagées sur le plan du tableau, entrent en résonance avec les foules présentées dans la galerie principale. Dans les deux cas, la technique employée apporte aux sujets peints l’équivalent d’un dérèglement optique contribuant à ce basculement d’une image à priori figurative vers une autre réalité, incertaine, projetant le spectateur dans un univers inédit.
Ce jeu de dérèglement de la vision peut également se vérifier d’un tableau au suivant. Si certaines toiles permettent de distinguer les personnages qui composent cette foule, d’autres resserrent les silhouettes dans ce qui devient une forme de magma dans lequel se fondent les formes humaines. Notre œil perçoit alors une sorte d’abstraction alors que notre réflexion veut toujours y voir une multitude d’individus reconnaissables. C’est, me semble-t-il, sur ce point d’équilibre que se situe la particularité du travail de Philippe Cognée : non pas donner une image du réel mais produire un réel issu d’une image, ce réel/image étant validé désormais par toutes les traces photographiques des procédés technologiques mis à notre disposition.

Radiant crowd 2016 Phiippe Cogée

Radiant crowd 2016 Philippe Cognée

« La foule solitaire »

On ne peut pas ne pas évoquer ce que sous-tend cette vision de la société humaine dans laquelle l’individu se dissout dans un   collectif désormais indéfini. Cette « foule solitaire » décrite dans les années cinquante par le sociologue américain David Riesman devient une entité produisant ses propres valeurs, ses propres attitudes.  La détermination personnelle de l’individu s’efface alors au profit de ce comportement dicté par un nouveau corps dominateur. L’artiste, prenant de la hauteur pour embrasser ce phénomène de masse, nous donne à voir une image produite par cette peinture très singulière à base de cire d’abeille. Comme pour ces abeilles asservies au destin du collectif, c’est l’essaim qui seul définit l’existence et la raison d’être de chaque insecte qui le compose. Avec les moyens de la peinture et en prenant ses distances visuelles avec ce phénomène rapporté à la vie des humains, Philippe Cognée révèle cette redoutable mutation.

Photos: Galerie Daniel Templon

« Foules »
Philippe Cognée
Du 7 janvier au 4 mars 2017
Galerie Daniel Templon
30 rue Beaubourg
75003 Paris


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