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Paris, dans l’ombre des Lumières

Publié le 18 juillet 2017 par Les Lettres Françaises

Paris, dans l’ombre des LumièresL’historienne Arlette Farge, spécialiste des archives de police au XVIIIe siècle, publie un ouvrage aussi savant qu’attractif concernant le mode de vie du petit peuple de Paris entre la Régence et la Révolution. Une sorte d’envers du décor à l’ombre des Lumières que les élites intellectuelles de l’époque et beaucoup de philosophes ont bien souvent renoncé à peindre ou choisi d’occulter.

La Seine coupe en deux la ville, séparant des quartiers malsains comme ceux de la Cité, d’autres où l’air est plus pur comme dans le faubourg Saint-Jacques. Mais il faut noter qu’au XVIIIe siècle Paris est une sorte de « campagne urbaine » où l’on cultive le blé et où pousse la vigne. Ainsi les nombreux travailleurs journaliers qui la peuplent peuvent selon les saisons pratiquer la cueillette des haricots verts ou travailler à l’atelier. La Seine, propre ou fétide selon les endroits, est à la fois un lieu de loisirs et de divertissement et le théâtre celui ld’une frénétique activité économique. La ville résonne d’une débauche de bruits et de sons. On parle sans cesse, puisque l’on vit dans la rue. La vingtaine de ports que l’on compte alors à Paris, où l’on décharge du matin au soir bois, blé, légumes ou vin, provoque une extraordinaire agitation, entraînant son lot de rivalités et de rixes. Les chutes et les noyades étant bien sûr très fréquentes.

Les animaux sont pléthore à Paris et traversent continûment l’espace urbain. Chevaux, vaches, moutons et porcs bien sûr, mais aussi chiens innombrables, souvent errants et agressifs. À la nuit tombée dévalent des toits les chats sauvages qui se précipitent sur les rats répandus par milliers dans les rues en quête de nourriture. Mais le peuple socialise avec les espèces animales et se sent responsable de ses souffrances. « Comment ne pas affirmer, écrit Arlette Farge, que l’animal-être vivant est un « peuple de la rue » interrogeant l’humain des Lumières ».

Ville-mirage, Paris attire un grand nombre de provinciaux qui n’ayant plus d’ouvrage chez eux viennent chercher de quoi subsister. Les patois sont parlés dans toute la ville, ce qui complique le travail de la police, d’autant que la plupart de ces « migrants » ne savent pas écrire. Il existe donc une véritable polyphonie parisienne. Mais cet exode rural inquiète les autorités et occasionne des situations complexes. Ainsi, beaucoup de femmes venues sans leur époux à Paris, où les logements sont très chers, doivent trouver un partenaire pour subsister. Ce concubinage entraîne la formation de couples mal appareillés, des séparations fréquentes et accroît le taux des naissances illégitimes.

Comme les logements des immeubles n’ont pas de cuisine, on se nourrit dans la rue. Les maîtres rôtisseurs et les boutiquières pullulent. Les plus pauvres achètent leur pitance au détail chez les revendeurs de restes, les fameux « regrattiers ». Nourriture souvent à la limite du pourrissement. Les tavernes sont des lieux où se côtoie la population ouvrière du matin au soir. Le vin et l’eau-de-vie y coulent à flots, entraînant souvent moqueries, disputes et violence extrême. Le jeu et la prostitution y règnent, c’est là que profitant de leur ivresse on recrute souvent de force des soldats.

Arlette Farge nous décrit aussi longuement la vie quotidienne des artisans, des boutiquiers et des ouvriers. Les querelles fréquentes entre le maître et les compagnons, la vie miséreuse des apprentis. Des grèves ont parfois lieu, que craignent les policiers souvent débordés. Les ouvriers cherchent incessamment à s’informer par toutes sortes de moyens: affiches, libelles, gazettes, nouvelles à la main. Des rumeurs enflent, puis se dégonflent.

Mais le peuple de Paris est également friand de divertissements en tous genres. Il partage le goût des grands pour le théâtre, mais surtout à l’occasion des foires ou sur les boulevards. Il idolâtre les comédiens qui doivent posséder une prestance « magnifique ». Beaucoup de spectacles se déroulent dans les rues et sur les ponts où des jeunes filles improvisent des rondes et des saynètes, où officient des montreurs d’ours et des ventriloques. En 1741, le feu d’artifice offert par le roi pour la Saint-Louis obtient un immense succès populaire.

Un demi-siècle plus tard, c’est à une autre fête que participera le peuple de Paris, jetant cul par-dessus tête un régime qui l’opprimait depuis des lustres, aux accents de la Marseillaise et en dansant la Carmagnole.

Jean-Claude Hauc


Arlette Farge, Paris au siècle des Lumières
Le Robert, 240 pages, 12,90 euros.

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