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A Montreuil, un foyer en habitat social et solidaire

Publié le 12 septembre 2017 par Africultures @africultures

Inauguré en grande pompe le 8 avril 2016, avec la Ministre du Logement et l’Habitat durable Emmanuelle COSSE, le Nouveau Centenaire est, ainsi, une première expérience d’habitat relogeant des travailleurs immigrés suivant un système bien rodé de cogestion. Pensé avec l’association Pour Loger, sous l’impulsion de la municipalité de Dominique Voynet (2008-2014), et les habitants eux-mêmes, structurés en l’association Nouvelle France, cet habitat social intelligent est le fruit d’une longue histoire.

A gauche, Mundo Montreuil. Façade toute de bois, 4 étages et toit-terrasse, vaste espace de travail pour une dizaine d’associations, coopératives, entrepreneurs sociaux engagées en faveur du progrès sociétal. A droite, séparé par une large cour, le Nouveau Centenaire. Le bâtiment ressemble à s’y méprendre à un foyer de travailleurs migrants transformé en résidence sociale, pourtant plusieurs éléments interpellent le regard, lorsqu’on est habitué aux standards de ces habitats rénovés. Sur la vitre du bureau d’accueil, un grand « Bienvenue chez vous » multicolore est peint, au-dessus d’un potager où légumes et plantes aromatiques s’épanouissent. Passant la porte d’entrée, un vaste espace se dévoile, nous guidant naturellement vers un bar associatif où une exposition retraçant l’historique du lieu habille les murs. Et ce n’est qu’un début, car à chacun des six 6 étages,  les codes de la résidence sociale auxquels les réhabilitations de foyers de travailleurs migrants nous avait habitués, respectant une réduction des espaces collectifs au profit de logements strictement individuels, sont bousculés.

35 années de lutte pour un logement

A Montreuil, un foyer en habitat social et solidaire

«Notre histoire est longue et sincère » commence Bakary Sissoko, président de l’association des habitants dite Nouvelle France.

Ville au passé ouvrier, surnommée « Mali sous-bois », Montreuil est une banlieue d’ancrage privilégiée, depuis les années 1970, par les travailleurs du cercle de Yélimané. Ainsi, selon la Mairie, entre 6 000 et 10 000 immigrés maliens y vivent en 2005. Marcel Dufriche, maire de la commune entre 1971 et 1984, serait l’un des artisans de ce lien privilégié. « Spécialiste des questions coloniales » au sein de la CGT, l’homme s’est lié d’amitié, lors de ses différents voyages, avec Modibo Keïta, premier président de la République du Mali. En 1985, son successeur Jean Pierre Brard signe une coopération décentralisée avec le cercle de Yélimané. Cette histoire d’accueil est aujourd’hui marquée par les huit foyers de travailleurs migrants que compte à elle seule la ville.

Mais le Centenaire, lui, n’a jamais été de ces foyers officiels, gérés par les entreprises et associations Adoma, Adef et Coallia. Il émane d’une organisation collective d’autogestion, construite dans l’adversité. Son histoire remonte à 1980, lorsque 600 travailleurs migrants du foyer Léon Gaumont, situé à la Porte de Montreuil, sont évacués suite à la démolition de ce site, insalubre. 200 d’entre eux négocient d’être relogés dans le foyer qui doit être reconstruit au même endroit. En attendant, ils sont hébergés dans des baraquements en préfabriqué, sur un terrain vague du haut Montreuil, rue de la Nouvelle France. Ce provisoire ne devait durer que deux ans, il sera leur quotidien pendant 15 années, pourtant. En effet, le Maire d’alors, Jean Pierre Brard, abandonne le projet de reconstruction du foyer, et propose des relogements aléatoires aux hommes, visant leur dispersion en Ile-de-France. Ces propositions sont rejetées en masse par les habitants, qui restent dans la précarité, rue de la Nouvelle France, jusqu’à un matin de mars 1995, où 200 CRS les expulsent suite à un arrêté préfectoral d’insalubrité. S’ensuit un an d’errance dans les rues du Bas Montreuil :

«  Le doyen à l’époque a demandé si on voulait rester ensemble dans notre lutte, et tout le monde était d’accord. Donc on s’est installé devant la Poste, la mairie puis la Bourse du travail. Le Maire a envoyé ses chiens. La Maison Verte nous a accueillis ensuite trois mois, avant qu’on se retrouve encore devant la mairie, d’où on nous a évacués. Beaucoup de montreuillois nous ont soutenus, il y avait même le Président de SOS Racisme. Le comité de soutien s’est formé à ce moment-là. On est partis rue Emile Zola, et on nous a envoyé les CRS. Puis rue de la République. Deux personnes du comité de soutien ont finalement trouvé ce lieu, rue du Centenaire » racontait Bakary Sissoko, en 2015, depuis cette même rue du Centenaire où leur chassé-croisé a donc pris fin en 1996. Le groupe squatte un ancien entrepôt dont le propriétaire, sensible à leur cause, leur fait signer un bail. C’est à cette époque qu’ils constituent l’association Nouvelle France, s’organisant pour vivre le plus décemment possible dans le lieu, qu’ils font fonctionner pendant 10 ans comme un foyer informel et autogéré. Des dortoirs sont improvisés, libérés le soir pour que la grande salle commune serve de restaurant, les décisions sont prises de manière collégiale, avec un délégué pour chacun des 5 cantons représentés dans le foyer, et 30 % des habitants sont par ailleurs syndiqués.

