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Et si la voiture autonome n’avait pas d’avenir ?

Publié le 11 février 2017 par Pjgrizel

Quelle est la proposition de valeur de la voiture autonome ? Est-elle un « pain killer » ? A-t-elle un avenir, au delà de ce qu’affirment Tesla et consorts ? Ou bien l’essor apparent de la voiture autonome cache-t-il d’autres facettes de la mobilité qui soit nous échappent pour le moment, soit sont au contraire tellement évidents que nous ne parvenons même plus à les discerner avec recul ?

Usuellement, avant de partir tête baissée dans une idée, on se pose la question du « product-market fit ». C’est un peu l’exercice que je fais ici, de façon, je l’admets, un peu provoquante. L’idée est de remettre en question le postulat que l’on nous sert à longueur de journée : la voiture autonome est sur les rails (sans mauvais jeu de mots) et d’ici 2, 5 ou 10 ans suivant les sources nous en (non)conduirons tous une.

Je ne crois pas.

What’s the pain reliever ?

Si l’on applique le Value Proposition Design, on doit se demander quels sont les points de douleur et les bénéfices de la circulation (automobile ?) actuelle. C’est un exercice que j’invite tous les aspirants startupers à réaliser, histoire de se projeter au delà de l’effet de mode.

Premièrement, de qui parle-t-on ? Quel est le client ? Du point de vue du grand public ou du journalisme généraliste (celui qui vous explique toutes les semaines que la voiture autonome arrive et qui publiera avec délectation les accidents qui ne manqueront pas de survenir avec la même charge symbolique que les accidents d’avion), la voiture autonome s’adresse… aux conducteurs. Ça semble tellement évident…

Voici donc le profil de Sophie, automobiliste depuis 10 ans, propriétaire d’un véhicule (une Peugeot), qui l’utilise pour se rendre à son travail situé dans le XVIème arrondissement depuis la ville de Colombes, ainsi que pour quelques promenades dominicales avec son mari et ses deux enfants de 4 et 8 ans. Au fait, ceci s’appelle un persona.

Les tâches à accomplir

  • Se déplacer de chez elle à son bureau
  • Transporter la sacoche de son portable (si, si)
  • Tourner le volant, mettre son clignotant, accélérer, freiner

Les « pain points »

  • Coût de l’essence (ou de l’énergie au sens large !)
  • Embouteillages
  • Sécurité / Diminution des risques d’accident

Les bénéfices

  • Une voiture qui se conduit toute seule, c’est tout de même très fun !
  • Moins d’accidents bénins
  • Possibilité de faire autre chose pendant la conduite

On pourrait trouver bien d’autres choses, détailler, argumenter, mais je crois que les principaux points sont là. De ce point de vue, on peut clairement constater qu’il y a un sacré product-market fit sur un tel projet ! Elon Musk le visionnaire doit s’en frotter les mains !

Est-ce vraiment le produit qu’une majorité attend ?

Oui mais attendez une seconde… Est-ce que la voiture autonome apporte une réponse unique à ces pain points et est la seule technologie à apporter ces bénéfices ? Voyons maintenant de façon critique chacun de ces points :

  • « Faire autre chose pendant la conduite » => en fait, il suffit de prendre les transports en commun ou un taxi pour s’en rendre compte. Accessoirement, personnellement, je suis malade quand je lis en voiture. J’espère qu’aucun reponsable marketing n’aura l’idée de répondre à cette objection par la distribution d’un sac à vomi aux utilisateurs… Sans compter l’aspect réglementaire (merci le diagramme de PORTER) qui va jouer sur cet aspect. Aujourd’hui, les (non)conducteurs de Tesla doivent garder les mains sur le volant et disposer de toute leur vigilance même en mode « pilote automatique ».
  • « Moins d’accidents bénins » => là encore, si je tiens à ma voiture et souhaite minimiser les risques, il me suffit de prendre les transports en commun.
  • « Une voiture qui se conduit toute seule c’est très fun » => de qui parle-t-on ? Est-ce que notre Sophie, passée l’étape de la découverte, sera vraiment heureuse

On le voit, comparés à l’offre de transports plus généraliste, la voiture autonome n’apporte pas de bénéfice tangible. Encore une fois, je prends la parti de Sophie et de son cas d’utilisation particulier, une utilisation moins citadine aurait certainement plus de sens. Mais si Sophie fait le choix de prendre sa voiture personnelle, c’est probablement que l’intérêt de lire dans le métro lui semble plus faible (ou les inconvénients des transports en commun plus fort, à l’inverse).

