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Naguib Mahfouz et « L’Affaire du collier » : une histoire de l’Égypte d’aujourd’hui…

Publié le 06 septembre 2017 par Gonzo

Naguib Mahfouz et « L’Affaire du collier » : une histoire de l’Égypte d’aujourd’hui…Onze ans après sa mort en août 2006, plus de cent après sa naissance (en 1911), Naguib Mahfouz (نجيب محفوظ) continue à dire bien des choses sur l’Égypte. Moins par son œuvre, sur laquelle on peut penser que tout a été commenté, que par la manière dont on parle de lui, aujourd’hui, dans un pays qui ne se remet pas bien des convulsions de la révolution de février 2011 (même si on y observe depuis quelques mois une impressionnante reprise du tourisme, auprès des voyageurs allemands et ukrainiens apparemment).

Avec le temps, en effet, les langues se délient. On apprend ainsi au détour d’un article (en arabe, comme la majorité des autres liens) que le cercueil supposé emporter sa dépouille lors de ses funérailles, dans le quartier qu’il a contribué à rendre mondialement célèbre, celui de la Gamaliyya (Khan el-Khalili), près d’Al-Azhar, était vide. Car à la mort de l’écrivain, les services officiels de la République avaient décidé de prendre les choses en main. La famille avait ainsi été littéralement dépossédé de la dépouille mortelle, essentiellement pour permettre au président de l’époque, Hosni Moubarak, de se montrer (guère plus de trois minutes) lors de l’enterrement officiel, organisé, pour plus de sécurité, à la la mosquée Al Rashdan, également connue sous le nom de « mosquée des forces armées » !

Naguib Mahfouz et « L’Affaire du collier » : une histoire de l’Égypte d’aujourd’hui…
La révélation d’un autre « secret » a fait plus de bruit encore. Dans une émission très populaire, une des filles de l’écrivain a ainsi confirmé (vidéo ici) une rumeur qui courait depuis longtemps, à savoir que le « collier du Nil », solennellement décerné à cet illustre citoyen par la République égyptienne en 1988 (sous Hosni Moubarak encore une fois) était… un faux ! La plus haute distinction égyptienne n’était qu’un « vulgaire » collier d’argent, tout juste plaqué or ! La femme de Naguib Mahfouz en avait eu d’ailleurs la certitude après l’avoir fait expertisé par un bijoutier mais la famille, qui n’était pas du genre à faire parler d’elle, avait jugé préférable de ne rien dire publiquement. Le ministre de la Culture de l’époque, Farouk Husni, affirme aujourd’hui sans ciller que l’affaire est parfaitement ordinaire dans la mesure où la coutume veut qu’on ne donne aux citoyens égyptiens qu’une sorte de réplique, le vrai collier allant seulement aux chefs d’Etat étrangers (vidéo ici). Le joaillier traditionnellement chargé de ce travail dément énergiquement. Quelqu’un ment dans cette affaire, révélatrice en tout cas de l’état dans lequel se trouve l’administration du pays, depuis un bon moment déjà.

Plus ou moins en toc, le pauvre « collier du Nil » (le « collier du Nil » du pauvre si l’on préfère) a été donné par la famille pour enrichir (si l’on peut dire !) les collections d’un musée destiné à honorer la mémoire du seul et unique prix Nobel de littérature en langue arabe à ce jour… Il rejoint ainsi d’autres trésors, tout aussi symboliques, tels que la canne personnelle donnée par le romancier (selon une tradition importante dans cette région) à l’un de ses « confrères », le très légitimiste Mohamed Salmawy (محمد سلماوي). L’idée avait été évoqué dès le décès de Mahfouz et le lieu, une mosquée ottomane du XVIIIe siècle jouxtant Al-Azhar, retenu ; les travaux ont été lancé mais, onze plus tard, on parle encore d’une inauguration prochaine ! Pourtant, dans les rues du vieux Caire fatimide, rénovées et quelque peu muséifiées, un tel endroit pourrait faire une bonne attraction touristique. Un peu à l’image de ce Mahfouz Tour (مزارات سياحية وثقافية) que les autorités avaient également décidé de mettre en place en 2007 et qui attendtoujours d’être organisé… En fait, c’est une excellente association privée (CLUSTER, pour Cairo Lab for Urban Studies, Training and Environmental Research) qui a un temps repris l’idée

