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Jeu, set et match pour Grégory Cingal

Publié le 06 juin 2017 par Les Lettres Françaises

Jeu, set et match pour Grégory CingalAu milieu de la daube généralisée que journalistes et éditeurs nous vendent comme de la littérature, il est rafraîchissant, et rassurant, de découvrir par hasard un véritable écrivain. Je n’ai pas lu Ma nuit entre tes cils, le premier livre de Grégory Cingal, mais le Revers de mes rêves, offert par un ami qui connaît ma passion pour le tennis — en supporter, hélas ! — et surtout pour celui des années 1980 et 1990, l’ère Borg-McEnroe, l’ère Stefan Edberg, l’ère Pete Sampras, a été littéralement un bain de jouvence.

Grégory Cingal, lui, a pratiqué le tennis longtemps avant l’écriture. Et s’il ne s’y montrait aussi virtuose, on s’étonne de ne pas l’avoir vu percer au plus haut niveau français. Mais on imagine qu’il pratiquait n jeu subtil, façon Hicham Arazi, dont la mode, en France, parmi les joueurs de sa génération (celle de Fabrice Santoto, qui, avant d’être le subtil cuisinier — pour écrire comme l’Equipe — qui faisait mitonner ses adversaires, était un inlassable renvoyeur) commençait à passer.

Bref, le Revers de mes rêves est un livre rare, dans lequel une liste de joueurs de tennis trop oubliés joue le rôle que, pour Marcel Proust, jouait la madeleine de sa grand-tante et replonge le « narrateur » — et son lecteur — dans un passé pourtant pas si ancien dont on s’aperçoit qu’il a quand même près de quarante ans, et que, en terme de changement, ces quarante années-là ont compté comme un siècle. Corrado Barazzutti, Hans Gildemeister, Chip Hopper, Kent Carlsson, Vijay Amritraj, TarikBenhabiles, Balazs Taroczy, Shlomo Glickstein, Roscoe Tanner, Horacio de La Pena, Karel Novacek : une liste pareille à un mantra. En le récitant, je les revois tous, et le bandeau de Gildemeister, et les tics de Carlsson, et je me souviens que Tanner a joué une finale de Wimbledon, contre Borg.

Proust, je l’ai dit, n’est pas loin, que ce soit dans le projet ou dans le modelé de la phrase, longue, sinueuse, subtilement rythmée, nouée de méandres. Mais un Proust mâtiné de Montherlant, ou d’Aragon, pour le fouetté qui, soudain, par un mot plus bref, une expression populaire, une réflexion drôle et saugrenue, vient rompre l’hypnose dans laquelle cette prose nous plonge. Et Montherlant, et son mépris altier d’aristo, n’est pas loin lorsque Cingal, en quelques remarques lapidaires, souligne la vulgarité de Nadal arborant une montre à 700 000 euros ou allant donner un cours particulier payé à prix d’or au fils d’un petit potentat d’Asie centrale.

Grégory Cingal parle de ses 10 ans, des années 1980, de Samuel Beckett et des omelettes de sa grand-mère, des vignettes Panini. Sur les murs de sa chambre d’enfant, il avait les photos de ses idoles, et quelles plus belles idoles que les sportifs d’avant l’ère de l’argent et de la publicité ? Personnellement, j’affichais Jackie Chazalon et les filles du CUC, plutôt que Borg ou McEnroe, mais les souvenirs, tout compte fait, sont les mêmes.

Et la façon dont il parle de la tragique défaite de McEnroe en finale de Roland Garros, en 1984 (pénible après-midi, il me semble le vivre encore), comme de la marche ultime de son accession au panthéon des héros est magnifique.

Un petit reproche : il semble sous-estimer l’aspect héroïque de Pete Sampras, qui mérite mieux que d’être réduit à l’image d’un « cocker triste », traînant sa misère et ses cravates de soie au bord des courts où brillent ceux qui ont pris sa place.

Mais on lui pardonne beaucoup, parce qu’il n’a pas oublié Adriano Panatta, et que son livre est un (trop) bref et jubilatoire masterpiece.

Christophe Mercier


Le Revers de mes rêves, de Grégory Cingal

Editions Finitude, 140 pages, 15 €

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