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[Critique] L’HOMME QUI RÉTRÉCIT

Par Onrembobine @OnRembobinefr

[Critique] L’HOMME QUI RÉTRÉCIT

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Titre original : The Incredible Shrinking Man

Note:

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Origine : États-Unis
Réalisateur : Jack Arnold
Distribution : Grant Williams, Randy Stuart, April Kent, Paul Langton, Raymond Bailey, William Schallert…
Genre : Fantastique/Adaptation
Date de sortie : 17 Mai 1957

Le Pitch :
Après avoir été exposé à une étrange nappe de brouillard lors d’une escapade nautique, un homme constate avec effroi qu’il commence à rétrécir. Attisant la curiosité des médecins et des médias, il doit également affronter les désagréments du quotidien… Atteignant une taille lilliputienne, il se trouve emprisonné par mégarde dans sa propre cave. Devenu vulnérable totalement vulnérable, il va devoir affronter des dangers insoupçonnés dans un environnement aussi familier que soudainement hostile…

La Critique de L’Homme qui rétrécit :

L’Homme qui rétrécit est un classique de la S.F. des années 50 pour les cinéphiles un tant soit peu avertis, mais passant immanquablement pour un film agréablement rétro au mieux, ringard au pire, pour une large fange du grand-public pensant que le cinéma a commencé en 1977 avec la sortie de Star Wars.
Le cinéma de genre (S.F., le fantastique ou l’horreur) est une éponge. Les peurs et les psychoses sociétales l’inspirent toujours et on peut aisément en retracer l’évolution au fil des décennies. Dans les années 50, les USA nourrissaient une inquiétude croissante face aux dangers du nucléaire: non seulement Hiroshima avait démontré la puissance dévastatrice de la bombe à hydrogène, mais la Guerre Froide et la course à l’armement entretenaient cette peur, le nucléaire induisant également les séquelles non-identifiées d’une exposition à ses rayons pour l’être humain. C’est ainsi que le cinéma d’anticipation offrit nombre de divertissements cathartiques mettant en scène des insectes géants dont la mutation étaient souvent ouvertement causées par des accidents industriels ou des expérimentations militaires secrètes.
Pour autant, L’Homme qui rétrécit se démarque du tout-venant de la série B de l’époque car au-delà de la dégénérescence physique, le film ajoute une dimension sociologique en abordant la question de la place de l’Homme au sein de la société, et du foyer plus précisément. Avec ce mélange de fantastique au premier degré et de satire sociale, on ne sera pas étonné d’apprendre qu’il s’agit d’un des films de chevet de Joe Dante qui, l’inclut d’ailleurs dans sa sélection personnelle lors de son passage à la Cinémathèque Française en mars dernier.

[Critique] L’HOMME QUI RÉTRÉCIT

La tête et les jambes

Universal, firme productrice du film, ne voyait dans le projet qu’une série B pour alimenter les double-programmes et les drive-in. D’ou un budget limité à 750.000 dollars, l’emploi d’acteurs inconnus (Grant Williams et Randy Stuart ayant principalement œuvré pour le petit écran) et un tournage en noir&blanc plus économique que le prestigieux Technicolor. Et si il faut néanmoins saluer la sophistication d’effets spéciaux recourant à la fois à la construction de décors et d’accessoires surdimensionnés ainsi qu’à des transparences et double-exposition du plus bel effet, la réussite de L’Homme qui rétrécit tient en fait entièrement au talent de ses deux créateurs : le réalisateur Jack Arnold et le scénariste Richard Matheson.

Jack Arnold – l’oublié

Au cours de sa carrière, Jack Arnold, comme tous les réalisateurs sous contrat de studio (Universal en l’occurence), a touché à tous les genres. Mais les titres qu’il réalisa dans les années 50 synthétisent à merveille les obsessions de la période, à savoir les manipulations et aberrations scientifiques et leur utilisation militaire par l’ennemi (russe, mais pas que) : cette peur/paranoia irrigue les scénarios de Le Météore de la Nuit (It came from Outer Space – 1953), Tarantula (id. – 1955), Le Monstre des abîmes (Monster on the Campus – 1958) et, dans une moindre mesure – ce qui restera le film le plus connu de sa filmographie – La Créature du Lac Noir (Creature from the Black Lagoon – 1954) et sa première suite. Dans tous ses titres, un scientifique tient un rôle, certes secondaire en termes de temps de présence, mais bel et bien pivot dans l’intrigue. Systématiquement, un homme en blouse blanche intervient pour exposer la nature du danger qui menace le héros, usant le plus souvent de boniments qu’un enfant de 6 ans pourrait contester mais qu’importe, car cette naïveté fait partie du contrat tacite établi entre le spectateur et ce genre de films. Joe Dante, encore lui, utilisera à plusieurs reprises la figure du scientifique pédagogue ; dans Gremlins (1 et 2) bien sur mais surtout dans Mant!, le brillant film-dans-le-film de Panic à Florida Beach (Matinee – 1992), son plus bel hommage au cinéma de son enfance.
Jack Arnold aurait pu devenir un grand, mais sa carrière ne se remettra pas de l’insuccès de La souris qui rugissait (The Mouse that roared – 1959), une satire politique trop en avance sur son temps qui annonçait pourtant Docteur Folamour de Stanley Kubrick ou 1941 de Steven Spielberg. A partir des années 60, Arnold réalisa pas mal d’épisodes de séries télévisées et signera pour le cinéma des œuvres de commande avec des incartades dans le western, le film noir, et même la blaxploitation et la comédie un brin coquine dans les années 70, réalisant dans l’indifférence générale son ultime film de SF en 1969 : Hello Down There (inédit en France) décrivant la vie d’une famille dans un prototype de sous-marin. Cette seconde partie de carrière alimentaire a certainement dilué l’impact des films de Jack Arnold sur la S.F. et le cinéma de la période en général ; une absence de reconnaissance ‘officielle’ dont ne souffrira pas le scénariste de L’Homme qui rétrécit, Richard Matheson.

