Magazine Humeur

Captain America

Publié le 27 juin 2008 par Jlhuss

un portrait de John McCain 

L’âne et l’éléphant  Par French Fry

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Chez les McCain, on est soldat de pères en fils. John est né sur la base militaire de Coco Solo sur le Canal de Panama, le 29 août 1936. Il est le  « P.O.W » (prisoner of war) le plus connu aux Etats-Unis, après John Rambo évidemment. Ce n’est pas caricatural de le comparer à ce héros de cinéma. Comme lui, McCain a « racheté » l’Amérique.

John McCain est un combattant valeureux, son comportement et son engagement ont été exemplaires au Vietnam. Mais, il n’est pas le GI victorieux, écraseur de viet-kong. Il est celui que la guerre a profondément blessé. La part souffrante du soldat, sa part humble. Par honneur (nous le verrons plus tard), John McCain passe cinq années dans les prisons Viet-minhs où il est à plusieurs reprises torturé. Sur son logo de campagne, une étoile orne son nom : une réminiscence de la Silver Star (la plus haute distinction militaire américaine). Son père était un grand amiral. Aujourd’hui, ses fils sont soldats, l’un des deux est en poste en Irak.

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Enfant, puis jeune homme, McCain est bagarreur. Ses camarades le surnomme « McNasty » (le teigneux). McCain s’explique: « C’est peut-être parce qu’il a toujours été évident que je suivrais cette voix que j’ai toujours été un rebelle, repoussant les limites. » Dès son entrée à l’école navale, à l’âge de 18 ans, il s’illustre par son irrévérence et rechigne face aux supérieurs. Engagé volontaire sur le porte-avions Forrestal, il participe aux opérations de bombardement du Nord Vietnam. En 1967, devant le golfe du Tonkin, une attaque vietnamienne provoque une explosion et l’aviateur McCain est criblé d’éclats d’obus. Il en faudra plus pour le démotiver. Quelques mois plus tard, en mission dans le ciel de Hanoi, son avion est abattu. Il est repêché… pour se faire lyncher par la foule qui le tire le l’eau :  un flanc et un pied transpercés par une baïonnette, une épaule réduite en miette. Super John est transporté à la prison de Hanoi où il est tout d’abord privé de soin. Très vite, on apprend qu’il est le fils d’un amiral et qu’il vaut de l’or. A l’hôpital, le médecin du camp lui prodigue des « soins »  dignes des pires tortures : réduit les fractures de son bras sans anesthésie, l’opère du genou et tranche ses ligaments par accident… McCain devient, de manière définitive, un patriote héroïque lorsqu’il refuse d’être libéré sans ses camarades. Mis à l’isolement, à partir de 1968, il subit une série de passages à tabac répétés (on lui brise plusieurs fois les bras et les dents). Après plusieurs semaines de ce traitement ignoble, il cède et signe une confession propagandiste anti-américaine. Il avoue être un criminel. C’est la facette la plus touchante et la plus humaine du personnage : il reconnaît avoir, à ce moment-là, atteint ses limites. Il est ce héros contrasté et faillible qui permet à l’Amérique de se pardonner. Il est le bon vétéran.

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Ce n’est qu’après cinq ans et demi de captivité (!) et après la signature de la paix qu’il rentre au pays. Il subsiste une photo de lui en béquille, serrant la main de Richard Nixon. C’est une Amérique déchirée qui accueille McCain en héros. Son retour, cathartique, célèbre la fin du cauchemar. Après une longue convalescence, l’éternel soldat reste dans l’armée et reprend même son métier de pilote.

Pendant cette période, John Mc Cain apprend les ficelles des médias et de la communication. Il entretient avec les journalistes une longue relation. Icône et martyre médiatique de cette sale guerre, McCain incarne la victimisation des soldats américains et vient nuancer la culpabilité vis-à-vis des vietnamiens : « ça a été dur pour

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tout le monde ». La télévision lui a consacré deux films : l’un en 1999, un documentaire  « John McCain : American Maverick », l’autre en 2005, une adaptation de son autobiographie « Faith of my Fathers ». Son degré d’aisance en communication est telle qu’il ne cache pas avoir trompé sa première femme, ce qui pour un homme politique, aux Etats-Unis, républicain de surcroît, équivaut à un suicide. Pas pour lui. Dans son livre, « Worth Fighting For » (Ça vaut la peine de se battre), il déclare : « Ce n’est pas le Vietnam mais mon égoïsme et mon immaturité qui ont causé ce divorce. La faute est entièrement mienne. » Il se remarie avec une majorette de l’Arizona, de vingt ans sa cadette, une riche héritière.

McCain entretient ce personnage à la fois « type » et multiple. Il ne veut pas être étiquetté « notable ». Comme en 2000, c’est à bord de son bus de campagne, le « Straight Talk Express » (« le bus du parler vrai ») qu’il va à la rencontre du pays. Ses difficultés financières lors des premiers mois imposent cette version old school de la campagne politique. C’est aussi une façon pour lui de ne pas apparaître comme un apparatchik, de rappeler qu’il est aussi rebelle à son propre parti. Il est vrai que McCain n’est pas un républicain tout à fait comme les autres. Il entre en politique en 1981 et se présente comme un « Reagan Republican » (aile « modérée » des conservateurs). Il est déterminé à voir en l’Amérique une nation fondamentalement juste. L’action missionnaire US que l’on pensait discréditée par la guerre d’Irak est un mythe qu’il veut vivifier. Comme Obama (sur les questions raciales), le personnage McCain est un pansement moral pour les Américains.

