Magazine Politique

En Syrie, malgré tout, un orchestre (essentiellement féminin) et quelques autres artistes…

Publié le 29 mars 2017 par Gonzo

« Ces artistes syriens en exil », « La voix des artistes syriens », « L’art de la guerre pour les artistes syriens »… Quelques exemples tirés d’une très très longue liste d’articles récemment publiés en français et qui, pour une fois, s’intéressent à la culture arabe vivante, syrienne en l’occurrence. Malheureusement, ils ne le font que dans une optique bien particulière et presque toujours sans la moindre mise en contexte. En fait, les questions culturelles sont presque toujours évoquées pour relayer le discours pour lequel les « bons Syriens », forcément rebelles, affrontent les « méchants », un régime ultra-minoritaire qui ne survit que grâce à une répression féroce. Après six années d’un tel traitement, quelques-uns des acteurs les plus directement concernés en arrivent à critiquer de tels excès : « Même les artistes syriens médiocres participent aux expositions sur la Syrie, c’est devenu une marchandise », affirme par exemple le sculpteur, aujourd’hui davantage dessinateur, Mohamed Omran, cité dans un article de Slate, dans lequel un autre artiste syrien, Boutros Maari, utilise un terme encore plus violent en parlant de « clowns » (probablement buhlawân en arabe, avec des connotations tout de même moins fortes qu’en français) : « Tout le monde, galeries et associations, en veut un dans ses activités, activités qui n’ont rien à voir avec l’art parfois ! »

Reflet d’un discours simpliste qui oppose la pureté des impeccables révolutionnaires à l’inhumanité des suppôts du régime, un artiste syrien sincère ne peut que rejoindre la lutte armée contre la dictature, tandis que tout créateur qui adopte une autre position est, forcément, complice de la répression. Evoqué à plusieurs reprises dans ces billets, Youssef Abdelké, en raison de sa célébrité sur la scène internationale et de son trajet politique, s’est ainsi trouvé au centre d’une violente polémique, à l’occasion de sa dernière exposition dans une galerie de Damas à la fin de l’année dernière. Symbole de la résistance artistique à la répression du régime syrien qu’il continue à dénoncer depuis son retour dans son pays en 2005 après un exil d’un quart de siècle, Youssef Abdelké appartient aux courants politiques qui ont critiqué, dès l’été 2011, la militarisation de la révolution syrienne (ce qui ne l’a pas empêché d’être emprisonné en juillet 2013, pour être libéré un peu plus d’un mois plus tard). Saluée par certains qui voient dans cette manifestation un témoignage de la capacité de résilience de la société syrienne (j’en avais parlé dans ce billet, voir également ici mais en arabe), l’exposition d’Abdelké a été vilipendée par d’autres qui considèrent que le fait d’organiser à Damas un tel événement (des nus féminins en plus !), dans le contexte de la chute d’Alep qui plus est, est la preuve d’une indéfendable compromission avec le régime, et même une véritable trahison par rapport à ceux qui luttent pour la révolution comme l’écrit Yassine el-Hajj Saleh (et, pour faire bonne mesure, la preuve du caractère dépassé du travail de cet artiste par rapport aux créations des véritables révolutionnaires). Des critiques auxquelles Youssef Abdelké a lui-même répondu dans une longue tribune (à laquelle répond l’intervention de Yassine el-Hajj Saleh précédemment mentionnée).

Je ne reviens pas sur Youssef Abdelké et les positions qu’il défend car j’en ai déjà abondamment parlé dans ce carnet de recherche. Mais, dans le même esprit qui m’a poussé à l’évoquer à plusieurs reprises, il me paraît utile de rappeler, une fois de plus, que d’autres voix, qui ont fait des choix comparables aux siens, existent, et qu’elles ont, aussi, leur légitimité. Face à un discours d’autant plus présent qu’il prolonge le récit politique majoritaire dans les médias français, il faut rappeler que toute la Syrie n’est pas unanimement convaincue par la trajectoire qu’a suivie la révolution syrienne à la suite des soulèvements des premiers mois. Dans le monde de la création, chez les intellectuels, comme au sein de la population syrienne plus généralement, il n’y a pas obligatoirement, d’un côté, les barbares (le régime, Daech et les rebelles qu’on y associe éventuellement) et, de l’autre, les révolutionnaires impeccables. Si l’on espère une solution pour la population de ce pays, il faut commencer – au moins pour ceux qui le peuvent, de par leur histoire personnelle – à rompre avec cette manière de présenter les choses. On doit parler des créateurs syriens en exil (éventuellement en s’interrogeant sur le fait que c’est sous ce régime, malgré tout, qu’ils se sont formés). Mais cela n’est possible que si l’on ne passe pas sous silence ceux qui méritent aussi notre attention et qui n’ont pas fait les mêmes choix. Dans l’actualité culturelle immédiate, on peut ainsi mentionner les noms de l’artiste (qu’on n’est pas obligé d’apprécier) Subhan Adam qui a décidé de rester à Damas, celui du chef d’orchestre et compositeur (d’origine irakienne) Raad Khalaf, à la tête, depuis 2006, de l’unique orchestre féminin de la région (plus de 60 instrumentistes) ou encore ceux des hommes et des femmes qui ont célébré, il y a quelques jours, la journée mondiale du théâtre, notamment en montant à Damas une pièce de Dario Fo qui s’attaque à la collusion du pouvoir politique et de la mafia.

Pour donner à voir un peu de cette création qui a fait le choix de rester en Syrie, je vous propose cette vidéo tournée en novembre 2016, de l’orchestre Mari (en référence à cette ville sur l’Euphrate du troisième millénaire avant J.-C.). Leur dernier concert, à l’opéra de Damas à l’occasion de la journée de la femme, était dédié « à celles qui sont parties et à celles qui sont restées ». Dans tous les sens, littéral et métaphorique, que peuvent prendre, en français comme en arabe, ces deux verbes…


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Gonzo 9879 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines