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Sachli Gholamalizad: Le nouveau visage du théâtre contemporain

Par Artbruxelles

C’est un récit féroce, sans concession mais aussi d’une infime pudeur que dévoile la sublime actrice iranienne Sachli Gholamalizad dans son bouleversant spectacle autobiographique « A reason to talk »:

Sachli Gholamalizad: Le nouveau visage du théâtre contemporain

Sachli Gholamalizad, copyright Charlie De Keersmaecker

La trame? L’histoire d’une famille iranienne quittant leur pays à la fin des années quatre-vingt ? Ou plus précisément, celle d’une mère, accompagnée de sa fillette âgée cinq ans et de son fils à peine adolescent, traversant la Turquie à l’aide d’un passeur pour arriver et rester définitivement en Belgique ? Non, Pas tout à fait. Car cette histoire de migration sert de toile de fond, de frise sur laquelle se déroule la véritable histoire : celle de la relation complexe, incomprise, destructrice entre une fille devenue femme et de sa mère déracinée.

Sachli Gholamalizad: Le nouveau visage du théâtre contemporain

Sachli Gholamalizad, copyright Wim Kempenaers

Pour raconter ce double clash générationnel et culturel, la jeune actrice innove par la multiplicité et la disposition des médiums utilisés. Sur une scène dépouillée et sombre, on la voit de dos, assise à son bureau en train d’écrire sur son ordinateur. Trois écrans sont là. Le premier révèle le visage de la jeune protagoniste, tour à tour en colère, anxieux, triste, ému. Le second, fait apparaître les mots qu’elle tape frénétiquement sur le clavier ( révélateurs de sa pensée immédiate, de ses interrogations et angoisses) Enfin, le dernier, passe des vidéos essentiellement de sa mère, assise face caméra, répondant aux questions de sa fille avide de connaître son passé, son histoire.

Sachli Gholamalizad: Le nouveau visage du théâtre contemporain

scènefoto, A reason to talk, copyright Lucila Guichon

Car Sachli Gholamalizad dit ne pas se souvenir, dit avoir « la tête vide ». Elle veut savoir. Elle a besoin de vérité. Sa mémoire s’active par moment : « Je me souviens de notre maison, de ma chambre, du bruit des vagues »; « A l’époque tout le monde partait vivre au Canada »; « même le nom de ma ville à changé. Pahlavi est devenu Anzali mais on continuait à dire Pahlavi ».

Mais dans cette interview, qui prend parfois des aires d’interrogatoires, la mère ne répond pas clairement. «  Vous avez fui à cause de la Révolution? Dis le clairement Maman ! ». « Oui, non, enfin on a pas fui, on était libre. Ce n’était pas vraiment une fuite, on voulait une vie meilleure pour vous ». On comprend que la fille en veut à sa mère. Elle ne veut pas être comme elle. Et pourtant, cette dernière apparaît douce, humble, essayant de ne retenir de sa vie que le meilleur et de jeter aux oubliettes les mauvais souvenirs. Mais sous couvert de ne jamais vouloir se plaindre, la mère  avoue s’être sacrifiée pour ses enfants. Des mots lourds non sans conséquence quand il tombe dans l’oreille de ses progénitures. Une mère, qui par ses actions et ses choix, semble avoir provoqué chez sa fille une cassure (irréversible?), une immense culpabilité l’obligeant à se construire par opposition.

Sachli Gholamalizad: Le nouveau visage du théâtre contemporain

scènefoto, A reason to talk, copyright Lucila Guichon

En attendant, Sachli Gholamalizad a du elle aussi s’adapter à un pays (la Belgique), à une langue (le flamand), à une culture (occidentale), à l’absence d’un père les deux premières années de leur arrivée en territoire inconnue.

Elle parle de sa première copine Véronique qui lui apprend ses premiers mots mais qui lui fait surtout l’apprentissage du « manger flamand ». Une révolution pour celle qui avouera détester le riz, ingrédient incontournable de la cuisine iranienne, servi avec grandiloquence à tous les repas. Et puis il y aura ce besoin pressant, urgent, vital à l’adolescence d’être « normale ». handicapée par son physique et son nom de famille « exotiques ». Alors pour être comme les autres, elle fera vite l’expérience de l’alcool, du sexe, et de la drogue.

Sachli Gholamalizad: Le nouveau visage du théâtre contemporain
Sachli Gholamalizad: Le nouveau visage du théâtre contemporain

Coincée entre deux cultures, la jeune femme passera aussi en revue (et avec beaucoup d’humour) de nombreux clichés absurdes entendus dans sa vie :  « Ton père est trop cool de ne pas te faire porter le voile »; « Tu pourrais complètement passer pour une israélienne avec un nez pareil ! » ; « J’aimerai tellement adopté un bébé arménien, ils sont tellement mignons !  » Et bien sûr son prénom, Sachli, de nombreuses fois écorché et glorieusement transformé en « sashimi » ou « salami ».

La pièce, ponctuée de musique électro, de chant a cappella (interprétée d’une voix angélique par la jeune actrice), de vidéos montrant son village sur les bords de la Mer Caspienne, de clip underground aux jeunes gens « défoncés », opère un véritable tour de force scénique. En se mettant à nu devant nous, la troublante et ingénieuse Sacha Gholamalizad avoue avec courage avoir crée ce spectacle « pour se rapprocher de (sa) mère». Une pièce puissante, salvatrice et profondément humaine.

Trailer: https://vimeo.com/161317798

 » A reason to talk », Sachli Gholamalizad, Théâtre National, Boulevard Emile Jacqmain, 111-115, 1000 Bruxelles. 8 et 9 mars 2017. www.theatrenational.be



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