Magazine Beaux Arts

Le dernier des Malassis

Publié le 25 mars 2017 par Pantalaskas @chapeau_noir

Au moment où vient de disparaître le peintre Henri Cueco (1929-2017), difficile de ne pas se laisser aller à une page de nostalgie pour laquelle je sollicite l’indulgence du lecteur.

Le dernier des Malassis

Henri Cueco en 1995

Ma rencontre avec Henri Cueco remontait au début des années soixante dix dans le cadre d’un rendez-vous avec le collectif de la Coopérative des Malassis. Ces peintres un peu bourrus, un peu rebelles se réunissant  pour travailler dans le quartier des Malassis à Bagnolet (dans l’atelier de Gérard Tisserand) s’étaient trouvé là un nom parfait pour des artistes si peu installés dans le système, si mal reconnus dans le marché de l’art.
Alors que Christian Zeimert a déjà quitté le groupe au  bout d’une année, Cueco, Fleury, Latil, Parré et Tisserand forment alors un groupe engagé politiquement avec en ligne de mire la Cinquième République et la société de leur temps, engagement qui allait produire de grands fresques collectives : «L’appartemensonge»,  «Le grand méchoui», « Onze Variations sur le Radeau de la Méduse ou la Dérive de la société » (décor pour le centre commercial de Grenoble-Échirolles, axé sur la crise de la société de consommation sur 2000 m2 en 1974-1975). Actuellement « Qui tue ? ou lʼaffaire Gabrielle Russier» est visible dans l’exposition « L’esprit Français » à La Maison rouge à Paris. La volonté d’action collective de ces peintres s’associait à celle de se manifester autant que possible dans des espaces non dédiés à l’art, hors des institutions.
Toujours à Bagnolet, j’avais eu la possibilité en 1976 de réaliser avec Henri Cueco une première investigation audiovisuelle à une époque où la vidéo mobile n’était pas encore démocratisée, où il fallait dans le petit appartement du peintre trouver la place pour installer un matériel encombrant et produire une image noir et blanc certes mais où le peintre s’exprimait sereinement dans son cadre familier.
Les peintres des Malassis devaient emprunter par la suite des itinéraires personnels variés. Lucien Fleury (1928-2004) se partagea entre l’enseignement aux Beaux-arts et sa peinture tout comme Gérard Tisserand (1934-2010) et Jean-Claude Latil (1932-2007) devenu professeur puis directeur de l’école des Beaux-arts de Nantes. Michel Parré (1938-1998)  accompagnera son ami Topor dans le groupe Panique. Henri Cueco, s’il fut lui aussi enseignant aux Beaux-arts, bénéficia d’une meilleure reconnaissance dans son œuvre personnelle après les moments turbulents de la coopérative des Malassis.

Le dernier des Malassis

« Le Grand Méchoui ou douze ans d’histoire en France » 1972 Coopérative des Malassis

Pour autant, au regard des peintres de la Figuration narrative auxquels son oeuvre s’est trouvée associée,  Henri Cueco est peut-être resté toujours « mal assis ». En effet, pour beaucoup de peintres de la Figuration narrative le recours à une objectivation photographique a donné une marque et une force particulière à leur peinture, positionnant leur travail autour d’une réflexion sur l’image, éloignant cette peinture du geste traditionnel du peintre. Henri Cuceo, pour sa part, est resté un peintre de la peinture et a poursuivi en solitaire son interrogation propre sur ce medium. Comme le montrait sa dernière rétrospective récente au musée de Gajac, Henri Cueco, au fil de ses séries, se livrait à une forme de dissection de la figuration, aboutissant à une sorte d’inventaire de formes presque à la manière d’un entomologiste. Par ailleurs, son intérêt marqué pour l’écriture a pu contribuer à singulariser son statut au regard des autres peintres. Il publie de nombreux textes parmi lesquels L’Arène de l’art , essai écrit avec P. Gaudibert en 1988, critique virulente d’un minimalisme académique et d’un art conceptuel devenus trop officiels, à son goût, en France,  Journal d’atelier , 1988-1991 ou  Le Journal d’une pomme de terre , Comment grossir sans se priver en 1997, Discours inaugural du centre national de la faute d’orthographe et du lapsus .
Dans un entretien  qu’il m’accorda dans les années quatre-vingt dix alors que l’ outil vidéo avait désormais libéré les journalistes des contraintes techniques lourdes, Cueco me confia : « Mon itinéraire ? J’ai utilisé pour m’en sortir la stratégie du rat : tout essayer inlassablement jusqu’à ce que l’on trouve la sortie . Mais sortir de quoi au juste ? »

Photo : Le grand méchoui © Musée des Beaux-Arts de Dole, cl. Jean-Loup Mathieu
Portrait  Wikipédia ( cl Claude Guibert)


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Pantalaskas 3071 partages Voir son profil
Voir son blog