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Retour sur le rapport Guinchard : l'équité et le psaume 85

Publié le 01 juillet 2008 par Hermas
I.- Le discours de présentation du rapport Guinchard, que nous avons évoqué dans un précédent article, se termine par une finale qui vaut la peine d’être relevée, parce qu’elle est significative de l’air du temps. Son auteur n’hésite pas à présenter ce Rapport comme un « rapport d’équité, au sens de l’equus, de l’équilibre que les deux plateaux de la balance de la Justice symbolisent pour atténuer ce que le glaive, pour autant nécessaire, peut avoir, parfois, de dureté ». Profitons de l’occasion pour corriger cette définition, qui “se veut” (comme on dit aujourd’hui) savante. « L’équilibre » ainsi visé, entre les deux plateaux de la balance, ce n’est pas l’équité. C’est la justice elle-même, tout simplement, qui consiste à rendre à chacun ce qui lui est dû. Si l’on définit l’équité par la justice, on ne définit rien. Rien d’autre, en tout cas, que la justice. Il est vrai que, sous un certain rapport, il y a identité du juste et de l’équitable, comme Aristote l’a de longtemps remarqué (Ethique à Nicomaque, V, 4, 1137b). L’équité, évidemment, ne peut pas ne pas être juste. Cependant, si l’on entend présenter une œuvre comme un apport d’équité sur l’exercice de la justice, on ne peut pas, pour caractériser cet apport, en appeler simplement à une définition de la justice. En outre, il est paradoxal – indépendamment de l’appréciation des contenus du rapport – de présenter les réformes légales ou réglementaires proposées comme des apports d’équité. En effet, comme Aristote l’a également souligné, ce qui est équitable n’est pas le juste selon la loi. C’est, par hypothèse, « un correctif de la justice légale » (Loc. cit.), qui intervient là où la généralité des dispositions applicables ne répond pas à une situation concrète, qu’il faut alors régler en s’inspirant de l’intention du législateur. On ne rajoute pas de l’équité parce qu’on rajoute des textes. L’expérience semblerait plutôt manifester le contraire. Enfin, on ne voit pas très bien ce que la détermination de règles nouvelles de procédure ou de compétence a à voir avec l’équité. L’équité ressortit à l’interprétation de la loi ou des conventions (art. 1135 du code civil) et elle est premièrement l’office du juge. Mais le mot est beau, que voulez-vous… Il permet de présenter le Rapport en question comme une œuvre sublimant la justice. Cette modestie habite souvent de tels rapports, tel le rapport Attali. Celui-ci, on s’en souvient (?) se présentait lui-même comme un “tout ou rien”, hors duquel il n’y aurait que chaos. Le rapport Guinchard n’est pas en reste : « L’effectivité des droits qui nourrit aujourd’hui notre système judiciaire, passe par la réalisation des 65 propositions. » Pas moins. A défaut, “l’effectivité” ne passera pas ! Enfin, Malherbe vint… II.- Mais M. Guinchard n’en reste pas là. S’adressant en conclusion à Mme le Garde des Sceaux (fascinée, on l’imagine) – après avoir posé notamment les jalons que nous savons pour le PACS – le docte Professeur lui livre son précieux savoir. Faisant assaut d’érudition, il évoque la Justice majusculaire, et Anubis, et Shamash, et Hamourabi lui-même, sur les traces desquels il s’avance. Puis, dans un raccourci lumineux, il énonce : « Dans la chrétienté, tout commence par une punition, Adam et Eve sont chassés du paradis et tout se termine par le Jugement dernier ». Il n’est pas assuré, selon ces termes, que M. Guinchard sache très bien ce que signifie le mot “chrétienté”, qu’il paraît ici confondre avec la Bible, tout en la réduisant à des épisodes qui ignorent tout de la création, de la rédemption, de la “justification” et de la vision béatifique. Ce qui est sûr, c’est que pour lui, tout y commence mal, et tout s’y termine mal. Il y voit néanmoins de l’amour, comme dans « les deux autres religions monothéistes », selon les comparaisons convenues, « où les messages d’amour et de punition sont aussi très présents ». « Il faut y voir – ajoute-t-il, lyrique – la présence éternelle du sentiment d’équité que toute justice recherche, mais aussi le souci d’apaisement que tout législateur doit savoir trouver. Sentiment et souci qu’exprime, à sa façon ce psaume : “Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent” (Psaume 84-II) ». M. Guinchard ne craint pas d’ajouter : « C’est cette justice et cette paix que je souhaite à la Justice de notre pays, pour qu’elle se rassemble autour des valeurs de la République qui nous sont communes, dans les déclarations de principe, comme dans la réalisation concrète et active de ce que nous vous proposons ». On pardonnera à notre indignation de flétrir ce sommet de cuistrerie. Le psaume invoqué, qui est le psaume 85, mérite d’être rappelé, dans sa version donnée par la Bible de Jérusalem : 2. Ta complaisance, Yahvé, est pour ta terre, tu fais revenir les captifs de Jacob ; 3. tu lèves les torts de ton peuple, tu couvres toute sa faute ; 4. tu retires tout ton emportement, tu reviens de l'ardeur de ta colère. 5. Fais-nous revenir, Dieu de notre salut, apaise ton ressentiment contre nous ! 6. Seras-tu pour toujours irrité contre nous, garderas-tu ta colère d'âge en âge ? 7. Ne reviendras-tu pas nous vivifier, et ton peuple en toi se réjouira ? 8. Fais-nous voir, Yahvé, ton amour, que nous soit donné ton salut ! 9. J'écoute. Que dit Dieu ? Ce que dit Yahvé, c'est la paix pour son peuple et ses amis, pourvu qu'ils ne reviennent à leur folie. 10. Proche est son salut pour qui le craint, et la Gloire habitera notre terre. 11. Amour et Vérité se rencontrent, Justice et Paix s'embrassent ; 12. Vérité germera de la terre, et des cieux se penchera la Justice ; 13. Yahvé lui-même donnera le bonheur et notre terre donnera son fruit ; 14. Justice marchera devant lui et de ses pas tracera un chemin. On voit que la phrase citée s’intègre dans un contexte de repentir à cause des péchés commis, de conversion, de retour à Dieu, de miséricorde et de salut. Cette paix, dont il est question, est celle qui est promise aux hommes « pourvu qu’ils ne reviennent à leur folie ». Il est troublant de constater que l’on puisse être assez aveugle pour rapprocher un tel passage, avec « la présence éternelle du sentiment d’équité », de « valeurs de la République » qui foulent aux pieds les droits de Dieu et en lesquels on s’apprête, à pas menus et détournés, à intégrer l’égalité des unions homosexuelles avec le mariage, voire l'euthanasie. La justice dont il est ici question est celle qui marche devant Dieu. La seule chose qui soit juste, dans la péroraison de M. Guinchard, per accidens, c’est qu’en effet ce texte peut être inséré dans un contexte en quelque sorte judiciaire. Ce fut l’idée de saint Bernard, qui imagina un procès dont l’accusé était Adam, après sa chute, et dont Amour, Vérité, Justice et Paix discutaient le sort, Amour et Justice tentant, en particulier, de faire prévaloir chacune ses exigences. C’est le Christ qui tranche le débat, en s’offrant, lui qui ne doit rien à la mort, à mourir par amour pour les pécheurs. Alors « Amour et Vérité se rencontrent, Justice et Paix s'embrassent ». Comme on est loin de cet idéal frelaté du rapport Guinchard et d’une société qui se construit ou se déconstruit, de reculs en reculs, dans des consensus destructeurs, où sont dénaturés, en particulier, la vérité et l’amour !

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