Qu’en est-il des pain killers de la voiture autonome ?

  • « Coût de l’énergie » => la voiture autonome permet certainement de faire des économies substantielles, un peu comme le « mode éco » de nos voitures, mais pas certain que ce soit beaucoup plus qu’à la marge.
  • « Embouteillages » => aaaaah, le grand drame. Les embouteillages ! En quoi la voiture autonome réduit le temps de trajet domicile-travail ? Si tout le monde disposait d’une voiture autonome, oui, ce serait le cas, les vitesses des véhicules étant synchronisées et l’onde de choc de l’embouteillage absorbée plus facilement. Et encore : il faudrait que tous les constructeurs s’entendent sur la meilleure façon de faire, et que la majorité du parc soit autonome…
  • « Sécurité » => c’est ici que la voiture autonome dispose de son killer (uh uh) argument : plus d’autonomie c’est plus de sécurité. Certes, mais le risque fatal est très faible sur trajet domicile/travail dans Paris ! Et d’autre part, la baisse de l’intensité des conséquences des accidents de la route tend à montrer que les systèmes de sécurité actifs et passifs des véhicules remplissent bien leur rôle. Là encore, le débat serait tout autre sur les routes départementales de province, mais nos centaines de kilomètres d’embouteillages quotidiens nous montrent bien quand roule une majorité de conducteurs ! (off-topic : rouler de Levallois à Blanche un matin à 8h30 me fait énormément douter de la capacité de la voiture autonome à s’insérer dans notre trafic parisien intra-muros… où le respect des règles de courtoisie ralentit hélas grandement la progression d’un véhicule dans le trafic ! mais bon, je peux me tromper)

Ouch. Soudainement, le gain de la voiture particulière autonome devient nettement moins flagrant…

La voiture autonome existe déjà. Autrement.

Je prends souvent l’exemple du robot qui râpe les carottes. Dans les années 50, on présidait qu’à l’horizon de l’an 2000 tout le monde aurait chez soi un robot à éplucher et râper automatiquement les carottes. Et ces machines existent… mais dans les usines, qui nous vendent les carottes déjà râpées !

Je pense que c’est la même chose pour la voiture autonome. Plusieurs réflexions à cela.

  • La voiture autonome existe déjà, d’une certaine façon. Les systèmes de sécurité actifs des véhicules (ABS, freinage d’urgence, airbags, régulateurs de vitesse adaptatifs, lecteurs de panneaux) répondent déjà à certain des « pain relievers » de la voiture autonome. Les constructeurs font énormément d’efforts sur ce sujet, et c’est un argument de vente qui s’avère particulièrement efficace. J’achèterais plus facilement une Tesla parce qu’elle est électrique et « security-oriented » que pour sa promesse d’autonomie.
  • La mobilité reste à réinventer. Les gens qui rêvent d’un parc de voitures particulières autonomes se fourrent le doigt dans l’œil : rêvez-vous vraiment du même nombre de véhicules dans Paris (à démographie constante ??), chaque véhicule transportant en moyenne 1,1 passager ??

À la lecture de ces remarques, je vous invite à vous documenter sur la mobilité en Île-de-France, le gain apporté par la voiture autonome est, je crois, quasiment négligeable.

Alors, la voiture autonome, sans avenir ? Eh bien, à la lecture de ceci, on pourrait le penser, mais qui suis-je pour le prétendre ! Pour autant, il suffit de lire ce que dit Elon Musk au sujet de son projet de mobilité de Tesla. Oui, oui, lisez bien ! Tesla ne souhaite pas fabriquer pas des voitures. Tesla souhaite créer une nouvelle façon de transporter. Et je suis prêt à prendre le pari que la voiture particulière autonome ne sera qu’un petit, tout petit confetti dans la révolution de la mobilité qui nous attend ces 30 prochaines années.


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