En 2008, la Maire nouvellement élue, Dominique Voynet, visite le Centenaire et s’engage à rompre le calvaire des habitants en leur trouvant une solution de relogement digne. La rigueur et la cohésion avec laquelle les habitants du Centenaire se sont organisés et adaptés à leur précarité quotidienne, optimisant au mieux leurs espaces, refusant tout nouveau entrant, leur valent le soutien renouvelé de la communauté montreuilloise. Aussi, en 2009, avec l’aval de la préfecture de Seine-Saint-Denis, l’association Pour Loger est missionnée par la Mairie, après un appel d’offre, pour réaliser un diagnostic social du Centenaire. « Personne ne les croyait ici » confie Bakary, « mais Pour Loger a dit ‘on ne vous lâchera pas’. On a seulement commencé à y croire au moment de l’enquête sociale ». Et pour une fois dans l’histoire du Centenaire, les promesses ont été tenues. Car sept ans plus tard, les 200 hommes déménagent dans une résidence sociale respectueuse de leurs besoins : le nombre et le type de logements, l’équilibre entre espaces privatifs et collectifs, la circulation et les usages, les matériaux et les volumes, le choix du mobilier et des équipements, le fonctionnement et la répartition des rôles, l’organisation interne, tout ceci a été le fruit d’une relation dont les termes sont ceux d’un véritable partenariat, et non d’une consultation.

A Montreuil, un foyer en habitat social et solidaire

Marie-France Vaurès

« Nous avons l’habitude de travailler dans des lieux dont personne ne veut s’occuper » reconnait Marie-France Vaurès, directrice de Pour Loger, association spécialiste en relogement des squats. Pendant six années, cette militante d’une cinquantaine d’années, caractère bien trempé, a pris son temps pour comprendre le fonctionnement démocratique et social du collectif et imaginer une solution de logement dans la continuité de ce qu’ils avaient construit au terme de 30 années. Et n’a jamais compté les heures pour se faire. Un respect mutuel, une relation exigeante de partenariat se dévoile ainsi lorsqu’on les croise ensemble, dans les ruelles du Nouveau Centenaire, et l’amitié s’invite volontiers, même, on le devine, à une main sur l’épaule.

Centenaire, le nouveau. Du « sur mesure » aux normes

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« Attention, c’est le premier et dernier Centenaire à Montreuil », avait prévenu le préfet de Seine-Saint-Denis à la Mairie après avoir donné son soutien pour la construction du projet. La résidence a ainsi couté 7 millions d’euros, répartis entre la Région, la Préfecture (sur du crédit logement) et la Mairie, qui a donné quasi gracieusement le terrain actuel sur lequel s’est érigé le Nouveau Centenaire. Car, défini dans une concertation exigeante entre l’OPHM (Office Public de l’Habitat de Montreuil) l’architecte, Pour Loger, et les habitants, le projet du Nouveau Centenaire est rapidement écrit sous la forme d’une cogestion. Format qui n’est pas conforme aux directives de l’Etat émises dans le plan de traitement des foyers de travailleurs migrants, où le logement strictement individuel est préconisé.

Sortes de colocations, 22 « unités de vie » hébergent dans la résidence 3 à 11 résidents, lesquels partagent un grand salon, une cuisine et une salle de bain. Dans ce cas, la chambre individuelle, de 12m², est à 312 euros, celle à deux, de 17 m² et à 253 euros. Mais aussi, conformément aux besoins exprimés par une partie des habitants d’avoir un logement complètement autonome, lorsqu’ils pouvaient en supporter le coût, 12 studios existent dans la résidence. D’une surface de 16 m², leur redevance est de 365 euros. Des prix largement en dessous des moyennes dans les résidences sociales Adoma ou Coallia, sachant qu’au Nouveau Centenaire les services comprennent l’accès à une grande cuisine collective pour chaque étage, à une salle de réunion, un bureau associatif, une laverie, un bar et une bagagerie.

