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Série de l’été : Fillon et la fiction programmatique

Publié le 17 août 2017 par Dangelsteph
Série de l’été : Fillon et la fiction programmatique

Suite de notre série de l'été storytelling consacrée à la dernière campagne présidentielle, analysée d'un point de vue narratif (et aussi parfois disruptif).

Les premiers épisodes sont toujours consultables : le premier, sur la comédie de campagne, le second, qui approfondit encore cette thématique de la comédie, le troisième épisode storytelling et le quatrième opus narratif sur un étrange rapprochement entre François Fillon et le personnage de BD du lieutenant Blueberry !

Voici un nouvel épisode, donc, dans lequel nous allons parler programme. Oui, le seul sujet datant d'une campagne politique dont on parle toujours des mois voire des années après la fin de l'élection.

S'il y a eu bien une constante dans la communication de François Fillon, c'est son programme. A un moment de la campagne, on a même pu entendre que seul son programme était de nature à solutionner les problèmes de la France. Toute autre tentative orchestrée par n'importe lequel de ses adversaires (mais quand même surtout Emmanuel Macron) serait fatalement vouée à l'échec. Cet axe de communication a fait long feu car ses adversaires ont très vite dégainé leur programme à eux, arguant de leur bien fondé.

Mais la réalité est là : de tous les programmes en concurrence, celui de François Fillon est bien celui qui est apparu comme étant le plus intangible, le moins susceptible de modifications en profondeur. Certes, certaines des mesures envisagées au tout début des primaires de la droite ont fait l'objet d'amendements verbaux lors d'interviews ultérieurs, mais, donc, sans changements de fond -on pense notamment au nombre des 500 000 fonctionnaires appelés à disparaître de l'échiquier.

Et c'est bien normal. Le programme de François Fillon a été présenté dès le début comme étant radical et appelé à être très vite mis en œuvre, au cours des premières semaines suivant son accession à la présidence du pays.

Qu'est-ce que le storytelling a à voir avec un programme politique qui, par nature à priori, est fait d'opinions ?

Opinions tranchées en ce qui concerne le programme de François Fillon, fait également de faits, d'argumentation. Bref, rien de narratif à l'horizon.

Et pourtant, qu'est-ce qu'un programme politique ? Depuis longtemps déjà, d'élection en élection, circulent allègrement les mêmes petites phrases du type " les promesses n'engagent que ceux qui les écoutent " ou encore " un programme, c'est fait pour être élu, après... ".

Un programme politique, c'est une histoire. Pas dans la manière dont il est présenté et pas n'importe quelle histoire, non : un programme est une fiction.

Un programme, au même titre que le business plan d'une entreprise, est une fiction. C'est d'ailleurs pour cela que les programmes politiques ne sont jamais réellement appliqués. Un programme n'est applicable (tout comme le business plan) que dans un cadre théorique où aucune nouvelle donne ne peut venir perturber, infirmer, contredire le plan. C'est aussi impossible que de prévoir à coup sûr la météo dans 3 semaines. Comment imaginer que le monde va faire un mannequin challenge pendant ans pour, soit, permettre au programme d'être mis en œuvre tranquillement et de manière adaptée à la situation du pays et mondiale, soit, s'il est appliqué rapidement comme ce qui avait été prévu pour le programme de François Fillon, de conserver sa validité pendant cette si longue période. C'est donc une fiction théorique, presque le travail d'un théoricien qui assortirait la validité de ses thèses de conditions uniquement réalisables dans un univers clos, imperméable à toute perturbation.

On peut tout à fait penser que la volonté de François Fillon a été, elle, imperturbable -il a démontré une certaine force de caractère- mais ce n'est pas de cela dont il s'agit. Les perturbations dont il est question, ce sont des événements, donc des histoires, qu'il est impossible de prévoir ou prédire aujourd'hui ; que ce soit le cours de ces histoires, l'identité des personnages, le contexte, et même la finalité de ces histoires. Le monde est polyvocal, avec une multitude d'histoires qui se croisent, s'entrecroisent, s'entrechoquent parfois, ces points de rencontre générant à leur tour de nouvelles histoires... La thèse du scénario unique est une illusion.

Ce monde, les entreprises le connaissent bien, elles y sont confrontées en permanence. Pour elles, un programme politique ne peut être qu'une possibilité d'histoire parmi d'autres possibilités dont on ne sait que rétrospectivement si elles se sont produites, partiellement, en totalité, en étant transformées par téléscopage avec d'autres etc. Ce sont ce que le chercheur David Boje appelle des antenarratives : des paris sur des histoires potentiellement en devenir, dont la plupart, d'ailleurs, ne se réaliseront pas.

En storytelling, l'usage de fictions est possible, mais uniquement lorsqu'il n'est pas possible de faire comprendre un message en utilisant la réalité : c'est donc un moyen et non pas une fin en soi ; contrairement à la campagne des présidentielles -le programme y est la fin qui justifie les moyens. Et confier son avenir à un pari comme les candidats à des élections nous proposent à chaque fois de le faire (car François Fillon n'est ni le premier ni le seul - c'est peut-être juste le plus jusqu'au boutiste en la matière), c'est être sacrément joueur, dans un jeu dont on ne maîtrise que la case que l'on a cochée. Ou le bulletin que l'on aura mis dans l'urne.

Encore une suite à venir...

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