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Vingt-quatre heures de la vie d’une femme. Éloge de l’adultère

Par Balndorn
Vingt-quatre heures de la vie d’une femme. Éloge de l’adultère
Vingt-quatre heures de la vie d’une femme surprend au sein de l’œuvre de Stefan Zweig. Hormis la courte introduction, racontée par un narrateur masculin, l’essentiel du récit se place sous l’autorité d’une narratrice. Qui plus est, d’âge mur.  
Qui dit changement de narration, dit changement de point de vue. Et du côté de la féminité, les valeurs bourgeoises, chancelantes chez les personnages masculins de Zweig, se trouvent mises à mal dans l’intimité des corps.

Sensations des détails
Sans parler de féminisme – car la nouvelle reste le produit d’un homme qui, aussi progressiste soit-il, reste marqué par les structures sociales de son temps et de sa classe –, Vingt-quatre heures de la vie d’une femme envisage clairement le monde d’un point de vue féminin. Le changement de personnel narratorial donne alors à voir des aspects inconnus de l’univers élégant où se meuvent les créatures de l’écrivain autrichien.  
Le fait le plus notable est l’apparition de descriptions détaillées, qui laissent toute leur place aux sensations ressenties. Non que les personnages masculins de Zweig soient sentimentalement atrophiés ; les jeunes héros de La Confusion des sentiments et du Voyage dans le passé souffrent et savent l’exprimer, mais leurs sensations restent avant tout d’ordre intellectuel (La Confusion des sentiments) ou de revanche sociale (Le Voyage dans le passé). Aucun n’a le regard aigu de la digne lady de Vingt-quatre heures, qui trouve les mots justes pour distinguer, dans l’ordre du réel le plus banal, les êtres les uns des autres.  
Ainsi de cette très belle description des mains d’un joueur, qui retiennent son attention lors d’une descente dans un casino :  
« Malgré moi, j’ai regardé avec étonnement de l’autre côté. Et là, j’ai vu – vraiment j’en eus peur ! – deux mains comme jamais encore je n’en avais vu, une droite et une gauche, tels deux animaux enroulés l’un sur l’autre en train de se mordre et qui s’étiraient et se griffaient l’un dans l’autre et l’un contre l’autre en se cabrant dans une telle tension que les phalanges craquaient avec ce son sec d’une noix qu’on casse. »

Émancipation adultère
Cette extrême sensibilité contraste avec la vie de cette veuve, qui déclare au narrateur « avoir cessé de vivre » le jour de la mort de son époux et du départ de ses fils. Au milieu d’une existence triste, sans but, sans avenir, l’irruption de ce joueur effréné provoque un choc, au sens médical du terme : le corps quasi-mort de la lady revient à la vie, et redécouvre la jouissance. Jusqu’à commettre l’irréparable pour la morale bourgeoise.  
Mais l’adultère n’a rien de répréhensible sous sa plume. Si, dans un premier temps, elle s’accuse d’infidélité envers son défunt mari et se meurt de honte à l’idée de revoir ainsi ses enfants, elle prend rapidement conscience non seulement du plaisir qu’elle a éprouvé, et qui l’a tirée de son apathie, mais également de la joie d’avoir retrouvé un rôle social, un sens à sa vie :
« L’effroyable, l’inconcevable, soudain faisait sens à mes yeux, je me réjouissais, j’étais fière à la pensée que ce jeune homme, beau et délicat, qui gisait ici tranquille et serein telle une fleur, eût sans mon dévouement été retrouvé quelque part au pied d’une falaise, fracassé, ensanglanté, le visage défoncé, sans vie, les yeux exorbités : je l’avais sauvé, il était sauvé. […] Et au milieu de cette chambre usée, malpropre, dans cet hôtel de passe infect et douteux, j’ai été saisie – vous trouverez peut-être mes mots ridicules – par un sentiment semblable à ceux qu’on éprouve dans une église : la béatitude du miracle et de la sanctification. »  
La lady fera-t-elle de l’adultère une doctrine de l’émancipation ? Hantée par son éducation, elle ne franchira pas le pas. Mais au moins rend-elle ambiguë la question de l’adultère, et soumet un autre problème aux contemporains de sa classe : une femme peut-elle continuer à vivre après la mort de son mari ?

Vingt-quatre heures de la vie d’une femme, de Stefan Zweig, 1927Maxime

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