Le principe de co-gestion respecte une répartition claire du rôle de chacun. Pour Loger s’occupe, à la demande des habitants, de l’aspect administratif et financier. Autrement dit, gérer les redevances, le paiement des charges et fluides, et assurer son rôle d’employeur, car l’association salarie quatre personnes, une assurant les permanences et l’accueil, un homme pour la gestion et le gardiennage, et deux autres sur du ménage, nettoyage et maintenance. Ces deux derniers étant habitants eux-mêmes du Centenaire, choisis par le collectif pour leurs compétences. L’association Nouvelle France, quant à elle, est l’entité représentante de l’ensemble des résidents. Son conseil d’administration est ainsi formé des délégués de chaque canton. Elle, gère, en lien avec Pour Loger,  les différents aspects de la régulation interne, des rapports sociaux au sein de la résidence. Ainsi, lorsqu’il y a un impayé, chaque canton le gère en interne, avant qu’il n’y ait contentieux. Le respect des usages de l’ensemble des parties communes : collectives (laverie, salle polyvalente, bar accueil,..) ou semi collectives (cuisine d’étage, salons partagés,..) sont également de leur ressort, comme l’entretien des espaces et équipements, privatifs et collectifs. L’argent de la laverie et du bar associatif sont ainsi gérés par la caisse de l’association.

La répartition des habitants dans la résidence a elle aussi été définie par les habitants eux-mêmes, en respect de leur organisation collective. Ainsi, chaque bâtiment correspond à un canton, et les chambres à chaque étage sont également réparties et habitées suivants des logiques familiales. Mais cette répartition répond aux besoins individuels, puisque la répartition actuelle est en respect des souhaits émis par les habitants face à Pour Loger, en dehors du groupe, au moment du diagnostic social.

Plusieurs fonctionnements solidaires sont également comptabilisés dans le fonctionnement de la résidence. Ainsi, des chambres navettes, financées par les cotisations de tous les résidents, permettent aux « anciens » de passage en France de loger au Nouveau Centenaire. Conçus pour 11 personnes, ces espaces sont un temps de repos pour les retraités qui viennent effectuer leurs démarches administratives, ou visiter la famille. Ils restent le temps qu’ils souhaitent, finançant 80 euros de leur poche par mois pour participer aux frais d’entretien et aider l’association Nouvelle France.

A Montreuil, un foyer en habitat social et solidaire

Yéli Doucouré

« Comme nous sommes social, il y a beaucoup de réflexions » explique Yéli Doucouré, vice-président de Nouvelle France. Lui qui revient de quatre mois au Mali nous explique le système d’entraide mis en place pour que ces absences ne pèsent pas trop sur certains budgets « Nous tous nous allons en vacances plusieurs mois au pays, et on doit payer le loyer avant de partir. Chacun mets 200 euros sur la caisse de Nouvelle France. Si je pars deux mois au pays, la caisse me paye l’autre mois, si je pars trois mois, on me finance 2 mois etc. On n’a pas réussi à appliquer ce système d’entraide à tout le foyer parce que tout le monde n’adhère pas, mais un canton l’a tout de même appliqué ».

Mais solidarité rime aussi avec respect des règles et du contrat social. Sur la question, toujours épineuse, de la surocupation notamment, des limites sont clairement posées. 60 personnes surnuméraires sont hébergées sans bail dans la résidence, sur des lits pliants disposées dans certaines chambres. Rapidement, ils devraient devenir résidents en titre, et les chambres se convertiront ainsi en chambres doubles. « Dans chaque chambre il y a un lit pliant en plus. Par exemple, mon grand frère est avec un cousin. Un autre cousin est avec son fils. Son petit frère est avec le fils de mon cousin, comme ce sont des frères. Un autre cousin est dans la chambre avec le petit frère de mon cousin. Le garçon qui faisait les repas dans l’ancien Centenaire, c’est le seul étranger parmi nous. Il vient de Côte d’Ivoire, mais avec son sérieux, son honnêteté, on lui a dit de venir avec ma famille, parce que mon grand frère est le doyen ».

Ces personnes ont toutes été identifiées dans une liste que les autorités publiques, ville et sous-préfecture, ont signée. Par ailleurs, une liste d’attente existe pour les proches des résidents. Cinquante personnes, souvent en déplacement, qui avaient besoin d’une adresse pour recevoir leur courrier, ont été domiciliées également à la résidence. Mais en dehors de ce cadre, aucun nouvel arrivant n’est admis : « On n’a pas voulu autoriser la sous-location par exemple lorsqu’il y a des départs au pays, des absents, parce que la surpopulation commence comme ça. Et on ne sera plus dans la norme. Déjà, à l’ancien Centenaire, on était carré, il n’y avait pas de nouveaux venus, sauf des personnes très proches comme mon fils. Mais quelqu’un qui vient d’Espagne et qui ne connait personne par exemple, non » explique Yéli.

Ce système n’est pourtant pas au goût de tous les résidents, et depuis l’ouverture du Centenaire en printemps 2016, des conflits s’enracinent au sein du collectif sur les termes de la cogestion.

« Peut-être va-t-on se rendre compte que les prix ne sont pas assez chers », reconnait même Marie-France, 6 mois après l’ouverture du lieu, questionnant l’équilibre financier du projet.

Reportage réalisé en septembre 2016


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