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Vargas Llosa et la dictature

Publié le 09 juin 2017 par Les Lettres Françaises

Vargas Llosa et la dictaturePrès d’un demi-siècle après son chef d’oeuvre absolu, Conversation à La Cathédrale, et un peu moins de vingt ans après La Fête au bouc, un de ses très bons livres, Mario Vargas Llosa revient à un thème qui lui est cher : celui de la Dictature. Il retrouve aussi le Lima de La Cathédrale, mais il ne s’agit plus de la même ville, ni de la même dictature, – et le livre a un ton plus léger : les exactions du Président Fujimori et de son homme de main, « le Docteur », et les menaces d’enlèvement du Sentier Lumineux, sont la toile de fond d’une « comédie bourgeoise » qui met en scène deux couples d’amis, riches et célèbres, qui se livrent à des jeux érotiques dont on sait qu’ils ont toujours intéressé le romancier péruvien. Ce sont ainsi deux veines de son oeuvre qui se rejoignent dans ce roman gai, foisonnant de personnages inattendus (parmi lesquels « la Riquiqui », une journaliste quasiment naine, impitoyable colporteuse de ragots, particulièrement réussie) sur le fond tragique d’un Pérou en proie au chaos.

Vargas Llosa n’avait encore jamais évoqué, dans un roman, le Pérou aux mains de Fujimori, dont il fut l’adversaire malheureux lors des élections présidentielles de 1990 (et qui, depuis, condamné pour crime contre l’humanité, est enfermé dans une prison de luxe). Et c’est sans doute parce que lui-même était partie prenante dans la grande Histoire, et qu’il montre ce que le Pérou ne serait pas devenu si lui avait été élu, qu’il garde une certaine distance pudique, et use du voile de la comédie pour parler d’événements qui lui tiennent particulièrement à coeur.

Aux cinq rues, Lima, moins directement autobiographique que La Cathédrale, est cependant un roman intime, guilleret et douloureux à la fois, dans lequel, sans faire de plaidoyer pro domo, il dit sa vérité sur une époque noire dont il n’a été que spectateur et victime, alors qu’il aurait pu en occuper la première place. C’est aussi un chant d’amour à Lima, à ses lumières, à ses quartiers populaires, à sa violence et à son charme. Ce bref roman pourrait porter le titrer d’un album célèbre du plus récent (et ô combien justifié) prix Nobel de Littérature : Bringing it all Back Home.

Christophe Mercier


Mario VARGAS LLOSA Aux cinq rues, Lima 

Traduit de l’espagnol par Albert Bensoussan et Daniel Lefort 

Gallimard, 300 pages, 22 euros.

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