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Edmond Roche et la première traduction française de Tannhäuser (1) Un texte de Victorien Sardou.

Publié le 16 janvier 2017 par Luc-Henri Roger @munichandco
Edmond Roche et la première traduction française de Tannhäuser (1) Un texte de Victorien Sardou. Une première traduction de Tannhäuser fut effectuée par Edmond Roche (1828-1861), douanier et poète, auteur dramatique, librettiste, violoniste et , qui plus est,  un des tout premiers  wagnériens français. Le chanteur allemand Richard Lindau et Wagner lui-même furent associés à cette traduction, que Richard Wagner soumit lui-même à l'Opéra de Paris le 24 juin 1860. Mais, malheureusement pour Roche qui n'accéda jamais à la célébrité, le directeur de l'Opéra, Alphonse Royer, estima la traduction insuffisante et se proposa de faire remanier le travail par Charles Nuitter.
Victorien Sardou (1831-1908), dans les dernières pages de sa préface des Vers posthumes d'Edmond Roche publiés en 1863 par Lévy frères à Paris, évoque la rencontre fortuite de Richard Wagner et d'Edmond Roche aux douanes françaises et la collaboration amicale qui  en suivit:
"[... ]Une fois pourtant, le destin parut se lasser et lui fournir cette chance de salut, presque toujours unique dans la vie des artistes, et qu'il faut savoir enfourcher au passage et mener bon. train, sous peine de retomber au fossé. – Un jour que Roche travaillait tristement dans son très lugubre bureau de l'administration des Douanes, son attention fut éveillée par le bruit d'une discussion assez vive soulevée à quelques pas de là ! — Un nouveau débarqué, un étranger, un Allemand, se débattait à grand'peine au milieu de ces mille formalités que l'administration française accumule sous les pas du voyageur. Roche intervient : l'étranger se nomme Wagner ! Roche s'incline, se met à sa disposition, le garde dans les bureaux, aplanit toutes les difficultés, et quand Wagner le remercie de la peine qu'il lui donne : « Je suis trop heureux, répond Roche, d'avoir obligé un grand artiste. » — « Vous me connaissez ? » s'écrie Wagner, surpris de voir son nom si bien connu à la Douane française. — Roche sourit, et, pour toute réponse, fredonne quelques morceaux du Tannhauser et de Lohengrin. — « Ah ! dit Wagner ravi, c'est un signe d'heureux présage: le premier Parisien que je rencontre connaît et apprécie ma musique. Je vais de ce pas l'écrire à Liszt. Mais nous nous reverrons, Monsieur. » Et ce disant, il tire de sa malle cinq ou six morceaux de musique, et les présente à Roche avec cette dédicace : « A M. Edmond Roche, à la Douane. »      Ce fut là le commencement de leurs relations ; elles devinrent bientôt plus étroites. Wagner apportait à Paris sa partition du Tannhauser, pour laquelle il cherchait un traducteur : Roche était l'homme de ce travail. Très sympathique au génie poétique et musical de Wagner, il avait en outre, aux yeux de ce compositeur exigeant, le mérite immense d'être rompu à toutes les difficultés de la versification française. La musique de Wagner est, en effet, d'une précision toute particulière, et l'on peut presque dire que, dans son oeuvre, chaque syllabe du texte allemand, écrit par Wagner lui-même, est en communauté de sentiment avec la note qui lui correspond. Il s'agissait, au moyen d'un travail qui ne sacrifiât pas trop l'élégance à l'exactitude, de faire passer dans la traduction française cette étroite connexité de la musique et du poème.      La traduction du Tannhauser prit à Roche une année entière du travail le plus assidu, le plus exténuant ; il y prodigua ses jours et ses nuits. Il faut l'avoir entendu raconter tout ce que lui faisait souffrir l'exigence de ce terrible homme, comme il l'appelait. Le dimanche, jour de repos à la Douane, était naturellement celui que Wagner accaparait pour sa traduction. — Quel congé pour le pauvre Roche ! — « A sept heures, me disait-il, nous étions à la besogne, et ainsi jusqu'à midi, sans répit, sans repos : moi courbé, écrivant, raturant, et cherchant la fameuse syllabe qui devait correspondre à la fameuse note, sans cesser néanmoins d'avoir le sens commun ; lui debout, allant, venant, l'oeil ardent, le geste furieux, tapant sur son piano au passage, chantant, criant, et me disant toujours : Allez, allez ! – A midi, une heure quelquefois, et souvent deux heures, épuisé, mourant de faim, je laissais tomber ma plume et me sentais sur le point de m'évanouir. — « Qu'avez-vous ? me disait Wagner tout surpris. » — « Hélas ! j'ai faim ! » — « Oh !c'est juste, je n'y songeais pas. Eh bien ! mangeons un morceau vite, et continuons. » – On mangeait donc un morceau, vite, et le soir venait, et nous surprenait encore, moi anéanti, abruti, la tête en feu, la fièvre aux tempes, à moitié fou de cette poursuite insensée à la recherche des syllabes les plus baroques... et lui toujours debout, aussi frais qu'à la première heure, allant, venant, tapotant son infernal piano, et finissant par m'épouvanter de cette grande ombre crochue qui dansait autour de moi aux reflets fantastiques de la lampe, et qui me criait, comme un personnage d'Hoffmann : « Allez toujours, allez ! », en me cornant aux oreilles des mots cabalistiques et des notes de l'autre monde ! »      Et toutefois, ce labeur assidu et plus pénible pour lui, chétif, que pour tout autre, Roche l'acceptait avec courage, car derrière cette peine infinie, il y avait l'espoir ! Et quel autre à sa place ne se fût pas permis de caresser un beau rêve dont la réalisation semblait si prochaine ? Ne tenait-il pas enfin l'occasion si longtemps attendue ? En admettant que le public parisien jugeât sévèrement l'oeuvre de Richard Wagner, le moindre succès auquel cette oeuvre put prétendre était assurément un succès de curiosité. Roche attendait mieux, mais il ne demandait pas davantage : c'était assez pour attirer la publicité sur son nom, pour fonder sa réputation, sinon de poète, du moins de versificateur habile ; et si du coup il n'atteignait pas à la gloire, il avait la sécurité. On sait comment il suffit de trois soirées pour renverser toutes ces espérances. Roche n'eut pas même la vaine satisfaction de voir une seule fois son nom sur l'affiche.       Notre ami reçut là un de ces coups qui ne pardonnent pas. Il voulut pourtant continuer la lutte, mais la force lui faisait défaut : on le sentait brisé. Vers le milieu du mois de novembre 1861, il éprouva tout à coup une vive douleur à la poitrine, et un flot de sang s'échappa de sa bouche. On crut un moment que l'accident n'aurait pas de suites. Roche avait repris son travail ; il écrivait alors l'Eventail de Suzette : « Est-ce assez Watteau ? » nous disait-il avec un sourire. De nouveaux accidents se manifestèrent. Il prit le lit dans les premiers jours de l'hiver. Le 16 décembre, il avait rendez-vous avec moi ; il essaya de se lever ; mais, à peine debout, il dut y renoncer ; il m'écrivit de ne pas l'attendre, et huit jours après il était mort. Il avait trente-quatre ans.
                                                                                                       Victorien Sardou "
In Roche (E.),  Poésies posthumes,; avec une notice par M. Victorien Sardou, Paris, M. Lévy Frères, 1863, pp. XV à XIX.

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