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Quand un récit s’enlise

Par Carmenrob

Ma critique de Rose de La Tuque n’avait rien de dithyrambique, et si ce n’est que j’avais acheté les deux livres de Jacques Allard dans un même élan, je ne serais pas en mesure de vous faire part de mes commentaires sur Sarah Zweig, la suite indépendante du précédent roman. Mais voilà, cela m’aura permis de donner une deuxième chance à cet auteur venu à la fiction à un âge vénérable.

Quand un récit s’enlise
Sarah Zweig m’a plu davantage que son premier roman. On y suit l’amie de Rose, une Autrichienne entrée illégalement au Canada grâce à sa riche protectrice américaine qui l’emploie comme gouvernante dans son domaine québécois. L’action s’installe rapidement. L’éclatement de la guerre a pour résultat de mettre la GRC sur les traces des indésirables, dont Sarah, autrichienne mais juive aussi. Deux tares dans le Canada de l’époque. Sarah pense d’abord au suicide et l’annonce à ses amis avant de disparaître chez les Attikameks. Malheureusement, de retour à La Tuque avec les membres de la tribu qui veulent assister à la messe de minuit, Sarah est dénoncée, arrêtée, emprisonnée, longuement interrogée. C’est qu’Ottawa traque d’éventuels espions. Ayant finalement convaincu ses limiers de son innocence, Sarah sera libérée à la condition de mettre sa connaissance de nombreuses langues au service du renseignement canadien en Angleterre. Tout cela on l’apprend rapidement, au début du récit. Puis l’action retombe. Employée sous une fausse identité et un statut fictif à la Maison du Canada à Londres, Sarah patiente tranquillement entre l’ennui de son amoureux, Hugues, le frère de Rose, engagé dans la RAF et qu’elle espère retrouver à Londres, et les journées plus ou moins monotones qui constituent son quotidien. À peine si l’on sent la guerre planer. Dans les quelque deux cents pages consacrées à son séjour dans la capitale anglaise, seule nous distrait quelque peu son escapade avec son pilote enfin retrouvé. Puis tout se bouscule, bascule. Les dernières péripéties de l’aventure sont malheureusement tout juste évoquées par Hugues dans des lettres à Rose.

Si le compte rendu des activités du renseignement à Londres durant la guerre a capté mon intérêt, je n’ai pu m’attacher à ce personnage qui s’exprime par la voie du journal intime. D’autre part, mis à part les dialogues (peu nombreux) qui manquent de naturel, le style d’Allard m’a semblé plus alerte, imagé, parfois même inventif, se dépassant dans les descriptions de scènes sensuelles. Comme dans celle-ci où Sarah imagine les retrouvailles avec Hugues :

Alors oui, allongés l’un contre l’autre, encore à demi vêtus vous blablaterons, ferons patienter le pressant désir, nous racontant moult riens avec petits mots tendres, alors oui sa main emprisonnera la mienne, me plaquera, renversera, me saisira toute de sa bouche, rongera mes seins délivrés… puis ah! seras pris dans la guêpière noire, dans la soie rose échancrée sur l’origine du monde, la pulpe tendre de mes cuisses où mordre, ah oui me voudra toute, partiront ces jarretelles mauves, ces nylons noirs à couture, ah oui me libérera de tous les artifices de Soho de toutes phrases de tous mots toutes virgules m’abandonnerai nue comme maya comme lagune au soleil lui sera chaud chaud ah oui me dardera jusqu’au cœur au plus creux de mon âme le retournerai trônerai sur le pivot du monde et voguerons vaguerons cousus d’amour confondus aux confins de l’Univers.

L’impression générale que me laisse cette lecture est celle d’un sujet prometteur mais d’un récit qui s’emballe et passe trop vite sur les événements pour rapidement s’enliser dans l’absence d’action.

Jacques Allard, Sarah Zweig, Hurtubise, 2017, 410 pages


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