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Par Julien Leray @Hallu_Cine

L’animation japonaise n’a pas son pareil pour oser mélanger rêves et réalité. Le plus abouti ? Sans conteste Paprika du regretté Satoshi Kon. Une merveille onirique et philosophique (pas encore suffisamment reconnue) sur la conscience de l’être au sein des multiples strates de réalité qu’il est amené à traverser, et les conséquences que peuvent avoir les évènements vécus dans les limbes sur le tangible et le réel.

Sans aller aussi loin que ce dernier, sans même chercher à boxer dans la même catégorie, Napping Princess (Hirune Hime, Rêves Éveillés en français), sélectionné en Compétition Officielle lors du dernier Festival du film d’animation d’Annecy, a pourtant choisi de se frotter au même parti-pris. Laissant la métaphysique aux bons soins, entre autres, de Mamoru Oshii, pour embrasser des questionnements ayant davantage trait à la sociologie, eu égard à l’impact des nouvelles technologies sur nos modes de vie.

On ne sera guère étonné de constater que Kenji Kamiyama, loin de partir d’une feuille blanche, a ainsi longtemps travaillé au sein de Production I.G, le studio ayant produit les Ghost In the Shell d’Oshii, la série animée qu’il a lui-même réalisée, sans compter d’autres classiques de la japanime tels que Jin-Roh ou Patlabor.

Toutes des œuvres au sein desquelles la science-fiction, l’innovation technique, la robotique sont aux sources mêmes des thématiques.

Le regard vers l’avenir, un pied, lui, vers le passé, Kenji Kamiyama a choisi pour Napping Princess de faire le lit de son récit sur une industrie symptomatique d’une certaine apathie, voire d’une inertie technologique sur l’autel du financier et du calcul politique : l’automobile, et ses fondements archaïques.

Un secteur à l’économie, renvoyant encore maintenant l’image d’une industrie s’étant longuement reposée sur ses acquis.

Primauté des énergies fossiles, moteurs à explosion, mensonges quant à leur niveau de pollution, l’industrie automobile, en dépit de développements de pointe, rime bien souvent, encore maintenant, avec archaïsme.

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Un paradoxe dont Napping Princess se fait l’écho, où l’élan de modernité incarné par un système de pilotage automatique développé par le père de Kokone, l’héroïne espiègle et déterminée du film, se heurte autant à l’immobilisme des uns qu’à l’opportunisme égoïste des autres.

Une réalité industrielle « d’adulte » vue à travers les yeux d’une enfant. Ou d’une adolescente, en fonction des événements.

C’est d’ailleurs précisément là que la multiplicité des réalités va prendre toute son ampleur et trouver son utilité. Car ce qu’il convient de garder à l’esprit, par sa candeur et son côté « choupi », c’est que Napping Princess s’adresse en premier lieu (même si pas que) aux petits.

– Ce qui peut d’ailleurs expliquer (sans pour autant cautionner) l’emphase (trop) importante mise sur les explications verbales de ce qui peut se passer à l’écran, là où la mise en scène parle d’elle-même pour les plus grands. –

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Or loin d’être gratuite et purement stylistique, la gestion de deux réalités, celle des rêves et celle de la vie matérielle, permet alors de synthétiser, lorsqu’elles viennent s’entrecroiser, la vision toute enfantine du drame frappant Kokone (l’arrestation de son père pour vol de propriété intellectuelle), et celle plus mature que ce dernier implique à l’échelle de la société (le devenir d’un fleuron de l’industrie, et l’impact que pourrait avoir le système de pilotage automatique au sein de la population).

Une astuce scénaristique habilement intégrée au récit, en faisant de Kokone une accro à la sieste patentée. « Tu dors tout le temps ! » lui lancent ses camarades de classe et ses amis. Bien lui en a pris : ses immiscions dans le royaume des limbes vont offrir à Kenji Kamiyama l’occasion de se lâcher, et de se faire plaisir !

L’irruption des rêves dans la réalité de Kokone permet ainsi à ce dernier de mettre, entre autres, en scène des envolées majestueuses à bord d’un side-car, des combats de méchas contre des kaijūs (rappelant au passage à quel point Pacific Rim s’était montré très fidèle de ce point de vue), des éclatements narratifs décomposés puis recomposés toujours dans un souci de fluidité.

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En somme, Kamiyama n’hésite pas à en mettre plein la vue, et convoquer l’imagerie typique des animés et du steampunk japonais. On pense à Lindblum de Final Fantasy 9 pour la représentation d’Heartland. À Patlabor, bien sûr, pour les superbes méchas. À Steamboy de Katsuhiro Ōtomo pour les courses-poursuites en moto… En bref, une synthèse élégante, dynamique, et soignée de tout ce dont les fans d’animation japonaise ont pu rêver. À quelques rares effets 3D un brin ratés près.

Sans se montrer aussi virtuose qu’un Mamoru Hosoda (Le Garçon et la Bête) dans l’utilisation et l’épique de l’action, Kamiyama n’en exploite pas moins son concept jusqu’au bout, cohérent et maîtrisé formellement, et d’un point de vue narratif tout à fait satisfaisant.

Pourtant, la vraie belle réussite de Napping Princess est surtout à mettre au crédit de son personnage principal. Cette fameuse Kokone à la très forte personnalité. C’est une tendance que l’on a pu observer depuis quelques temps, et que quelques exemples récents sont venus entériner, à savoir d’assister à l’affirmation de personnages féminins, jeunes filles comme femmes plus âgées, complexes et solidement travaillés, loin des lieux communs usités.

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Des héroïnes n’ayant pas besoin d’être sauvées, au contraire motrice de leur destinée. Et décisive par ailleurs dans celle des autres. Dans Napping Princess, c’est bien son père (et non l’inverse) que Kokone devra sauver. Dans le même ordre d’idée, le système de pilotage automatique sera bien l’œuvre (attention – relatif – spoiler) de la défunte mère de cette dernière, bien que finalisé par son père. Et lorsque d’autres personnages (tous masculins) chercheront à lui dicter la conduite qu’elle doit adopter, elle mettra un point d’honneur à ne tout simplement pas les écouter.

En résulte une fraîcheur et un vent de liberté appréciable et finalement inespéré, tant Kokone tranche avec le cliché de la jeune fille que l’on peut notamment retrouver dans les shōjos… mais aussi dans nombre de dessins animés occidentaux !

Une personnalité à laquelle on ne peut qu’adhérer, parfait catalyseur par ailleurs de questionnements sociaux que Kenji Kamiyama s’est aussi permis d’aborder. Une autre constante du cinéma japonais de ces derniers mois, voire de ces dernières années : outre le retour en force de la ruralité face aux affres de l’urbanité, l’évocation sans fards de la monoparentalité, parfois consécutive au décès d’un parent, accidenté, malade ou suicidé.

Bien cachée aux yeux des plus jeunes derrière l’enthousiasme et la joie de vivre de Kokone, la question pour les adultes n’en reste pas moins bel et bien posée.

Tout comme celles de l’entraide et de l’amitié, défendus comme vecteurs d’accomplissement et d’espoirs pouvant dès lors être concrétisés.

Kenji Kamiyama, ambitieux et exigeant, s’est ainsi offert le luxe de réaliser un long-métrage d’animation dense et pertinent, ludique et visuellement saisissant. Pas mal du tout, vous en conviendrez, pour un film soit-disant pour enfants !

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Film vu dans le cadre du Festival Fantasia 2017.


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