En 1983, il s’oppose à Reagan qui veut maintenir les Marines au Liban. Il affirme alors que la vie des soldats y est trop risquée pour un résultat nul. Cette dissidence lui vaut les applaudissements démocrates. Entre 1991 et 1993, il participe à la commission sénatoriale sur les prisonniers de guerre, au sein de laquelle il collabore avec John Kerry. Ensemble, ils militent pour un rapprochement diplomatique avec le Vietnam et la fin de l’embargo : « le temps est venu de cicatriser les blessures ». Plus important encore, en 2005, il propose le « McCain Detainee Amendment » qui interdit les traitements inhumains des prisonniers, fustigeant notamment Guantanamo. Il a l’habitude de travailler au-delà des partis (John Kerry, John Edwards et Hillary Clinton). En 1997, tandis qu’il est président de la chambre du commerce au Sénat, il s’attaque au bastion républicain de l’industrie cigaretière en proposant de financer des campagnes anti-tabac par des taxes supplémentaires sur les profits. Disons le, ces postures sont peu conformes à la ligne républicaine Les ultras du parti le détestent copieusement, car ils n’ont pas prise sur  sa forte tête.

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Mais, ce talent d’insubordination à son revers : McCain est connu pour tourner avec le vent. Ses changements d’orientation inquiètent. « Flip-flopper », comme on dit, n’a jamais vraiment cessé de passer de « droite à gauche », sans jamais l’admettre vraiment. Les démocrates, Obama en tête, ne manqueront pas de susciter ce questionnement. Ses prises de positions contradictoires risquent de semer un électorat qui cherche à sortir du brouillard idéologique. Sont-ils prêts à faire confiance à un homme aux loyautés à géométrie variable ?

En 2004, il est pressenti pour être le « ticket » (vice-président) de Kerry. Il refuse le poste affirmant qu’il est républicain et rappelant : « Je suis un conservateur : contre l’avortement, pour les avantages fiscaux aux familles, pour une défense forte… Je suis un conservateur pour l’amour du ciel ! », mais jugez plutôt :

  • Lors de la campagne de 2000, il se prononce en faveur de l’avortement , mais en 2007, il laisse entendre que l’arrêt « Roe contre Wade » (qui permet aujourd’hui aux cours de justice américaines d’autoriser l’avortement) pourrait être cassé.
  • Il s’est longtemps prononcé pour limiter les armes à feu. Pour autant, il a voté récemment contre le renouvellement de la loi restreignant le port et l’usage des armes à feu.
  • S’il s’est opposé aux réformes fiscales de Bush en 2001 et 2003, il vote pour leur extension en 2005.
  • Alors qu’il est l’homme qui a condamné les exactions américaines au nom du code de la guerre, il vote le 13 février dernier contre un projet de loi démocrate visant à interdire la pratique dite « de la baignoire » et autres tortures utilisées par les services de renseignements américains.

C’est à n’y rien comprendre. Il semble prêt à tout pour consolider sa candidature. On le sait à même de rassurer les citoyens soucieux de sécurité nationale. Il est aussi capable d’attirer la sympathie de ceux qui ne veulent plus d’une pensée étriquée qui a mené le pays à la disgrâce aux yeux de la communauté internationale et laissant 75% de sa population dans le doute. Mais, si la récession se confirme, ce qui semble être le cas, ses faiblesses dans le domaine économique et social pourraient être criantes. Sa marginalité déroutante et ses contradictions identitaires, qui sont la source même de la force de son personnage public, risquent de lui jouer des tours face à un parti démocrate maintenant tout à fait en ordre de bataille.

Dernière chose, John McCain à plus de 70 ans, Obama n’en a que 47. L’Amérique aime se rassurer, mais elle aime aussi la jeunesse qui symbolise l’élan, la conquête, le business qui tourne… Certes, Johnny affiche une santé solide qui a fait toutes ses preuves, mais il renvoie l’image d’un pays vieillissant. Face à lui, Obama a l’air d’un « bleu », dans tout ce que cela peut revêtir de positif (« Change », « Hope »…) comme de négatif (manque d’expérience présumée, peur de la guerre, trop tendre pour ce monde de brutes…). Une seule chose est sûre : John McCain à l’Amérique chevillée au corps, les médias dans la peau et n’a peur de rien. Il est aussi suffisamment imprévisible pour s’affranchir des raideurs de la société US.  Autrement dit, il reste imprévisible dans cette campagne et constitue un adversaire atypique et difficile à manier pour le jeune Obama… qui, prudent, ne manque jamais une occasion de commencer ses phrases avec « with all the respect for Sen. McCain… »

Stay tuned, la bataille de Washington ne fait que commencer !

[ lire le portrait d’Obama ]

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