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le seul moment de vraie tristesse

Par Jmlire
le seul moment de vraie tristesse

" Avec les pêcheurs et la vie sur le fleuve, les belles péniches et leurs mariniers, vivant à bord, les remorqueurs avec leurs cheminées qui se rabattaient d'avant en arrière au passage des ponts, tirant tout un train de péniches, les grands ormes sur les berges de pierre, le long du fleuve, les platanes, et, par endroits, les peupliers, je ne pouvais jamais me sentir seul au bord de la Seine. Il y avait tant d'arbres dans la ville, que vous pouviez voir le printemps se rapprocher de jour en jour jusqu'au moment où une nuit de vent chaud l'installerait dans la place, entre le soir et le matin. Parfois d'ailleurs les lourdes pluies froides le faisaient battre en retraite et il semblait qu'il ne viendrait jamais et que ce serait une saison de moins dans votre vie. C'était le seul moment de vraie tristesse à Paris, car il y avait là quelque chose d'anormal. Vous vous attendez à être triste en automne. Une partie de vous-même meurt chaque année, quand les feuilles tombent des arbres dont les branches demeurent nues sous le vent et la froide lumière hivernale ; mais bous savez déjà qu'il y aura toujours un printemps, que le fleuve coulera de nouveau après la fonte des glaces. Aussi, quand les pluies froides tenaient bon et tuaient le printemps, on eût dit la mort inexplicable d'un adolescent.
Et même si le printemps finissait toujours par venir, il était terrifiant de penser qu'il avait failli succomber."

Ernest Hemingway : extrait de "Paris est une fête", Gallimard, 1964

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