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Super cinéma

Par Balndorn

Super cinémaUn train déraille. Mais l’accident ne s’en tient pas là : pendant près de deux minutes, les wagons un à un s’écrasent, se percutent, explosent en un feu d’artifice de couleurs. Spectacle ahurissant au cœur de la nuit, vécu de l’intérieur par un groupe d’enfants amateurs de cinéma, et par chance enregistré par leur précieuse caméra en Super 8.  
Super 8 n’a rien d’un banal film à effets spéciaux. Pour une fois, les images de synthèse ne viennent pas en redondance à l’explosion ; elles l’outrepassent, lui donnent toute sa signification, et toute sa force. Détachées ainsi de tout pseudo-réalisme, elles matérialisent le caractère proprement fantasmatique du cinéma de l’imaginaire. Avec J.J. Abrams, jamais la synthèse n’aura autant construit et déconstruit sa propre puissance d’imagination.  

Si Abrams, grand admirateur de Spielberg, rend éminemment hommage au maître du cinéma de l’imaginaire des années 80 en multipliant les références à ses films – E.T. et Jurassic Park au premier rang –, on ne saurait pour autant réduire Super 8 à un simple pastiche. En retournant à une certaine pratique du cinéma – le film amateur à l’esthétique carton-pâte que tournent les enfants de Super 8 – tout en conservant les techniques cinématographiques des années 2010 – la synthèse tout particulièrement –, Abrams marque un écart critique vis-à-vis d’un cinéma hollywoodien où les effets spéciaux prétendent au réalisme et où le fantastique perd son aspect imaginaire. On peut penser aussi bien aux créatures trop lisses du Hobbit et de Jurassic World qu’aux explosions à tout crin des derniers Die Hard.  
Revenir sur l’héritage de Spielberg signifie pour Abrams purger le cinéma de l’imaginaire de sa finition actuellement très léchée. Les effets spéciaux de Super 8 se montrent en tant qu’effets spéciaux : outre la mise en abyme du métier de décorateur à travers le personnage de Joe, la démesure presque absurde des scènes d’explosion en révèle l’essence proprement fantasmatique, c’est-à-dire produite par une psychologie imaginative. La bataille au cœur de la ville, où les tanks et les canons se tirent dessus indépendamment des militaires, bascule dans une absurdité géniale, où le cinéma se présente en tant que pure puissance productrice d’images.
Ce retour à une conception fantasmatique du cinéma va de pair avec la mise en place d’une poéthique de l’émerveillement, telle que Spielberg la pratique dans E.T, Jurassic Park, jusqu’au Bon Gros Géant. Le fait que les héros soient des enfants y compte pour beaucoup : à travers leur regard anti-cynique, les phénomènes ne sont pas d’emblée catégorisés, mais se présentent avant tout comme des spectacles dont on tire du plaisir à les contempler. Enfants philosophes, qui s’étonnent encore à la manière d’Aristote.  
Telle semble être la mission du cinéma de l’imaginaire pour Abrams. À l’image de la Super 8 oubliée sur la scène de l’accident ferroviaire, le cinéma doit pouvoir capter une puissance en tant que puissance, une image en tant qu’image. Sans Art pour l’Art : de la contemplation minutieuse dénuée de préjugés provient la découverte de détails signifiants, comme une créature octopode marchant le long des débris du train…  
Ainsi, parce qu’ils ont vu la créature sans a priori, parce qu’ils ont contemplé la manière qu’elle a de vivre, les enfants la comprennent, alors que les adultes veulent la détruire.Sans doute un effet indirect, mais ô combien utile, du cinéma : apprendre à regarder pour apprendre à comprendre.
Super cinéma
Super 8, de J. J. Abrams, 2011
Maxime

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