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Robert McAlmon : I love Paris in the springtime

Publié le 17 juillet 2017 par Les Lettres Françaises

Robert McAlmon : I love Paris in the springtimeLa Nuit pour adresse fait revivre en Robert McAlmon, un des plus sympathiques et des plus brillants écrivains anglophones vivants à Paris dans les années 20. Le fait que sa réputation se soit par la suite estompée est caractéristique de notre histoire intellectuelle qui privilégie les auteurs à succès et relègue les autres dans une sorte de brouillard. Même habitué à ce genre d’injustice, on s’étonne, le livre refermé, de ne pas avoir eu plus tôt connaissance de l’existence de McAlmon, alors qu’en vérité, seuls sont coupables les éditeurs français sourds aux exhortations d’écrivains aussi autorisés que Joyce ou Ezra Pound qui avaient attiré l’attention sur son œuvre. En fait, c’est au cours d’un travail de recherche universitaire que Maud Simonnot a par hasard rencontré de nombreuses références à McAlmon et compris l’envergure du personnage. Elle en a donc écrit le roman, ou ce qui ressemble à un roman, en tout cas un récit qui lui rend justice.

Qui était Robert McAlmon ? A l’origine, un jeune poète américain, issu d’un milieu pauvre, plein d’idées et d’énergie, qui se trouvait très à l’étroit dans le rigorisme moral et sexuel de son pays. On imagine mal de nos jours la puissance du symbole que Paris représentait pour l’autre côté de l’Atlantique. L’aspiration à une vie moderne, librement assumée, en prise avec les mouvements d’avant-garde ne pouvait se concevoir hors de Paris et de sa frénésie de jouissance. Ce n’est donc pas sans raison que de nombreux artistes américains choisissaient de s’expatrier. McAlmon suit le mouvement et quitte lui aussi son pays après avoir rencontré Bryher, une jeune poétesse britannique qui se révèlera être la fille d’un richissime armateur, l’honorable sir John Ellerman, concurrent de Cunard. Elle est homosexuelle, lui bisexuel. Ils contractent un mariage de façade qui offre à chacun une pleine liberté, et libère McAlmon de l’obligation de gagner sa vie. Jusqu’à leur divorce, il recevra une confortable mensualité qui lui permet de mener la vie de son choix et de se lancer dans ses projets d’édition. Car, si Robert McAlmon est un poète attaché à l’avant-garde, à New York il a déjà tâté de l’édition en lançant, avec le poète William Carlos Williams, Contact Review qui se veut le soutien de la modernité littéraire.

Arrivé à Paris, il va faire encore mieux avec l’argent de Bryher, mettant sur pied sa propre maison, Contact publishing company, qu’il établit dans l’île Saint-Louis. Contact occupera une place centrale dans la création littéraire des écrivains anglophones de Paris, ceux que Gertrude Stein baptisera génération perdue, et son influence se fera entendre aux USA comme en Angleterre. Très vite, McAlmon se fait intercesseur et mécène, un peu à la manière de Larbaud, se dévouant sans compter à ses auteurs qui deviennent aussi ses amis, les publiant à perte s’il le faut. Ses auteurs sont souvent des écrivains qui tournent autour de Sylvia Beach et de Gertrude Stein, ou d’autres qu’il rencontre dans les péripéties alcoolisées de sa vie nocturne. L’alcool est son boulet. Cet être terriblement concret et lucide n’a jamais pu envisager l’existence sans l’éthylisme. Quelle faille en lui cherchait-il à sonder ? Quelle souffrance inavouée à fuir ? Quelle nuit réparatrice où se réfugier ? La Nuit pour adresse le restitue tel qu’il devait être, mince, élégant, suprêmement spirituel, attentif aux autres, une turquoise à l’oreille, offrant soir après soir tournée sur tournée jusqu’au désastre final.

Les Editions Contact resteront de taille artisanale, la seule qui convienne aux choix éditoriaux de McAlmon. Elles ne vivent que grâce à ses capacités de travail qui sont exceptionnelles et, financièrement, grâce aux mensualités de Bryher. McAlmon y fait une place de choix aux femmes lesbiennes, y publie certains de ses propres livres (Post adolescence, Village, Distinguished Air…) qui possèdent une tonalité homosexuelle qu’on retrouvera quelques années plus tard chez Isherwood. Cette dimension fera longtemps obstacle à ce qu’il soit pris chez les grands éditeurs qui n’osent pas affronter la bien-pensance. C’est lui qui lance Hemingway, qui publie Mina Loy (l’épouse d’Arthur Cravan), le grand livre de Gertrude Stein (Making the Americans), William Carlos William, Emanuel Carnevali, Ford Madox Ford, Joyce, Norman Douglas et bien d’autres. Ses choix éditoriaux montrent qu’il n’a pas été influencé par le grand remue-ménage provoqué par le dadaïsme et le surréalisme. Aux théories, il préfère le concret de la vie, qu’elle soit sociale ou individuelle. Une phrase sur Brancusi résume son orientation : « Quand Brancusi sculpte en tendant vers la Beauté absolue, il est contact. »

On le trouve à l’origine de la carrière d’Hemingway qu’il a soutenu, sans en être plus tard payé de retour. Il arrive que l’amitié s’évapore parce que celui qui a aidé est devenu un obstacle… McAlmon a également été l’ami et l’éditeur de Joyce, lisant ses manuscrits, dactylographiant divers chapitres d’Ulysse que Joyce ne cessait compulsivement de réécrire, organisant une souscription pour que le livre soit publié. Joyce est aussi celui avec qui il a bu d’invraisemblables quantités d’alcool. Quand la gloire arriva pour Joyce, elle ne modifia pas leurs positions respectives, McAlmon restant identique à lui-même, circonspect envers cette gloire qu’il avait lui-même contribué à faire venir, incapable de jouer aux adulateurs. Il savait aussi qu’il avait été sous la gouverne intéressée de Joyce, et déjà, au fond de lui, il acceptait son propre effacement.

Le récit de Maud Simonnot est fort brillant dans la restitution de ces années de fête qui se briseront sur la crise de 1929, mais il n’est jamais aussi subtilement poignant que dans l’évocation du versant douloureux de cette vie dans laquelle se perçoivent quelques accents aragoniens. Sous le bruissement de la fête se fait entendre une souffrance qui trouve son origine dans l’incompréhension et l’ingratitude dont sa générosité est payée. McAlmon savait qu’il en serait ainsi et l’assume avec cette distinction qui est sa marque. Il restera celui qui aura le plus donné, acceptant d’avance une sorte d’échange inégal qui le place perdant dans la course à la notoriété mais lui ouvre l’avenir. C’est sans doute cet aspect de La Nuit pour adresse qui nous rend Robert McAlmon si proche, si contemporain. Il reste son œuvre que ce beau récit invite à découvrir.

François Eychart


Maud Simonnot, La Nuit pour adresse 

Gallimard, 260 pages, 20 euros.

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