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Le Musée des Merveilles. Qui n’entend rien apprend à sentir

Par Balndorn

Le Musée des Merveilles. Qui n’entend rien apprend à sentir
Le dernier film de Todd Haynes est une merveille à bien des égards. Tout en restant dans le genre mélodramatique, le cinéaste parvient à expérimenter un nouveau régime sensoriel, constitutif du handicap – en est-ce vraiment un ? – de ses personnages : la surdité.
Comment s’exprimer sans parler ?
La surdité de Rose (Millicent Simonds) et Ben (Oakes Fegley) représente, pour le cinéma, une bénédiction. Privés d’un sens aussi usité, les enfants doivent inventer un autre langage ; débarrassé des intarissables flots de paroles, le film doit reconsidérer l’expression a-verbale.D’où le retour aux années 20, où se déroule l’histoire de Rose, qui fuit le domicile paternel pour retrouver à New-York son actrice préférée. À l’âge d’or du muet (où commence à se faire sentir la menace du parlant), on se concentre sur la composition de l’image et la plastique des visages. Cette résurrection du cinéma muet opère un premier contraste avec la mise en scène contemporaine des acteurs. Alors que dans nombre de productions hollywoodiennes actuelles, la caméra va chercher le physique des acteurs, grâce aux gros plans et aux effets de plus en plus intrusifs, Todd Haynes revient à un cadrage plus large, plus composé, dans lequel, en son centre, une figure s’exprime. Les coups de gueule du père, l’hypocrisie de l’actrice, le visage faussement innocent de Rose : autant d’émotions qui remontent à la surface du visage, autour duquel on laisse un cadre pour rayonner.Seconde stratégie : la musique extra-diégétique. Carter Burwell livre ici une composition d’une grande beauté. Le thème principal du Musée des Merveilles pourrait se suffire à lui-même, mais dans le tissu du film, il en assure la continuité. Entre les années 20 et les années 70 – l’époque de Ben –, la BO fait peu de différences. S’il y a certes plus de musique funky pour le New-York afro des Seventies et plus de symphonie pour Broadway, il n’existe pas pour autant de ruptures franches. Bien souvent circule d’une époque à l’autre un même thème. La musique de film trouve ici un plein aboutissement : non seulement elle exprime les sentiments des personnages, mais en outre, elle les connecte au sein d’une grande organicité sensorielle. Et la surdité ne pose pas de problèmes, bien au contraire : à l’instar de Ben, qui ressent les vibrations de la musique, un fil tendu vibre d’un bout à l’autre du film.
Du cinéma comme art des raccords
Troisième stratégie, et non des moindres : l’art du montage. La surdité, loin de le handicaper, oblige le cinéma à se penser en tant qu’art différent du théâtre, lui art du dialogue. Et Todd Haynes excelle à filmer des détails qui raccordent les deux histoires, autrement plus parlants que de vains discours. Un nom sur une carte postale, la riche couverture d’un livre, une girafe empaillée : les objets, comme dans A Beautiful Day, servent de lieux de passage. Portails entre les deux époques. Charnières de la narration non-verbale.Ce qui fait la force du Musée des Merveilles, c’est son exercice d’équilibriste – plus que réussi – entre le registre mélodramatique et l’expérience d’un nouveau régime sensoriel au cinéma. Et les deux fonctionnent à merveille. On est é-mus, littéralement mis en mouvement, par les puissances conjuguées du jeu d’acteur, de la musique et du montage ; et ce, sans vain bavardage.
Le Musée des Merveilles. Qui n’entend rien apprend à sentir
Le Musée des Merveilles, de Todd Haynes, 2017
Maxime
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