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Les territoires interdits de Tobe Hooper – Legrand vertige

Par Julien Leray @Hallu_Cine

Les territoires interdits de Tobe Hooper – Legrand vertige

Des cinéastes phares du cinéma d’horreur des années soixante-dix, Tobe Hooper est sûrement celui ayant connu le parcours le plus chaotique. Notamment au regard de sa reconnaissance critique.

Massacre à la tronçonneuse a beau être désormais considéré comme un classique absolu du cinéma (et pas seulement d’horreur, comme peut en témoigner la copie soigneusement conservée à New-York au sein de la collection des oeuvres permanentes du Moma), le reste de sa filmographie, outre sa relative confidentialité auprès du grand public en dehors de Poltergeist, n’aura jamais connu pareille reconnaissance, souffrant perpétuellement de la comparaison avec ce coup de maître par nature impossible à reproduire.

À travers Les territoires interdits de Tobe Hooper, Dominique Legrand n’entend pas simplement réhabiliter les autres films du cinéaste texan à proprement parler, mais bien de remettre également de l’avant la cohérence de sa filmographie dans son entier.

Du Crocodile de la Mort à Eggshells, de Massacre à la Tronçonneuse 2 à Misery, les obsessions formelles, les thématiques sociales, morales de Hooper se voient ainsi successivement déconstruites pour mieux mettre en exergue la dimension subversive, radicale, mais aussi novatrice de l’approche scénique de ce dernier. En somme, tout un pan largement négligé d’une oeuvre paradoxalement au mieux méconnue, au pire raillée en dehors de sa pièce maîtresse qui l’aura malencontreusement vampirisée.

Reflets d’une Amérique rurale passée sous silence, à l’héritage oublié sur l’autel d’une urbanité consensuelle dévorante, les films de Hooper sont avant tout, selon Dominique Legrand, des cris du coeur, des réactions épidermiques à une perte de sens, à la marginalisation d’êtres ou de cultures rejetés par une société les ayant pourtant créés. Par négligence, désintérêt, ou mépris du passé.

Abordant tour à tour l’omniprésence de ce dernier, les rapports étroits entretenus avec les contes de fées, la structure même de ses récits (verticalité narrative et visuelle, frontières spatiales et temporelles), leurs différents niveaux de lecture, leur mysticisme et le rapport aux croyances et au sacré, Dominique Legrand dresse un portrait riche, bienveillant sans (trop) se montrer complaisant d’un cinéaste secret, dont l’ironie, l’esprit de révolte, la fronde politique ne sauraient pourtant masquer un rapport au monde (à « son » monde) d’une grande sensibilité.

Si les désaccords ne manqueront pas de se faire jour concernant tel ou tel métrage à la lecture de l’ouvrage (Djinn, son dernier film, notamment, restant de notre point de vue un ratage formel et scénaristique assez navrant), si l’on regrettera également la mise sous silence de l’imbroglio quant à la paternité de Poltergeist (malgré l’approche, plutôt bien vue, de mettre en évidence d’une part les éléments de mise en scène relevant d’une logique toute « Hooperienne », et d’autre part ce qui appartient davantage au style de Steven Spielberg), la richesse de l’argumentation et l’angle d’analyse choisi se montrent suffisamment pertinents pour convaincre de se replonger dans certains opus que l’on avait jusqu’alors honteusement oubliés (Les Vampires de Salem, en particulier, à ne surtout pas rater).

Ce n’est d’ailleurs pas le moindre des mérites de ces Territoires interdits. Celui de redonner, au-delà des mots, l’envie de redécouvrir une filmographie armé de nouveaux outils. D’une empathie nouvelle, et d’un bagage analytique plus conséquent, pour mieux appréhender la richesse d’une oeuvre qui n’a probablement pas encore livrée tous ses secrets.

L’occasion idoine de remettre au premier plan un réalisateur mésestimé, dont les qualificatifs de « visionnaire » et « précurseur » n’ont, une fois n’est pas coutume, rien de galvaudés.


Les territoires interdits de Tobe Hooper, Dominique Legrand, Playlist Society. Sortie le 21 février 2017.



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