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Pourquoi je fais la grève du bac

Publié le 27 juin 2008 par Mgallot

Aujourd'hui, vendredi 27 juin, premier jour des oraux de français du bac dans l'académie de Lyon, je ne me suis pas rendue dans le lycée où je suis convoquée pour interroger.

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Pourquoi cette grève pendant les examens? Je tiens à le préciser tout de suite, je ne suis pas syndiquée et c'est la première grève à laquelle je participe depuis que j'enseigne (5 ans). Si j'en suis arrivée à cette décision, lourde de conséquences au niveau moral et financier, c'est en dernier recours.

J'ai expliqué en détails lors d'une précédente note les graves problèmes d'organisation du bac de français dans l'académie de Lyon cette année: http://lemeilleurdesmondes.blogs.courrierinternational.com/archive/2008/05/16/on-acheve-bien-les-chevaux.html

En deux mots: 3 jours pour corriger 70 copies avant de commencer les oraux, ce n'est pas possible. Ou du moins, si, c'est possible, mais pas avec la qualité de travail et l'investissement qui étaient les miens les années précédentes (plusieurs lectures, correction détaillée avec de nombreuses annotations sur la copie, au cas où le candidat la réclame, pour qu'il puisse comprendre sa note, compter 20 à 30 minutes en moyenne par copie). C'est possible en parcourant une seule fois chaque copie, sans annotations, sans relecture.

Les personnes qui ont cru qu'il était acceptable d'organiser le bac ainsi témoignent d'une méconnaissance totale de la nature de notre travail et sous-estiment l'application (qui frôle le zèle) d'un certain nombre d'enseignants, dont j'ai le tort d'être.

Mais pourquoi, alors, une énième grève? Parce que nous avons été nombreux, professeurs de français, à alerter la direction des examens et concours, ainsi que nos inspecteurs, et ce dès le mois d'avril, puis à nouveau en mai, quand nous avons reçu nos convocations de jury. Cela peut paraître incroyable, mais nous n'avons jamais reçu la moindre réponse. Silence total de la part de notre hiérarchie, comme si le problème n'existait pas, comme si nous n'existions pas. Aucun dialogue possible. Le déni. Au total, à titre personnel, j'ai signé 3 courriers entre avril et mai. Lettres mortes. J'ai essayé de téléphoner mais la personne du rectorat m'a dit qu'elle était "désolée pour moi".

Pour couronner le tout, je me suis aperçue que les convocations sont très inéquitables. Certains - dont je suis - sont surconvoqués avec 70 copies et 70 candidats d'oral, et d'autres soit ne sont pas convoqués du tout, soit seulement à l'écrit ou à l'oral (quelques statistiques: dans l'académie de Lyon, sur 678 professeurs de français en lycée, 378 sont convoqués à l'écrit et à l'oral avec un nombre de copies et de candidats variable, 46 uniquement à l'écrit, 164 uniquement à l'oral, les autres nulle part). Pourquoi charger à ce point certains alors que d'autres se tournent les pouces? Cela ne peut se faire qu'au détriment de la qualité de notre travail, au préjudice des élèves. Cela contrevient au plus élémentaire bon sens.

Quand on n'est plus en mesure d'assumer nos responsabilités professionnelles, faute de réunir les conditions nécessaires, quand notre employeur nous oppose une scandaleuse indifférence, quand refuser de corriger une partie des copies nous mettrait dans notre tort (l'obligation d'obéissance hiérarchique fait partie des devoirs du fonctionnaire), alors il nous reste la grève, comme unique moyen légal pour exprimer notre désaccord.

Et c'est ainsi qu'on en arrive à cette extrêmité. Faire la grève pour pouvoir travailler. Faire la grève pour arracher de force un jour de plus pour corriger nos copies, parce que le rectorat a refusé de réorganiser le bac de français en convoquant de manière plus équitable les professeurs de l'académie. La grève comme seul espoir d'être enfin entendu. Faire la grève pour que le rectorat comprenne qu'il ne peut pas ainsi ignorer la situation problèmatique dans laquelle il met ses enseignants en leur demandant de bâcler leur travail. Faire la grève parce que j'ai de la conscience professionnelle et que je refuse de sabrer la correction du bac en faisait comme si, en jouant les hypocrites.

