Magazine Journal intime

Is this the end ?

Par Pastis51

Certains mots naissent tellement parfaits, naturellement, qu'il suffit alors de les balancer dans l'air et faire sensation. D'autres ont besoin d'être pensés et repensés : de mûrir avant de pouvoir être dits et valoir la peine d'être écoutés. J'ai souvent eu du mal à distinguer les premiers des seconds, avec le lot de quiproquos qui vient avec ce genre de maladresse. Des mots j'ai certainement du en dire des centaines de millions depuis que ma langue s'est enfin déliée ... Je les ai tous assumés, un par un, des fois avec fierté, d'autres en me confondant humblement dans de plates excuses et souvent, mais de moins en moins, avec de pénibles regrets.

Parmi ces mots qui naissent laids, anorexiques ... presque infirmes et que l'on s'efforce (des fois) pendant des années à choyer, soigner, rééduquer, certains ne verront jamais le jour. Ils restent non-dits jusqu'à ce que langue se renoue à tout jamais ou finissent tout simplement, dans la corbeille de l'oubli. Des mots comme ceux-là, j'ai du aussi en avoir des centaines de millions sur le dos. C'est à force de porter ce lourd fardeau que je me suis mis à les écrire : jouant à l'apprenti médecin, je soignais ces mots dans la clinique du verbe. Et c'étaient finalement mes propres maux que je pansais, cette laideur en moi que je gommais, et mon infirmité sociale que je fuyais, inexorablement.

Dans la clinique du verbe, certains mots finissent par s'éterniser. Ils ont la tête dure : ils arrivent toujours à éviter le crématorium de l'oubli, sans pour autant obtenir de relaxe définitive. Avec le temps, ils se confondent peu à peu avec le décor, finissent par mettre à leur tour des blouses blanches et commencent à vouloir donner un coup de main. Se prépare alors un putsch tout aussi discret que machiavélique : un culte occulte de la laideur et de l'imperfection qui fait d'un marécage un paradis et d'un cercle vicieux, une épopée ! Ce qui semblait être une échappatoire devient alors prison : une ère glaciaire qui gèle le court de la vie et le cantonne dans une caverne de non-dits.

Le pire avec ces mots renégats, presque immortels, c'est qu'il ne suffit pas de les confier au premier venu ou même à un ami intime pour s'en débarrasser ! Vous pourriez les mettre dans des bouteilles à la mer, les écrire sur tous les murs ou encore les crier sur tous les toits ... ils reviendront, inexorablement, hanter vos jours et vos nuits. Toute la tyrannie, toute la force, tout le comble de ces mots est qu'ils se font passer pour tellement inappropriés, tellement immatures, tellement " aformes " qu'ils en deviennent indicibles. Le seul remède possible est de les dire, les yeux dans les yeux de celui à qui ils étaient destinés. Toute la difficulté d'un tel exercice est d'arriver à faire abstraction de ses conséquences : s'attendre à toutes les réactions et accepter d'avance toutes les issues possibles.

Il y a de ça quelques soirs, je me suis enfin pris par la main : j'ai aligné toutes ces incantations inaudibles qui m'ont réduit à l'esclavage pendant des décennies dans un peloton d'exécution. En exécutant le premier mot, en le regardant rendre l'âme, j'ai cru voir mon émancipation danser sur son cadavre ... Ensuite vint le tour du deuxième, puis du troisième ... jusqu'à l'avant dernier !

Le dernier je le garde en vie. Pour l'instant. Je le garde en vie parce que tout seul, il ne fera plus jamais le poids du serial-killer que je suis devenu. Je le garde en vie ni par pitié, ni par faiblesse, ni par toute autre forme de rechute : je le garde en vie pour qu'il me rappelle cette histoire : mon histoire. Ce dernier mot qui m'était destiné je n'ai pas besoin de me le dire, car en fait je ne le sais que trop bien.

Comme une soudaine révélation, je lis le titre de ce blog, énième succursale de la clinique du verbe que j'ai pris la peine de construire et je souris : pistolero je suis devenu, à force de l'avoir voulu, à force d'avoir tant été du mauvais côté de la pistole, à force d'avoir écrit au lieu d'avoir dit, à force d'avoir été au lieu de tout simplement avoir vécu !

Is this the end ? Yes. I'm done writing words. I'm even done saying them : time has come to become.

Is this the end ?


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