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Rashômon. L’impossible vérité

Par Balndorn
Rashômon. L’impossible vérité
Sous le temple en ruines de Rashômon, trois hommes débattent du mensonge. Une pluie diluvienne étouffe leurs propos. Deux d’entre eux se souviennent d’un procès où ils furent témoins ; procès dont l’impossibilité de délivrer un verdict hante encore leurs esprits.
Phénoménologie des réalités
Rashomônconstitue un parfait exemple de phénoménologie. Les trois parties du procès – le bandit, la femme et le mari – tiennent chacun une version différente de l’affaire : le bandit (Toshirô Mifune) fanfaronne et se vante d’avoir violé la femme (qui en plus aurait aimé) et battu le mari en combat singulier ; la femme (Machiko Kyô) prétend avoir tué son mari dont le regard méprisant l’aurait encore plus déshonoré que le viol ; le mari (Masayuki Mori), défunt mais invoqué par un prêtre, injurie sa femme qui aurait d’elle-même offert son corps au bandit. Quant au bûcheron (Takashi Shimura), témoin involontaire, il n’en rapporte que la bassesse et la lâcheté peu virile des combattants.Quatre versions différentes d’une même histoire ; on ne saura jamais si certaines d’entre elles mentent, et l’on s’en moque. Dans Rashômon, Akira Kurosawa ne se place pas en moraliste contempteur du mensonge, mais en patient observateur de la perception humaine. Chaque personnage raconte une histoire qui sied à son caractère : l’invente-t-il ou a-t-il réellement vécu la scène ainsi ? Qu’importe. La vraisemblance psychologique envers l’image de soi que l’on souhaite donner vaut mieux que l’impossible restitution objective des faits.Au lieu d’une réalité, plusieurs se recoupent dans Rashômon. Autant que de sujets pour apercevoir et interpréter selon leur grille de lecture personnelle l’ensemble des phénomènes qui les affectent.
La prison du sujet
Ce que met en scène Kurosawa, c’est l’enfermement du point de vue dans une subjectivité. Ce qui a un intérêt particulièrement cinématographique : contrairement à ce que certain.es pensent, l’« objectif » de la caméra n’a rien d’objectif, car il provient d’un point de vue, d’une réduction, consciente ou non, de la sphère du réel.Kurosawa s’amuse ainsi à saisir une réalité dépourvue d’envers. Du procès, nous n’avons que le point de vue des juges sur les accusés et les témoins ; et pourtant, nous n’avons jamais le contre-champ. Ce contre-champ inexistant sert de principe moral : dans notre existence, nous ne croisons jamais le regard de la Justice. Face aux faits, nous devons interpréter, sélectionner, faire des choix dont l’imperfection caractérise l’humanité.Dès lors, nous ne pouvons nous appuyer que sur un ensemble d’apparences auxquelles il faut attribuer un sens. Et, sur le plan de la mise en scène, cela se traduit par une abondance de gros plans sur des visages expressifs, suant à grosses gouttes ou animés d’une effrayante énergie. Par ce cadrage resserré, Kurosawa nous interdit toute saisie du réel au-delà du sujet : lui seul figure la réalité. À nous de conclure, en observant la palette des émotions se déployer sur son visage, à la vraisemblance ou non de ses fables – mais jamais à la Vérité.Rashômon. L’impossible vérité
Rashômon, d’Akira Kurosawa, 1950 Maxime

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