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Le passé entre réalité et fiction

Par Carmenrob

Je n’ai pas eu le choix de quitter la toundra lapone puisque La Montagne rouge, la suite de la trilogie d’Olivier Truc (Le dernier Lapon, Le détroit du Loup), n’est pas encore disponible en format numérique à la BANQ, ma seule source d’approvisionnement durant mon séjour en Floride. Laissant donc derrière moi les terres désolées du Nord scandinave, je me suis retrouvée dans la petite ville non moins désolée de Glenville, en Alabama. Du moins dans le regard du narrateur, Luke, professeur d’histoire, écrivain, conférencier, diplômé de la prestigieuse université de Harvard.

conversation
Malgré ces titres ronflants, Luke considère avoir raté sa vie, tant professionnelle que sentimentale. Mais j’avais lamentablement échoué, pensai-je en me détournant de cette vitrine, de ces couvertures de pionniers soigneusement empilées. J’avais écrit quelques ouvrages, dont le plus récent devait être publié dans les trois mois, mais je n’avais rien créé qui approchât de près ou de loin les livres que, dans ma jeunesse, j’avais eu l’ambition d’écrire.

Après une conférence qu’il vient de prononcer dans un musée et alors qu’il attend en vain les auditeurs à la table de vente de ses livres, une femme se présente à lui, qu’il ne reconnaît pas de prime abord. C’est Lola Faye. L’ex-maîtresse de son père. Elle va lui proposer une conversation qu’il acceptera presque à son corps défendant.

Il faut savoir que Luke, adolescent, nourrissait pour son père mépris et rancœur alors qu’il n’était qu’amour et admiration pour sa mère. Un jour,son père est assassiné par l’ex-mari de sa maîtresse, Lola Faye. Quelques jours plus tard, l’ex de Lola Faye se donnait la mort et laissait une lettre qui signait son meurtre, blanchissant tout autre suspect. Mais le grand drame de Luke n’était pas tant la disparition de son père que la situation financière désastreuse de celui-ci, laquelle mettait fin à son rêve d’entrer à Harvard. Mais est-ce bien ainsi que les choses s’étaient passées? Comment Luke a-t-il pu en fin de compte trouver l’argent pour aller à l’université? Et pourquoi n’a-t-il jamais écrit ces livres qu’il portait en lui?
Je me demandai soudaient si tous mes échecs, si le ton froidement magistral de mes cours et les sujets arides de mes livres n’étaient pas le fruit de mon incapacité à comprendre que je ne pourrais jamais raconter l’histoire d’un autre sans dévoiler la mienne, que tout livre est d’abord et avant tout une confession.

Voilà les questions que Lola Faye va soulever au cours de la dernière conversation qu’ils auront. Mais que veut de lui cette femme vieillissante, menaçante, peut-être armée, un peu timbrée, sous l’effet de médicaments?

Thomas H. Cook, dont j’avais fait la connaissance par Au lieu-dit Noir-Étang, démontre une fois de plus son son immense talent d’écrivain, sa capacité à décrire dans toute leur subtilité les comportements humains dans une langue très riche et superbement traduite.

Je trouvai curieux que Lola Faye mentionne ainsi ma mère, même si j’avais déjà remarqué la nature éminemment zigzagante de son esprit, la façon dont ses pensées filaient dans tous les sens comme des lapins dans un champ. De même, son ton et son comportement variaient d’un instant à l’autre; nerveuse au départ, elle était maintenant presque bavarde, comme si son humeur était sujette à des hauts et des bas, à de brusques sauts et virevoltes, tel un ballon emporté par des courants tumultueux mais imprévisibles?

Il a aussi le don de créer une atmosphère des plus inquiétantes par mille petits indices. Dès le départ, le lecteur n’est pas tranquille avec cette femme, son acharnement à revenir dans le détail sur les événements du passé, ses questions insistantes et lancinantes, comme celles d’un limier sur les traces d’un coupable. Enfin, c’est avec une habileté consommée que l’auteur nous livre son récit, dessinant ici et là un petit coin du tableau pour finalement nous révéler, à la toute fin, l’élément inattendu qui éclaire l’ensemble et donne au portrait sa cohérence. Impressionnant! Plaisir de lecture assuré.

Thomas H. Cook, La dernière conversation avec Lola Faye, Seuil, 2014 pour la traduction française, 260 pages


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