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As Long as the River Flows

Publié le 22 mars 2017 par Paulo Lobo
As Long as the River FlowsTu conviendras avec moi que les rats sont une bien piètre compagnie. Ils sont trop petits et pas assez causeurs, de plus ils dégagent une odeur désagréable, parfois même insoutenable. J'ai ouï dire qu'il n'est pas bon pour la santé de trop se laver, nos ancêtres au Moyen Âge pensaient d’ailleurs que cela portait préjudice au corps. Avaient-ils raison, avaient-ils tort, je n’en sais fichtrement rien, mais j’aurais du mal à me passer de ma petite douche quotidienne.
J'ai l'impression que nous sommes tous devenus beaucoup trop cultivés. Nous sommes tous en désir de culture, de connaissance et de reconnaissance, nous nous agitons dans tous les sens, dans une soif frénétique et jamais assouvie de créativité. Nous ne savons plus nous contenter d'admirer, nous voulons que les regards se tournent vers nous. Pourtant, qu’avons-nous de si important à dire au monde ? Que la vie est belle et la mort est moche ? Que les filles sont jolies quand elles sont en fleur, que le printemps est sympathique et l'automne mélancolique ? D'accord, il y a toujours 1000 manières de battre ces idées, 1000 nuances de rose et 1000 nuances de bleus, 1000 nuances de rouge passion et 1000 nuances de gris cimetière. Rien de nouveau sous les cieux. Nous sommes condamnés à ressasser les mêmes clichés, à passer par les mêmes endroits, à ressentir les mêmes douleurs. Mais nous sommes toujours un autre.
La notion de liberté nous est précieuse. Pourtant nous sommes tout sauf libres. Perpétuellement enchaînés à la roue du temps, perpétuellement dépendants des opinions des autres, perpétuellement craintifs du ciel qui peut nous tomber sur la tête, perpétuellement à la recherche de sensations ouatées et fortes pour nous sentir vivants, aimés ou haïs. Qui nous verse le solde mensuel ? Qui inculque en nous le sens du vivant ? Nous travaillons toujours en pensant demain, et toujours le passé nous irrigue de son bagage.
Le repos et le temps sont les plus beaux trésors que tu puisses avoir en un instant donné. Le repos de l’âme, le repos du corps,  une sensation de tranquillité : le manque d'ambition et l’esprit pacificateur font que contempler une rose te procure le plus grand bien, mais tu ne sais pas l'exprimer clairement. Tu n'en as même pas envie. Pour une fois, tu n'as pas envie de faire un poème, ni de photographier la route, tu as juste envie d’épeler le nom de la rose. Puis de simplement caresser ses pétales.
Répète après moi : R - O – S – E.
Rose.
Il y a un autre petit plaisir que je confesse volontiers, c’est celui d'être assis à une terrasse de café, de préférence au printemps ou en été ou même en automne. À un endroit où la foule ne cesse de couler, avec ses jeunes et ses vieux, ses hommes et ses femmes, ses Poucets et ses poussettes, ses riches et ses pauvres, ses gueux laïcs et ses mantes religieuses, ses gens de toutes les couleurs et de toutes les senteurs. Et toi, tu es là, et tu ne fais rien d'autre que de regarder les gens passer. Tu es là pour de vrai, tu n'as pas sorti ton téléphone portable, tu n'as pas dégainé ta caméra, tu n'as même pas ton petit calepin pour te faire un câlin. Tu te contentes de regarder, de respirer.
Soudain, tu te rends compte que ton esprit fonctionne, tu te rends compte d'un monde intérieur dans ta tête, qui palpite à son rythme tranquille, un monde en relief, avec ses hauts et ses bas, ses monts et vallées. Un monde léger et frétillant qui s’abreuve délicatement à la source de la foule qui coule. Un monde sensible à l’intérieur de ton toi, et tu t'en rends compte soudain, parce que tu ne fais rien. Tu laisses les flux se faire entre l’extérieur et l’intérieur, et puis de l’intérieur vers l’extérieur.
Et TOI, tu es à la croisée des chemins, à la croisée des regards intérieurs et extérieurs, et tu saisis au vol les caravanes qui passent, les papillons qui tournoient, les vibrations suspendues. Tu ne les saisis pas dans le sens mécanique, tu en prends conscience l’espace d’un millième de seconde, et alors une sorte de porte secrète s’ouvre devant toi/ en toi. Tu ne fais de mal à aucun être, à aucun objet.
Même pas à une pierre. Parfois les pierres ont un cœur battant plus fort que certains êtres humains. Petite recommandation au passage : si tu vois quelqu'un faire du mal à une pierre, tends-lui la joue, et dis-lui prenez ma joue et laissez la pierre tranquille.
Clic clic, chaque matin le son tombe à pic. La route goudronnée indique le chemin. J'ai toujours envie de lâcher du lest, et je me dis que l'évasion ne perd rien pour attendre. Au plus tard au dernier instant du souffle de ma vie, j'entrouvrirai  la porte de secours.
Chaque lundi, je reprends le sentier de ma semaine, franchement, peinardement, j’aurais voulu dire Monday, le jour de la lune, j’aurais voulu dire segunda-feira, le jour de la deuxième foire, histoire de penser ailleurs.
Je ne veux pas paraître difficile, mais la vie est simple à crever, tu veux ou tu veux pas, si tu veux bien c'est bien, si tu veux pas eh bien tant pis, eh dis-moi la conjugaison du verbe être, préfères-tu le verbe être au verbe avoir ?
Un jour, un riche jeune homme, riche en millions et en notoriété, s’approcha du grand sage et lui dit
« je fais le bien autour de moi, je participe à des shows télévisés, à des conférences de bienveillance, tous les médias me lèchent les pieds, je fais la charité, je fais des donations, j'organise des concours, je paye mes impôts. O grand sage, stp bénis-moi et like ma page ! Que dois-je faire encore pour être vraiment exceptionnel ? »
Le sage le regarda attentivement, puis lui demanda « tu es riche, immensément riche - riche de plusieurs millions de dollars et riche de plusieurs millions de followers sur les réseaux sociaux, n’est-ce pas ? » « oui, maître, c’est vrai ». Le jeune homme riche tenait d’ailleurs dans sa main son précieux joujou sur lequel il diffusait la rencontre en livestream.
Le sage : « je te dis ceci : si tu veux être quelqu'un de vraiment exceptionnel, supprime tes comptes, sur les réseaux et dans les banques, et distribue tout ce que tu as aux pauvres. Déconnecte-toi, balance ton téléphone et redonne du sens à ta vie. Alors tu seras véritablement béni. »
A cette réponse, le jeune homme riche interrompit sa retransmission live, il scruta le ciel un instant puis s’en alla, profondément attristé.

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