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Juin 1868. Trois français wagnériens à Munich, le pressentiment d'un adultère et une anecdote royale

Publié le 16 juillet 2017 par Luc-Henri Roger @munichandco

Juin 1868. Trois français wagnériens à Munich, le pressentiment d'un adultère et une anecdote royale

Dans le deuxième chapitre de son Etude sur les Maîtres chanteurs de Nuremberg de Richard Wagner publiée chez Fischbacher en 1899 à Paris, Julien Tiersot évoque ces premiers wagnériens français qui firent le voyage de Munich pour assister à la première des Maîtres chanteurs (pages 12 et suivantes). On savourera le passage du dîner donné par Hans von Bülow au cours duquel Victorin Joncières pressent la relation particulière qui unit Richard Wagner à Cosima von Bülow, et celui de la générale des Maîtres à laquelle ils assistent à l'insu du Roi et pendant laquelle Jules Pasdeloup est saisi d'une furieuse envie d'éternuer.

"[...]Donc, honneur à ceux des nôtres qui, assistant pour la première fois à la représentation d'une œuvre aussi allemande que les Maîtres-Chanteurs de Nuremberg, chantée en une langue qu'ils ne comprenaient qu'imparfaitement, en pénétrèrent si vite et si bien le sens qu'ils méritèrent le beau compliment que leur adressa Wagner.

Mais d'abord, ces Français, quels étaient-ils? L'histoire a- t-elle conservé leurs noms? Assurément: l'histoire, on le sait, n'a jamais rien négligé de ce qui touche à Richard Wagnerl... Ils étaient trois qui assistaient à la première, trois habitants de Paris, trois artistes, dont un seul survit: M. Victorin Joncières, le journaliste Léon Leroy et Pasdeloup (1); en outre, un amateur de Reims dont le nom n'a pas été conservé. - M. Ed. Schuré, qui, trois ans auparavant, étudiant à l'Université de Munich, avait entendu Tristan et Yseult, revint tout exprès de Paris pour la 2e représentation des Maîtres- Chanteurs. - Et M. Saint-Saëns n'alla-t-il pas aussi à Munich dans le même but? On ne le dit guère, mais je le crois fort.

Ces premiers pèlerins du wagnérisme en Allemagne (combien n'ont-ils pas multiplié depuis lors!) furent reçus comme des spectateurs de distinction. Précisément M. Joncières vient, à l'occasion de la récente représentation de l'œuvre à Paris, d'évoquer ses souvenirs, vieux de près de trente années (2). Il était, en ce temps, plein d'une belle ardeur wagnérienne, qui s'est peut-être un peu calmée... Elève au Conservatoire en 1860, il assista aux trois concerts que Wagner donna à Paris cette année-là, et en conçut un tel enthousiasme qu'il voulut le faire partager à ses maîtres. Naïve prétention ! Il apporta la Marche des fiançailles de Lohengrin à la classe de Leborne, pour la faire admirer; mais, au lieu de l'effet qu'il s'était promis, il advint que le professeur ne trouva, dans ce morceau, que matière à critique, relevant doctement les " fausses relations " blâmant les " modulations heurtées " (3); tant et si bien que l'élève s'insurgea, qu'une discussion s'ensuivit, et qu'il sortit brusquement de la classe pour n'y plus revenir jamais! (4) Depuis lors, le jeune compositeur avait fait ses débuts au théâtre et la renommée de sa première œuvre avait franchi la frontière, car, lorsqu'il se présenta chez l'auteur des Maîtres-Chanteurs, celui-ci le salua du nom d'auteur de Sardanapale. Wagner, durant ce séjour à Munich, habitait sous le même toit que la famille Hans de Bülow. M. Joncières, d'une plume discrète, nous met clairement au fait de la situation. Invité au souper qui suivit la première représentation, il trouva "Wagner et Mme de Bülow attablés côte à côte, tous deux le teint animé et semblant partager la même joie. - Une singulière pensée, continue-t-il, me traversa l'esprit... Quelques mois plus tard, Wagner épousait la femme divorcée de Hans de Bülow. "

Nos trois Français jouirent d'une faveur plus rare que celle de contempler Richard Wagner dans son intimité : ils assistèrent à la répétition générale des Maîtres-Chanteurs, d'où tout indiscret avait été exclu.' L'on concevra le prix d'une pareille exception quand on saura que le roi de Bavière assistait à cette répétition ! Ils avaient été placés dans une loge du rez- de-chaussée, hors de la vue du souverain. Un moment, ce fut terrible: Pasdeloup fut pris d'une envie soudaine d'éternuer! Et voilà ses compagnons tirant vivement leurs mouchoirs et les aplatissant sous le nez rubicond et au travers de la barbe flavescente du trop sonore chef d'orchestre, puis ouvrant discrètement la loge et le poussant dehors, jusqu'à ce que l'accès fût passé ! Songez donc : si l'éternuement, se mêlant intempestivement aux combinaisons de l'orchestre, eût révélé la présence de quelqu'un dans la salle, c'eût été sûrement, pour les trois, le sombre trépas au fond d'une oubliette, dans quelque château gothique, au bord d'un lac vert, avec des cygnes! M. Joncières en tremble encore! (5).

(1) On sait que les Concerts Pasdeloup, cette admirable institution qui fit connaître au public français le répertoire orchestral des maîtres allemands (la Société des Concerts du Conservatoire, alors si fermée, étant mise à part), et fut, par conséquent, le point de départ de tous les progrès accomplis en France dans le domaine symphonique, furent inaugurés en 1861, l'année même des représentations de Tannhäuser à l'Opéra.

(2) Première représentalion des Maîtres-Chanleurs, etc., dans le Gaulois du 10 novembre 1897.

(3) Inutile d'ajouter qu'il n'y a pas de trace de la moindre fausse relation dans la marche de Lohengrin; et quand aux modulations heurtées... depuis ce temps nos oreilles en ont entendu bien d'autres!

(4) Revue wagnérienne de mai 1887, p. 106; reproduit d'après une interview du Gaulois du 1er avril précédent.

(5)Est-ce à cause de cette crainte rétrospective? L'anecdote de l'éternueument de Pasdeloup (un beau titre pou un leit motiv!) ne figure pas dans l'article de Mr Joncières précédemment cité. J'en tiens de lui le récit oralement.

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