Et le malheureux candidat qui s'est pointé ce matin pour passer son oral? me direz-vous. Au moins est-il informé des difficultés de ses examinateurs, pas comme le malheureux candidat dont la copie d'écrit a été parcourue en 10 minutes, sans qu'il le sache, espérant naïvement, et parce qu'il a confiance en l'institution, être jugé loyalement après un examen approfondi de son travail. Et puis, pas d'inquiétude, le rectorat aura réussi à sortir de son chapeau ceux dont il soutenait mordicus qu'ils n'étaient pas convocables au bac, pour diverses raisons spécieuses et de surcroît non vérifiées sur le terrain (voir mon précédent article). Je me suis rendue ce matin au lycée Saint-Just à Lyon pour une conférence de presse, et ai croisé quelques candidats. Tout au plus certains accusaient-ils un retard dans leur horaire de passage. Rien de trop méchant. Tous se sont montrés compréhensifs quand on leur a expliqué la situation.

Le drame, dans l'éducation nationale, c'est son incapacité à motiver son personnel. Je ne sais pas s'il existe d'autres milieux

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où se concentrent autant d'aigreur, d'impression de mépris, de lassitude. Même les meilleures volontés laissent des plumes dans de tels conflits. J'ai comme l'impression que le rectorat m'a appris à mal travailler, m'a appris que mon travail n'avait pas beaucoup de valeur et que j'avais bien tort de me donner tant de mal. Le rectorat m'a prouvé que je pouvais corriger 70 copies en 3 jours et que ce n'était pas un problème, il m'a appris le mépris de moi-même et de mon travail.

Non, je ne suis pas fière d'appartenir à cette grande maison. Oui, j'aspire avant tout à la quitter au plus vite. Chaque jour davantage. (Je ne travaillerai plus qu'à mi-temps à l'éducation nationale l'an prochain.)

***

Pour information, voici la copie de la seconde lettre que j'ai rédigée et envoyée à la direction des examens et concours du rectorat de Lyon, avec copie à l'inspecteur, sous couvert du proviseur de mon lycée (lettre cosignée avec une collègue dans la même situation que moi).

Réponse de la direction des examens: néant.

Réponse de l'inspecteur: néant.

Le 19 mai 2008 

Objet : contestation des convocations au jury du baccalauréat de français 2008

Monsieur,

Nous avons reçu nos convocations de jury au baccalauréat de français, et nous souhaitons vous informer des difficultés auxquelles le calendrier imposé va nous confronter.

Nous sommes enjoints de retirer les copies de l’écrit le lundi 23 juin à partir de 15h30, et de commencer à interroger à l’oral le vendredi 27 juin. Nous ne disposons donc que de trois jours complets pour corriger jusqu’à 70 copies. Certes, le serveur académique reste ouvert jusqu’au lundi 7 juillet à 12h pour rentrer nos notes, mais les oraux se terminant le vendredi 5 juillet à 18h, ce délai ne vaut pas pour ceux d’entre nous qui sont convoqués à la fois à la correction de 70 copies et à l’interrogation orale de 70 candidats, voire plus.

En nous imposant des délais aussi serrés, vous nous placez dans l’impossibilité d’effectuer notre mission et d’exercer nos responsabilités envers les candidats au baccalauréat. Pour effectuer une correction de qualité, avec le calendrier proposé, nous ne saurions accepter plus de 30 copies et 70 candidats à l’oral (ou 70 copies et 30 candidats à l’oral).

Nous vous demandons par conséquent de revoir la répartition des candidats par correcteur-interrogateur, faute de quoi nous ne serons pas en mesure d’assurer notre tâche de jury.

Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de nos considérations distinguées.

***

J'ai écrit récemment une nouvelle sur un prof désabusé, elle est en ligne à cette adresse: http://blog.myspace.com/index.cfm?fuseaction=blog.view&friendID=341001261&blogID=405118722


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