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Procès d'Avesnes-sur-Helpe : l'enfant, le professeur, l'injure et la gifle

Publié le 25 juin 2008 par Hermas

Aujourd’hui s’ouvre devant le tribunal correctionnel d'Avesnes-sur-Helpe (59) un procès singulier.

Rappelons d’abord les faits, qui se sont produits le 28 janvier 2008. Un enseignant en technologie de Berlaimont, M. José Laboureur, avait demandé en cours à l’un de ses élèves de sixième, âgé de onze ans, de ranger une table au fond de la classe. Celui-ci avait refusé. Regardant son professeur droit dans les yeux, selon ce qu’il est rapporté, l’enfant a traité son professeur de “connard”. M. Laboureur l’a alors poussé contre une porte et giflé. L’enfant a été exclu trois jours de l’école.

Ce qui, de prime abord, pourrait paraître un événement mineur, illustrant le cas de la sanction [susceptible d'être qualifiée d'excessive] d’une injure par un enseignant dans l’exercice de sa fonction, prend ici l’allure d’une affaire pénale. Le père de l’enfant, en effet, est gendarme. Et celui-ci croit devoir porter plainte. M. Laboureur est placé en garde à vue pendant vingt-quatre heures. Une pétition de soutien a réuni plusieurs milliers de signatures d’enseignants et M. Fillon lui-même, ès qualités de premier ministre, a exprimé son propre soutien.

L’avocat de M. Laboureur plaide la relaxe, celui de l’enfant la condamnation à un euro de dommages et intérêts.

Cette dernière demande manifeste que le procès se situe dans le champ du symbole. La famille de l’enfant reproche d’ailleurs à l’enseignant d’avoir “médiatisé” sa défense et la condamnation est réclamée « pour toute la tempête dans laquelle (l’enseignant) a emporté cet enfant ».

Ces circonstances donnent à réfléchir.

Au premier chef, il y a la gifle. Il est entré dans une sorte de consensus social qu’un enseignant ne doit pas lever la main sur un élève. Concédons qu’il est justifié. Se posent cependant deux difficultés.

La première est celle du comportement de l’élève. On s’accorde sans doute aussi pour dire qu’en principe il ne doit pas injurier un enseignant. Mais il est déjà problématique qu’il puisse le faire, et que, de fait, un enfant de onze ans le fasse, et en ces termes. Comme il est problématique, plus généralement, qu’un enfant de cet âge puisse s’adresser ainsi à un adulte, quel qu’il soit.

La seconde est celle de la réaction des parents. Personne ne conteste à quiconque le droit de penser que le châtiment corporel n’a pas sa place dans l’éducation, et de le bannir de chez soi. Reste qu’il peut advenir, et que, de fait, il est advenu. Il est alors problématique de savoir s’il y a lieu de privilégier le blâme public de l’enseignant, qui y a cédé, sur le blâme de l’enfant qui l’a provoqué.

Au fond, on peut légitimement se demander si, là encore, on ne se trouve pas devant un problème de valeurs, voire de symboles, puisque le débat aboutit sur ce terrain.

De la faute de l’élève, on glisse à celle de l’enseignant, et de celle-ci à la médiatisation. Au terme de ce processus, il ne reste qu’une seule victime, face à son bourreau supposé : l’enfant, « emporté dans une tempête » par l’enseignant qui a entendu se défendre publiquement d’être traité comme un délinquant et un agresseur. Il n’y a plus de considération ni pour l’injure, ni pour le fait qu’elle ait été proférée par un enfant de onze ans, ni qu’elle ait atteint un adulte et, en l’occurrence, un enseignant.

L’enfant est ici banalement considéré comme un sujet de droit, face à un autre sujet de droit. Leurs droits respectifs sont pesés à égalité, et le droit pénal est invité à rétablir le déséquilibre dommageable provoqué par le seul enseignant.

Cette problématique, symptomatique de l’évolution de la société, évacue totalement la relation primordiale de l’élève à l’enseignant qui est, qu’on le veuille ou non, une relation d’inégalité. Une injure est une injure, soit. Mais il y a injure et injure. Il n’est pas égal de brûler une politesse à qui elle est due et de le disqualifier dans son autorité par une insulte publique. Il n’est pas égal non plus d’injurier un égal ou un inégal, comme il est couramment admis, encore, en droit du travail. Il est très surprenant que ceci ne paraisse pas avoir été saisi par le père de l’enfant, qui est un représentant de l’ordre.

L’idéologie soixante-huitarde est passée par là, qui a désacralisé la relation fondamentale de l’élève à l’enseignant, lequel n’est plus un maître, en même temps qu’elle présidait à l’évacuation de tous les éléments symboliques de cette sacralisation : la politesse, le vouvoiement, le respect, et jusqu’aux estrades marquant la distance de celui qui sait à celui qui a tout à apprendre.

C’est à être confronté à des événements de ce genre que l’on se surprend à n’être plus de son temps. Comment aurions-nous réagi nous-mêmes en de telles circonstances ? A supposer que nous ayons réprouvé le geste de l’enseignant, et que nous n’ayons pas plutôt pensé qu'il avait été bien mérité, la confusion de ce que l'enfant ait pu insulter ainsi son professeur ne l’aurait-elle tout de même pas probablement emporté ?

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