Richard Matheson – le consacré

Richard Matheson (qui nous a quittés en 2013) est un des grands noms du Fantastique de ces cinq dernières décennies. Auteurs de nombreux romans et nouvelles portés au cinéma (Je suis une Légende de Francis Lawrence, Le Survivant de Boris Sagal, The Box de Richard Kelly, Real Steel de Shawn Levy pour n’en citer qu’une poignée), sa notoriété doit également beaucoup à ses adaptations de Edgar Allan Poe pour la « trilogie » réalisée par Roger Corman (La Chute de la Maison Usher, La Chambre des Tortures et Le Corbeau) dans les années 60, mais aussi et surtout à son travail sur La Quatrième Dimension, la série culte de Rod Sterling. Et puis, bien sur, il signa Duel, le premier film de Steven Spielberg (critique à lire ICI) qui, douze ans après L’Homme qui rétrécit, en reprenait néanmoins ses questionnements sur la place de l’Homme moderne dans la société américaine. L’œuvre de Matheson fit la part belle à l’étrange en confrontant des individus ordinaires confrontés à des situations extraordinaires et, en apparence, arbitraires. Car ce qui intéresse Matheson, c’est plus le sous-texte philosophique ou existentialiste que le sensationnalisme. Dans Duel comme dans L’Homme qui rétrécit, il ne donne pas d’éléments rationnels pour justifier les causes et motivations du mal qui menace le héros. Il préfère distiller un discours sur la condition du personnage qui, en affrontant son ennemi (invisible dans les deux cas) parviendra à se transcender et à renouer avec sa propre nature : primitive et sauvage dans le film de Spielberg, et spirituelle chez Jack Arnold.

C’est la taille qui compte…

L’Homme qui rétrécit débute avec un couple profitant d’une escapade romantique sur un bateau de plaisance. Aussitôt, le machisme affiché du mari (le héros du film pourtant!) en fait un personnage peu sympathique qui ne force pas l’empathie du spectateur, au contraire. Cet approche distingue immédiatement le film de la plupart des séries B de S.F. mettant en scène un héros vertueux favorisant l’identification du public masculin à qui ces films se destinaient en priorité.
Alors qu’il envoie sa chère et tendre lui chercher à boire en cabine, Monsieur est témoin de la formation spontanée d’une brume ensevelissant momentanément le bateau et disparaissant sans que personne n’ait pu en enregistrer le moindre signe. Après quelques jours, il remarque que ses chemises sont désormais trop larges, et constate qu’il a perdu quelques centimètres de taille; un phénomène qui se poursuit et attire très vite l’attention des médecins et médias auxquels ce malheureux va tenter d’échapper en restant cloîtré chez lui.
Au quotidien, c’est tout d’abord le mobilier qui devient trop grand pour lui, le renvoyant à une situation infantilisante. Une métaphore appuyée par la suite lorsque, réduit à la taille d’une poupée-mannequin, il trouve refuge dans une maison de poupée pour échapper au chat. Il devient un objet, un accessoire, dans la maison de poupée comme dans la « vraie » maison. Désormais privé de sa liberté citoyenne, sa présence s’élude également au sein du couple, sa femme commençant à gérer la situation de façon de plus en plus autonome, jusqu’à sortir seule alors que son mari n’en a plus la possibilité. On peut voir dans ce rétrécissement une métaphore de l’émancipation d’une femme qui ne veut plus subir le joug machiste de son mari et porte désormais la culotte dans le couple. Car même si il reste fondamentalement le même, la petitesse du mari opère comme une castration du personnage, le privant de sa virilité pourtant fièrement exhibée dans la première scène.
L’illustration de la guerre des sexes atteint son paroxysme avec l’araignée qu’affrontera le héros désormais réduit à une taille de deux centimètres. En psychologie, l’arachnophobie est souvent liée à l’image maternelle ou de la Femme en général, l’emprise des pattes renvoyant à la peur d’une possessivité abusive. (une symbolique qui se trouve être la clé pour comprendre Enemy de Denis Villeneuve).

En Bref…
L’épilogue ouvre toutefois le discours sur une toute autre dimension : oubliée l’oppression domestique qu’a subi le personnage durant le film, celui-ci contemple le ciel étoilé et s’interroge sur sa condition et l’inéluctabilité du processus à l’œuvre : si il continue à rétrécir, disparaîtra-t-il complètement ou continuera-t-il d’exister malgré tout ? C’est dans sa conclusion que L’Homme qui rétrécit devient ironiquement un grand film. Jack Arnold et Richard Matheson ont réussi à imposer une fin aux antipodes des canons commerciaux de l’époque, en dépit des recommandations de Universal, achevant le film sur un monologue philosophique que nous reproduisons ici en guise de conclusion :
« Que l’existence ait un début et une fin est une conception de l’homme, non de la nature. Et je sens mon corps diminuer…fondre… devenir rien. Mes peurs ont disparu et à leur place est apparue l’acceptation. Cette vaste majesté de la création doit signifier quelque chose et moi-même, je signifie quelque chose aussi. Oui, plus petit que le plus petit, je signifie quelque chose aussi. Pour dieu, il n’y a pas de zéro. J’existe encore. »

@ Jérôme Muslewski

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