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Hercule, héraut néo-libéral

Par Balndorn
Hercule, héraut néo-libéral
Parlons franchement : Hercule est l’un des pires Disney. Pourquoi ? Non seulement pour son scénario insipide et son héros en panne de charisme, mais également en raison de l’idéologie pernicieuse dont la firme fait de Hercule l’étendard : en ces temps d’après la chute de l’URSS, le dessin animé chante la gloire du néo-libéralisme triomphateur.
La Grèce à la sauce américaine
Évoquons rapidement le bricolage désastreux auquel s’est livré Disney pour « normaliser » Hercule. Le héros mythologique pose en effet nombre de problèmes : fils d’un énième adultère de Zeus/Jupiter, il parvient néanmoins à renverser la haine que lui voue Héra/Junon en attribut de sa puissance (« Héraklès » signifiant étymologiquement « gloire d’Héra »). D’autre part, sa musculature imposante et sa force surhumaine dépassent de loin les exploits d’un Stallone ou d’un Schwarzenegger ; sous cette forme, il aurait fait tache parmi les frêles héros Disney. Comment rendre compatible un héros de l’excès avec la niaiserie prônée par Disney ? En lui ôtant sa puissance singulière. La charpente musculaire s’efface pour laisser place à un gringalet idiot qui n’a pas conscience de sa force ; le caractère sombre d’Hercule (un « guerrier de Thor » aurait dit le grand mythologue Georges Dumézil) se fait solaire et sympathique, digne d’un « guerrier d’Odin » ; et enfin l’adultère – ignoble péché dans la théologie puritaine de Disney – se transforme en descendance légitime de Jupiter et Junon.À cela s’ajoutent des codes culturels typiquement américains. D’abord les séquences gospel chantées par les Muses – curieusement passées de neuf à cinq (tout comme Pégase, qui n’a rien à voir avec le mythe d’Hercule) – christianisent une mythologie problématique. Et surtout la référence constante à Superman – avec cette magnifique blague sur « Super-mâle », répétée tout au long du film… : se rejoue alors l’histoire de Superman/Clark Kent, enfant trouvé qui découvre son origine divine et fait le lien entre les hommes et les dieux ; alors que le mythologique Hercule n’avait strictement rien à carrer des hommes.
Le meilleur vendeur de Nike
Une ambiance de show irrigue la mise en scène. Il ne s’agit pas tant de raconter l’histoire d’Hercule, omniprésente dans les péplums italo-américains, que d’en faire un spectacle. Autrement dit, un objet d’exhibition, un superbe packaging.Transformer le demi-dieu en orphelin permet de fait de rejouer une énième fois le mythe américain. À force d’entraînements et de volonté, le jeune Hercule développe ses muscles, affine son courage, devient un héros. Se construit ainsi un héros libéral, dont le mérite justifie la célébrité dans toute la Grèce.Mais ce qui est original (et mauvais) dans ce Disney, c’est la place accordée aux produits dérivés d’Hercule dans le film même. Au faîte de sa célébrité, Hercule vend par sa seule image quantité de chaussures « Air-cule », de boissons gazeuses, de jouets… Autant de discrets placements de produits pour Nike, Orangina et autres Action Man. On aurait pu s’attendre à ce que l’épreuve qui frappe le héros dans la seconde partie du récit l’incite à réfléchir sur la commercialisation de son image ; il n’en est rien. La victoire sur Hadès ne fait que légitimer la vente massive de produits dérivés.
Disney et la « fin de l’histoire »
Le Roi Lion (1994), Hercule et Anastasia (1997) et Mulan (1998) forment ce qu’on pourrait appeler la « tétralogie du pouvoir » de Disney. On peut interpréter leurs réflexions sur la nature du pouvoir à l’aune du contexte politique et idéologique dans lequel ils ont vu le jour : la défaite du communisme et la conquête du monde par la démocratie libérale et l’économie de marché.D’une certaine manière, la tétralogie du pouvoir rend sensible la prophétie de la « fin de l’histoire » formulée par le politologue américain Francis Fukuyama à la suite de la chute de l’URSS. La défaite idéologique du communisme augurerait, selon lui, du triomphe éternel de la démocratie libérale et du capitalisme. Une telle vision apolitique se retrouve dans ces quatre films : Le Roi Lion, le plus réactionnaire, fait l’éloge d’un pouvoir monarchique absolu et immuable ; Herculela promotion de l’économie de marché, du néo-marketing et du storytelling ; Anastasia achève d’enterrer la révolution russe ; et Mulan associe contestation du pouvoir à la barbarie, sabotant de fait toute critique du despotisme.Il est toujours étonnant de voir à quel point un outil de propagande aussi perfectionné que Disney puisse passer pour du « divertissement », et se vendre comme tel.
Hercule, héraut néo-libéral
Hercule, de John Musker et Ron Clements, 1997
Maxime

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