On en reparle aujourd’hui avec « l’affaire du collier » mais, à la vérité, voilà longtemps que les admirateurs de Naguib Mahfouz savent à quoi s’en tenir sur la destinée posthume d’un homme qui aimait autant son pays qu’il savait bien en parler dans ses textes. Pour le centième anniversaire de sa naissance, quand seuls les Suédois de l’académie Nobel paraissaient s’en souvenir, un autre fait divers avait révélé la triste situation d’un pays, il est vrai plongé dans une révolution dont on sentait déjà qu’elle tournerait mal. Un scandale avait en effet éclaté lorsque la société Sotheby’s avait annoncé la vente aux enchères d’un important lot d’archives privées du grand romancier : entre autres témoignages importants, un manuscrit resté inachevé d’une œuvre écrite dans les années 1930 (Qissa min al-sûdân, « Une histoire du Soudan »), un autre texte de la même époque composé de réflexions philosophiques (la première formation universitaire de l’écrivain), des manuscrits de plusieurs nouvelles ou encore une partie du dernier texte publié de l’auteur, Rêves de la période de l’insignifiance (أحلام فترة التفاهة), des très courts morceaux composés d’une écriture tremblante alors que son auteur se remettait difficilement de la tentative d’assassinat perpétrée en 1994 par deux jeunes fanatiques qui devaient reconnaître qu’ils n’avaient jamais lu une ligne de son œuvre… Alertés, la famille et quelques admirateurs de l’écrivain avaient réussi à faire annuler la vente de documents obtenus on ne sait comment. Une histoire rocambolesque dont l’issue, toutefois, n’a jamais été écrite puisqu’on ne sait pas ce qu’il est advenu de ces fragments de la mémoire culturelle de l’Égypte.

Naguib Mahfouz et « L’Affaire du collier » : une histoire de l’Égypte d’aujourd’hui…
On pourrait continuer encore en se demandant si c’était vraiment rendre service à la mémoire de l’écrivain que de publier (par les services du ministère de la Culture) des textes que Naguib Mahfouz, de son vivant, avait délibérément choisi de ne pas publier, parce qu’il ne les jugeait pas à la hauteur de l’œuvre qu’il avait construite par la suite. L’éditeur (privé) qui a racheté les droits pour l’ensemble de ses textes (en arabe, en langues étrangères ils sont la propriété des éditions de l’Université américaine du Caire !) avait imaginé, naguère (en 2007), de rendre ces témoignages disponibles sur Internet, solution qui faisaient au moins le bonheur des chercheurs. Il est vrai que le site a disparu depuis. De toute manière, on reproche beaucoup à cet éditeur (Dar el Shorouk) de « traire » son romancier vedette comme on dit en arabe, tantôt en publiant des versions simplifiées de certains romans (mais sur ce point sa réponse est convaincante puisqu’il l’a fait avec l’assentiment de Mahfouz lui-même), tantôt en publiant à l’infini des éditions posthumes, complétées jusqu’à ne plus être totalement crédibles, en particulier pour les fameux Rêves de la période de l’insignifiance, dont une nouvelle version, deux fois plus importante que la précédente (en volume, s’entend), a paru en décembre 2015, après que deux des filles survivantes eurent retrouvé de nouveaux brouillons, ignorés jusque-là…

Naguib Mahfouz et « L’Affaire du collier » : une histoire de l’Égypte d’aujourd’hui…
En définitive, un des plus authentiques hommages à la mémoire de Naguib Mahfouz, est venu d’un (relativement) jeune romancier égyptien. En 2009, trois ans après la disparition de l’auteur dont il connaît bien entendu l’œuvre par cœur, Ibrahim Ferghaly (إبراهيم فرغلي) a imaginé une fiction dans laquelle tous les textes du célèbre romancier avaient disparu. Nourri des textes de Naguib Mahfouz et intitulé Awlâd al-Jabâlawî – d’après le titre de la traduction anglaise du très célèbre Awlâd hârati-nâ, « Les fils de la médina » [!] en français –, Ibrahim Ferghaly imagine la disparition de tous les livres de Naguib Mahfouz dont les personnages parcourent les rues du Caire à leur recherche. Un récit qui symbolise, explique l’auteur,  l’état de « la conscience culturelle égyptienne ».

Les illustrations qui accompagnent ce texte sont dues à Gamâl Qutb (جمال قطب), décédé en octobre 2016, un illustrateur intimement associé, pour beaucoup de lecteurs, aux premières publications de Naguib Mahfouz, celles des éditions Maktabat Misr.


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