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L'enfumeur

Par Pseudo

emmanuel macron,président de la république,chef des armées,pierre de villiers,chef d'état-major des armées,budget militaire,florence parly,commandementOn le sentait... à un je-ne-sais-quoi. Il y avait ce sentiment réservé, cette retenue qui nous venait du plus profond de nous-même, et qu'on parvenait mal à chasser devant ce spectacle pourtant si bien réglé.

Les gestes millimétrés, les pas, les sons orchestrés, les décors, les symboles... tout paraissait si opportun, si bien préparé, calculé, appris. Et pourtant, demeurait cette impression vague de chorégraphie trop étudiée, trop «interprétée», sur des images d'Epinal trop brillantes, ou trop attendues. Derrière cette rampe de lumières, c'est le canevas d'une méthode mathématique qui semblait transparaître, avec sa conclusion impeccablement amenée, en bas de copie – CQFD : le command-car du premier jour, la visite aux soldats blessés, à Percy ; le Louvre ; le déplacement sans attendre auprès des troupes de Barkhane au Mali ; le Congrès convoqué à Versailles ; Versailles encore pour accueillir Poutine, les Invalides pour Trump... Que de régalien ! D'olympien même !

«Ah, un sans-faute jusque là !», disait Benêt, ébloui. Oui... C'est vrai qu'après les dix années passées, plus particulièrement les cinq dernières, on aurait eu mauvaise grâce à bouder notre plaisir : enfin un peu de dignité, de solennité, de hauteur, et même d'élégance à la tête de l'Etat. Enfin une incarnation du pays qui ne nous fasse pas honte, devant le monde entier... Avec même quelques rayons de soleil !

Bien sûr, il y avait eu ces interrogations, durant la campagne : notre ébahissement rigolard devant la brusque excitation du candidat, ses cris hystériques, égosillés jusqu'au ridicule sur un timbre de fausset – pour mieux surjouer Bonaparte à Arcole ? – au micro de ces meetings, surréalistes autant que verrouillés ; notre ironie au spectacle de ces assistances hystérisées par leur star ; notre inquiétude aussi sur l'état mental de beaucoup de ces «marcheurs» hypnotisés par le gourou.

Il y avait eu encore ces paroles bien malheureuses sur l' «absence» d'une culture française, ce qui augurait sacrément mal de l'intimité de l'impétrant avec ce vieux pays, capable d'avoir donné le ton en Europe – et au-delà – pendant bien des périodes. Quel accord le jeune Emmanuel saurait-il nouer avec cette nation pour qu'elle tienne sa place dans le vaste monde s'il ne lui reconnaissait ni âme ni chair singulières ? Qu'on était loin de Charles De Gaulle et de son entêtante «idée de la France» ! Ou même de François Mitterrand, s'il faut des références de l'autre bord...

Il y avait eu surtout ces autres paroles portées contre la France – à partir du territoire algérien ! –, sur la prétendue «criminalité» du fait colonial en Afrique du Nord. Jamais encore un candidat à la fonction suprême n'avait, en déplacement à l'étranger, attaqué ainsi la réputation de son pays, devant un parterre n'en croyant pas ses oreilles, pâmé d'ouïr telle contrition. Ah ! qu'on était loin de la rude «fierté de soi» britannique – ça peut s'appeler le sentiment de l'honneur, en français courant – et de son patriotique «Right or wrong, my country !»

Qu'on était loin, plus encore, des inflexibles mœurs américaines : de telles incongruités énoncées par un candidat à la Maison Blanche l'auraient définitivement balayé de la compétition, et sous le plus beau des scandales !

Mais la victoire stimulant l'adhésion, on n'avait pas envie de briser l'espoir de revitaliser enfin ce pays devenu trop las de lui-même, et si piteusement gouverné depuis dix ans. Les «maladresses», il n'y aurait qu'à les mettre sur le compte de la jeunesse...

Concernant les armées plus particulièrement, quelques vieux briscards pouvaient quand même alerter contre l'excès d'enthousiasme de certains : toutes ces démonstrations à l'adresse du monde militaire, cet empressement à vêtir l'habit de «chef des armées», et, simultanément, cet engagement à accroître le budget de la Défense (hors pensions et opérations extérieures) jusqu'à lui faire atteindre 2 % du PIB, tout cela paraissait un peu trop beau pour être tenu...

Et ça n'a pas manqué !

Au premier arbitrage budgétaire, à peine plus de deux mois après son installation et sa magnifique performance de théâtre aux armées, Emmanuel Macron présente la facture aux éternels gogos en uniforme : 850 millions d'euros supplémentaires à économiser sur le budget voté pour 2017, ce qui représente, et de très loin, la plus grosse des contributions ministérielles – cela s'ajoutant, ne surtout pas l'omettre, aux 2,7 milliards déjà «gelés», sur le budget initial 2017. Pour un département déjà sous tension évidente dont on accroît chaque année le volume des missions – et par les temps qui courent –, c'est plutôt bien trouvé...

La perche était énorme en fait. Et seule la naïveté supposée de la haute hiérarchie militaire aurait permis de gober que le président saurait résoudre cette quadrature du cercle : économiser dès cette année 4,5 milliards d'euros, tout en tenant ses promesses de campagne, notamment vis-à-vis de la Défense. Non seulement, bien sûr, ces engagements en ce qui concerne les armées et la Défense ne seront pas tenus, mais ces pauvres militaires se paieront même le luxe – si l'on ose dire – d'être la mule la plus chargée.

Emmanuel Macron s'est certainement dit que ces citoyens-là, qu'il doit voir en réalité comme des extraterrestres dont il suffit de singer les mimiques et les caricatures pour se les mettre dans la poche ou au garde-à-vous, se trouveront si impressionnés par son art et son autorité, qu'ils se laisseront «baiser», le petit doigt sur la couture du pantalon baissé. On peut comprendre la colère du chef d'état-major des armées, qui ne s'était pas forcément laissé éblouir par la poudre de perlimpinpin jetée en l'air.

On peut d'autant mieux la comprendre qu'il savait ne pas devoir compter sur l'appui de sa ministre, personne certainement compétente dans sa partie, et de bonne volonté, mais pure «technicienne», sans poids politique, sans expérience du domaine concerné, contrairement à Jean-Yves Le Drian, donc entièrement dans la main du président.

On peut surtout comprendre son exaspération d'avoir été traité comme un valet impertinent, devant ses propres subordonnés – ce qui est l'erreur de commandement la plus rédhibitoire, même les sous-lieutenants «faméliques et nuls» le savent –, alors qu'il n'avait fait que répondre à la représentation nationale, ce qui est parfaitement dans son rôle.

M. le président de la République a l'art du théâtre en lui – malgré sa tendance évidente à surjouer. Mais il a bien peu celui de commander. Il ne se sera pas fait que des amis dans ce milieu... C'était pourtant bien parti. Comme quoi l'art d'enfumer nécessite plus d'expérience qu'on ne pourrait le croire.

(Illustration : Patryck de Froidmont, «S'enfumer sans fumer», www.defroidmont.com)


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