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Quand la lecture fait voyager

Par Carmenrob

Par quel bout commencer le commentaire de ce passionnant roman? Passionnant et dépaysant. Disons d’entrée de jeu que l’auteur du polar Les Impliqués, Zygmunt Milosezwski, est polonais et que l’action se passe à Varsovie en juin 2005.

Quand la lecture fait voyager
Lors d’une thérapie de groupe axée sur l’approche de la constellation familiale, développée par un psychothérapeute allemand, Bert Hellinger, un des participants est retrouvé assassiné, une brochette de cuisson enfoncée dans l’œil. Le procureur Teodore Szacki se voit confier l’enquête qui piétinera longtemps avant que l’accumulation de micro-indices trace la voie à la résolution du meurtre.

L’intérêt de cette œuvre tient à plusieurs facteurs. D’abord à l’ingénieux déroulement de l’intrigue qui nous révèle par petites touches des renseignements dont l’évidence n’apparaîtra que lorsque le procureur mettra en scène les machinations du coupable. L’idée d’utiliser les principes mêmes de cette approche controversée dans la résolution de l’affaire contribue à l’originalité de l’œuvre et lui confère un caractère amusant dans la mesure où cette thérapie nous semble quelque peu farfelue.

Les états d’âme du jeune procureur de 35 ans, épuisé par la lourdeur d’une tâche maigrement rétribuée, interpellent également le lecteur. Sa crise existentielle profonde, qu’il croit liée à l’essoufflement relatif de sa vie de couple, pourrait bien refléter, en fin de compte, son idéal de justice bafouée par les compromissions obligées dans un système corrompu. Et voici un autre angle qui rend cette histoire si intéressante, le regard critique de l’auteur sur son pays affecté par un alcoolisme endémique et par la survivance des éminences grises de l’ère de la dictature communiste. Car contrairement à ce qui s’est passé en l’Allemagne, les hauts gradés de la Deuxième Guerre n’ont pas fui vers l’Amérique latine. Ils ont plutôt continué au grand jour leur œuvre de tortionnaires jusqu’à la chute du communisme pour ensuite la poursuivre dans l’ombre d’une Pologne «démocratique».

Bordel, pourquoi personne ne veut comprendre à quoi ressemblait vraiment la Pologne de l’époque? Je vais te dire : c’était un système totalitaire fondé sur l’asservissement et la répression des citoyens par tous les moyens disponibles. Un système où le dernier mot revenait toujours à l’appareil de la terreur, c’est-à-dire des services secrets qui espionnaient tout le monde, prêts à intervenir à chaque instant.

La variété des angles et les multiples points de vue couverts par l’auteur s’imbriquent harmonieusement. Et c’est d’une plume alerte et teintée d’un humour caustique, souvent hilarant, que nous est proposée cette incursion derrière le mur idéologique qui coupait autrefois l’Europe en deux.

La directrice Janina Chorko s’était maquillée. C’était horrible. Sans produits de beauté, elle était simplement laide; avec, elle ressemblait à un cadavre que les enfants du croque-mort auraient peinturluré pour s’amuser avec les cosmétiques de leur mère — traitement qui aurait eu pour effet de réveiller la morte et de la renvoyer au boulot. Elle portait un pull léger à col roulé et probablement rien en dessous. Dire qu’encore quelques minutes plus tôt, Szacki aurait été prêt à jurer que rien n’éveillait autant son désir qu’une poitrine de femme. Ce souvenir était tombé aux oubliettes, dans la préhistoire, s’était enfoncé dans le silurien, le dévonien, le cambrien. Szacki craignait de regarder dans la direction de son interlocutrice mais trouva une excuse facile, dans la mesure où sa patronne commençait à lui passer un savon. Il put baisser les yeux avec soulagement et jouer au pauvre procureur injustement grondé.

Les Impliqués est le premier livre d’une trilogie suivie d’Un fond de vérité et de La rage que je m’empresserai de lire. Car si le crime a été résolu, on a bien compris qu’il n’était que la partie visible d’une nébuleuse autrement menaçante.

Zygmunt Miloszewski, Les Impliqués, Mirobole Éditions, 2007, 2013 pour la traduction, 329 pages


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