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Je suis mort le..., de Michel Bavaud

Publié le 31 janvier 2017 par Francisrichard @francisrichard
Je suis mort le..., de Michel Bavaud En écrivant à plus de huitante ans des survivances d'enfance et de jeunesse, je comprends mieux que "texte" veut dire "textile", une chaîne et une trame entrecroisées, tellement serrées qu'il y a apparence d'unité faite de réalités fort diverses.

Ainsi parle Michel Bavaud dans son livre de souvenirs, intitulé Je suis mort le..., qui est la dernière phrase du livre, comme s'il ne devait plus y avoir d'autres phrases après celle-là. Ce qui serait bien dommage, parce que le lecteur ne s'ennuie vraiment pas en lisant un tel auteur...

Sans vouloir l'offenser, l'auteur, son livre ne raconte pas spécialement de choses extraordinaires. Ce sont plutôt les choses de la vie d'un homme, qui, au soir de sa vie, se penche avec lucidité sur son passé.Mais ces choses prennent un tour extraordinaire sous sa plume d'humaniste trempé.

Né en 1932, à Echallens, village caricatural et double (y régnait une heureuse obligation oecuménique entre protestants et catholiques), Michel Bavaud n'a aucun souvenir de sa naissance...mais il a bien d'autres souvenirs, qui témoignent de l'époque de bouleversements qu'il a traversée.

Ainsi raconte-t-il son enfance, la guerre, l'école primaire, les sorties scolaires, les courses d'école, les deux responsables de sa formation, l'instituteur et le curé, les difficultés rencontrées à concilier foi et science, croire et savoir, le pensionnat Saint-Charles à Romont, le collège Saint-Michel à Fribourg.

Catholique, il fait sa première communion, sa confirmation, est instructeur de servants de messe, et même séminariste. Mais il se marie avec celle qu'il aimait déjà à quinze ans, enseigne, dirige l'École secondaire, l'École de commerce et l'École normale de jeunes filles de la ville de Fribourg.

Modeste, il dit ne pas avoir enseigné la littérature: ce sont les écrivains qui nous enseignaient, et je me retrouvais, disciple avec mes normaliens, lecteur de ces paroles vivantes qui, au cours des siècles, enrichissent nos esprits et nos coeurs et nous révèlent le monde.

L'Église va le décevoir, mais ce ne sont pourtant pas les déceptions ressenties envers elle qui vont le faire abandonner la foi: Les doutes se sont révélés de plus en plus impérieux et l'évidence de l'athéisme s'est imposée en toute tranquillité .

Il précise, un peu plus loin: Je n'ai pas d'explication du monde, mais je ne peux accepter les contradictions des religions prétendument révélées.

Devenu directeur d'école, il est exclu du syndicat des enseignants. Ayant repris l'enseignement à temps complet, le responsable du syndicat lui propose de le réintégrer, ce qu'il refuse: il n'accepte pas d'être à nouveau humilié par ce mépris de [son] libre arbitre .

Coauteur d'une initiative visant à décriminaliser l'objection de conscience , il encourt les sarcasmes des membres des partis devant lesquels il la présente. Il n'a pourtant jamais été objecteur lui-même, parce qu'il avait vécu le temps où la Suisse était cernée par des armées en guerre :

Mais je ne supportais pas et ne supporterai jamais cette stupidité de condamner non seulement les objecteurs qui transgressaient une loi par fidélité à leur conscience, mais aussi ceux qui militaient pour une amélioration de l'obligation de servir le pays.

Il va s'engager en politique, sur de petites listes, alors qu'il est sollicité par plusieurs partis existants: Mon ego en fut certes flatté, mais ma tête libérale, mon coeur socialiste, ma conscience chrétienne-sociale et mon tempérament anarchiste, ne pouvaient se résoudre à entrer dans un quelconque parti.

Dans ce livre de souvenirs qui fait le tour de sa vie en quatre-vingts ans, Michel Bavaud parle avec chaleur de ses enfants, de ses petits-enfants, de ses arrière-petits enfants, auxquels il le dédie, mais aussi de ses nombreux amis qui, hélas, à l'âge qu'il a, meurent de plus en plus souvent. Il confesse:

Je n'ai pas la foi et je m'en réjouis, mais évidemment qu'il y a des jours où j'aimerais l'avoir, à chaque fois que je suis confronté à la disparition de ceux que j'aime. S'il y avait une vie après la mort, je pourrais les retrouver. J'ai tant de choses à leur dire, tant d'explications à leur demander.

A la fin de son livre Michel Bavaud remercie tous ceux qui ont embelli, enrichi, poétisé [sa] vie. Parmi eux il y a son chien. Plus haut, il lui consacre, à l'époque où il est directeur, un passage irrésistible, qu'il faut donc citer et qui est révélateur de son humour et de sa vision du monde:

Le matin, quand mon chien me promenait, je voyais bien dans son regard qui croisait le mien qu'il se foutait complètement de savoir si je suis beau ou moche, si je suis jeune ou vieux [...] si je suis conservateur ou radical, si je suis intelligent ou stupide, si je suis catholique ou musulman [...].

Il ajoute: Il m'aimait comme je suis et ne me demandait pas de justifier mon existence ou ma présence. Je crois que mon chien avait raison. A sa manière, il me rappelait que l'essentiel se libère de ces différences négligeables.

Francis Richard

Je suis mort le..., Michel Bavaud, 240 pages, Editions de l'Aire


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